Columbo : retour sur la carrière de Peter Falk

Derrière le lieutenant star, à suivre samedi 21 à 21h05 sur TMC, il y avait l’acteur. Et derrière l’acteur, un homme acharné à fuir une blessure intime, résolu à grimper vers les étoiles où la réussite alla de pair avec la frustration.

Le regard dissymétrique, mélange d’humanité et de fausse candeur, avait en partie façonné l’identité de ce petit lieutenant qui avait offert une gloire planétaire à son interprète. Pourtant, il y avait autre chose qu’une trouvaille d’écriture derrière le regard. Un drame de la petite enfance, un cancer à l’œil droit détecté quand Peter Falk avait trois ans. On lui avait ôté la tumeur et l’organe avec, remplacé par une prothèse de verre. Un handicap qui allait d’abord l’exclure avant de contribuer à cette présence qu’il transformera en or. Ainsi sera-t-il refusé par l’armée, où il voulait s’engager. Pas de borgne chez les Marines ! Peter verra donc la mer mais comme cuistot, sur des cargos marchands. « Là, on s’en fout que vous n’ayez qu’un œil. Le seul qui doit voir, c’est le capitaine. Et encore, dans le cas du Titanic, ça se discute ! », pouffait le comédien. C’est que l’homme avait le fatalisme cinglant et l’humour idoine, héritage d’une ascendance ashkénaze, jadis émigrée à New York à cause de pogroms sur le Vieux Continent.

Intelligent et bosseur, il décroche ensuite un master en administration publique, se retrouve analyste au Bureau du budget du Connecticut où il s’ennuie, rêvant de devenir comédien. Il intègre une troupe amateur puis un cours professionnel. En 1956, Falk démissionne et commence à chauffer les planches, se forme aux plus grands dramaturges. Il veut passer au cinéma mais son agent doute de sa photogénie. Son regard de verre, toujours… Il force la porte de Harry Cohn, patron des studios Columbia qui le désorbite à son tour. « Pourquoi vous engagerais-je alors que pour le même prix, je peux avoir un acteur avec deux yeux ? » L’acteur encaisse comme ceux qui savent que leur jour viendra. Peter Falk parviendra à mettre un pied à Hollywood, à se faire remarquer au point d’être nommé deux fois aux Oscars !

Un succès inattendu devenu culte

Mais c’est à la télévision, alors en plein boom des séries, que le comédien impose son étrange présence. La Quatrième Dimension, Les Incorruptibles, Alfred Hitchcock présente…, il les fera toutes, jusqu’au grand saut, au crépuscule des sixties. Universal le recrute pour un téléfilm bouche-trou, Inculpé de meurtre. Il y est un flic de Los Angeles, encore bien coiffé à l’époque mais déjà flanqué d’un imper aussi faisandé que son cigare verdâtre. Les autres gimmicks qui feront le régal des fans pendant trente-cinq ans sont encore en filigrane, l’épouse en référence, le petit détail qui chafouine, le stylo qui manque. La Peugeot 403 agonisante fera son apparition plus tard, le basset hound aussi. Le 20 février 1968, la diffusion de cet unitaire fait un carton sur NBC mais la chaîne attendra trois ans pour commander un second téléfilm. Nouveau succès qui transforme alors le programme en une série enfin baptisée du nom de son héros : Columbo.

Ce sera pour Falk un adieu quasi définitif au cinéma. On le verra dans les drames à fleur de peau de son ami John Cassavetes et dans une poignée d’œuvrettes qui empestaient souvent l’arriéré d’impôt. Un choix de carrière doublé d’une frustration. "Je serais certainement un meilleur acteur aujourd’hui si je n’avais pas joué Columbo pendant toutes ces années", regrettait-il. En 2007, quatre ans après l’ultime épisode, on lui diagnostique la maladie d’Alzheimer. Le voilà confiné chez lui où sa mémoire se vide. L’acteur ne reconnaît plus ses proches, oublie jusqu’au nom de la série qui en a fait une star. Lorsqu’il échappe à la surveillance médicale, comme en avril 2008, on le retrouve hagard et en pyjama, s’obstinant à vouloir traverser une avenue encombrée au péril de ce qui lui reste de vie.

La famille au tribunal

Et voilà que la tragédie se déplace sur le terrain juridique. Shera Danese, sa seconde épouse, entre en guerre avec Catherine et Jackie, les deux filles que Falk a adopté avec sa première femme Alyce Mayo. Celles-ci suspectent belle-maman de vouloir mettre la main sur le pactole du comédien. En 2009, au terme d’un marathon de joutes complaisamment relayées par les tabloïds, un juge fait de Shera la fondée de pouvoir de son mari et Catherine Falk obtient enfin un droit de visite à son père. Hélas, elle n’aura pas l’occasion d’en user longtemps. Peter Falk s’éteindra deux ans plus tard d’une pneumonie aggravée par son Alzheimer. Un coupable, invisible cette fois, que Columbo n’aura pu arrêter.

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