Femme actuelle vous propose de découvrir un extrait de Celle qu’il attendait, le nouveau roman de Baptiste Beaulieu. Une histoire d’amour qui va vous bouleverser.
- Maxime Chattam
Nous vous avons récemment invités à découvrir 1991, le nouveau roman de Franck Thilliez (éd. Fleuve noir, 504 p., 22,90 €), « Le cerf-volant » de Laetitia Colombani (éd. Grasset, 224 p., 18 €)) et Intuitio, de Laurent Gounelle (Calmann Lévy, 400 p., 15,99 €) ainsi que L’illusion, le nouveau polar de Maxime Chattam avec sa tendre dédicace à Faustine Bollaert (éd. Albin Michel, 464 p., 22,90€). Mais aussi Loin du bruit du monde, le cinquième et dernier roman de Valéry Giscard d’Estaing, paru avant sa mort. Nous vous avons également dévoilé le talent de romancière Marina Carrère d’Encausse qui a publié un polar saisissant Les Enfants du secret (éd. Héloïse d’Ormesson, 176 p., 17 €).
Aujourd’hui c’est un extrait de Celle qu’il attendait, le nouveau roman de Baptiste Beaulieu qui vient de paraître chez Fayard que nous vous proposons. Tout débute sur un coup de foudre entre la fantasque Eugénie D. et Joséphin, un chauffeur de taxi mutique…
Baptiste Beaulieu a plus d’une corde à son bel arc. Médecin et chroniqueur sur France Inter dans Grand bien vous fasse, il est aussi romancier. Ses fans savent qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Après La Ballade de l’enfant gris et Toutes les histoires d’amour du monde, il signe Celle qu’il attendait, son cinquième roman (éd. Fayard, 342 p., 18,50 €). Une histoire d’amour dont voici le chapitre 36, intitulé Eugénie et Joséphin. Bonne lecture!
Une histoire d’amour qui va vous emporter
« C’est toujours comme ça, pensa-t-elle, quand une femme est avec un homme, ils se taisent. L’homme respecte plus les autres hommes que les femmes.
Quand ils étaient rentrés du restaurant ce jour-là, sur les coups de 15 heures, et étaient passés devant les échafaudages (la façade du 34 était en pleine réfection depuis de longues semaines), Eugénie avait été surprise du silence qui régnait dans leur rue : les ouvriers les regardaient sans piper mot. D’habitude, elle écopait du couinement de la truie, du jappement du chien ou du hurlement du loup et autres cris d’animaux. Telle était sa peine pour être une femme, seule et grosse, qui marche sur un trottoir. Tout le monde a besoin de se sentir supérieur à quelqu’un. Pour les hommes, la chose est plus facile : ce droit leur est donné à la naissance, et sur la moitié de l’humanité.
Là, rien.
Au pied de l’immeuble, Joséphin lui tint la porte et, en pénétrant dans le hall, elle avisa les escaliers plutôt que l’ascenseur. « Si tu appuies sur les boutons dans un ordre précis, les portes s’ouvrent sur un univers sombre, triste et dangereux », lui contait son grand-père, quand elle était enfant. Elle n’avait jamais joué avec ça, pourtant, elle avait l’impression d’être entrée dans ce fameux univers sombre, triste et dangereux il y a longtemps déjà. Aussi, craignant de réitérer son erreur, elle préférait toujours les escaliers. Sait-on jamais.
Hélas, Joséphin la devança et, gagnant directement la cage, il appuya sur le bouton d’appel.
Eugénie déglutit péniblement.
Il n’avait pas beaucoup parlé depuis le départ du restaurant, et toujours avec peine. Les gens savent causer.
Moi, je ne sais pas.
« C’est bizarre, fit remarquer Joséphin, d’habitude je ne prends jamais l’ascenseur. »
Sans doute était-il perturbé par la présence d’une femme à ses côtés, des sous-entendus que cette présence convoquait, mais sans penser à mal.
« Pourquoi ? lui demanda-t-elle.
– Si on appuie sur les boutons dans un ordre précis les portes…
– … s’ouvrent sur un autre monde triste et froid », continua-t-elle.
Ils se regardèrent, soufflés.
« Comment le saviez-vous, madame Eugénie ?
– Cette combinaison de numéros maudite… Je crois l’avoir composée par mégarde il y a quelques années. »
Debout, dans le hall vide, les deux nigauds dévisageaient la machine avec suspicion.
« Moi aussi, dit-il en baissant la tête, avant de répéter : Moi aussi. »
Il lui fit signe d’entrer.
« Je ne suis pas sûre que… »
Il saisit son poignet, doux comme du papier de soie, et l’entraîna :
« Je crois avoir enfin deviné la combinaison pour revenir.
– Revenir ?
– Dans le monde normal. Le monde d’avant les mauvais chiffres. D’avant votre univers triste, et d’avant le mien froid, si froid, aussi. »
Ils pénétrèrent dans la cabine.
Il appuya successivement sur le 1, le 2, le 1 de nouveau, le 4 ; puis le 12e étage suivi du 14e.
Plus tôt au restaurant, Joséphin avait compté silencieusement les taches de rousseur sur le visage d’Eugénie : douze sur le front, quatorze sur la joue gauche et autant sur la joue droite.
Quand la cage s’ouvrit, le monde semblait le même, mais c’était faux. Ils savaient bien, eux, que c’était faux. Quelque chose, qui avait toujours été là, immanent, hivernant au plus profond du cœur, s’était enfin décidé à germer et fleurir en eux.
On existe, dix, quinze, vingt ans, on attend, on espère, on vivote, on s’habitue, on se contente de ça, d’exister par habitude, en touchant la vraie vie du bout des doigts pour ainsi dire, et soudain voilà qu’un ascenseur, un regard partagé et des taches de rousseur viennent tout chambouler. »
© Librairie Arthème Fayard
Celle qu’il attendait de Baptiste Beaulieu, éd. Fayard, 342 p., 18,50 €.
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