Cécile de France : "J’aurais du mal à me voir en gros plan, associée au nom d’une marque"

Interview.- Dans Illusions perdues, le film adapté du roman de Balzac et porté à l’écran par Xavier Giannoli, l’actrice joue le rôle de Louise de Bargeton, la maîtresse de Lucien de Rubempré, prisonnière de sa vie et rongée par le remords. Un rôle où elle se révèle une fois encore surprenante.

Pour certains, Balzac est synonyme de corvée scolaire. Il est donc temps de le redécouvrir et d’en apprécier l’incroyable modernité, brillamment mise en lumière par Xavier Giannoli dans son adaptation très libre et dépoussiérée des Illusions perdues (*). L’ascension et la chute de Lucien de Rubempré, cœur pur et aspirant écrivain corrompu par une société inhumaine et cupide, permettent ici d’évoquer des dérives très actuelles, des fake news au pouvoir marketing des polémiques. Renouant ici avec son réalisateur de Quand j’étais chanteur et Superstar, Cécile de France y incarne la bouleversante maîtresse aristocrate du héros, elle aussi dévoyée par le cynisme ambiant.

En vidéo, « Illusions perdues », la bande-annonce

Madame Figaro. – Quel souvenir gardiez-vous du roman ?
Cécile de France. –
Je ne l’avais pas lu jusqu’ici. J’ai d’ailleurs aimé que Xavier regarde mon personnage avec plus d’empathie et de tendresse. Dans le roman, Louise de Bargeton n’a pas de cœur, on la surnomme «Os de seiche», elle est aussi calculatrice que les autres. Dans le film, c’est une femme blessée, malheureuse, seule. Balzac dépeignait sa société comme le ferait un zoologiste. Xavier a un rapport plus humain à ses personnages broyés par le système.

Le vôtre n’a aucune échappatoire ?
Elle est prisonnière de son mari et son statut, mais rongée par les remords. Une partition assez inédite pour moi : je joue souvent des personnages solides, indépendants quand, ici, sa survie dépend de sa docilité. Une réalité que vivent encore beaucoup de femmes dans des sociétés qui les conditionnent à obéir.

Scandales et surexposition

«Polémique et surenchère font vendre du livre.» Cette idée du film résonne encore aujourd’hui ?
À l’ère des réseaux sociaux, on est plus que jamais assoiffé de scandales et de potins. Le ver dans la pomme a de quoi se nourrir avec ces outils de communication. Cette liberté d’expression est louable d’un certain côté, mais le mal peut être aussi fait sans que personne ne soit incriminé.

Le film aborde également le rôle d’égéries des comédiennes qui favorise leur exposition…
C’est là aussi très moderne et visionnaire. Il est en effet plus facile de faire la Une comme égérie. Ce qui n’est pas mon cas. Je le dis sans aigreur ni jalousie, car j’aurais du mal à me voir en gros plan, associée au nom d’une marque. Non seulement, je gagne assez d’argent mais, comme le dit le film, «Et l’art dans tout ça ?» Certaines actrices associent les deux intelligemment mais, dès mes débuts, j’ai été dépassée par ces «à-côtés» et, par instinct de protection, je n’ai pas voulu mettre les doigts dans cette machine. Jouer des personnages m’a toujours suffi.

Un rôle iconique

Le 24 novembre, vous serez dans De son vivant, d’Emmanuelle Bercot.
J’en garde la rencontre avec cet être incroyable qu’est l’oncologue Gabriel Sara, qui joue son propre rôle dans le film. J’adore sa manière de parler de la mort pour évoquer la vie : il y a de l’espoir et l’humanité dans la tragédie. Je me suis enrichie à son contact et à celui d’Emmanuelle, qui filme les profondeurs de votre âme sans que vous ne vous en aperceviez.

Vous verra-t-on dans la série adaptée de L’Auberge espagnole ?
Il est question d’un clin d’œil : l’histoire sera axée sur les enfants des héros d’origine. Mais je serai exigeante, je suis attachée à mon personnage qui implique une grande responsabilité. Ce rôle a marqué la communauté lesbienne. Grâce à lui, certaines m’ont dit s’être permis d’être ce qu’elles étaient. Je ne veux pas décevoir.

(*) Illusions perdues, de Xavier Giannoli, avec Benjamin Voisin, Vincent Lacoste, Cécile de France, Xavier Dolan, Jeanne Balibar, Gérard Depardieu… Sortie le 20 octobre.

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