Au Rwanda, sur le tournage de "Notre-Dame du Nil", le nouveau film poignant sur le génocide

Reportage. – À découvrir à partir de ce mercredi 5 février au cinéma, Notre-Dame du Nil, le film d’Atiq Rahimi est adapté du roman de Scholastique Mukasonga, auteure d’origine Tutsi et réchappée du génocide. Reportage au Rwanda sur le tournage du film soutenu par Charlotte Casiraghi.

C’est dans les faubourgs du district de Musanze, à 200 kilomètres au nord de Kigali, aux pieds des parcs nationaux qui hébergent des gorilles et des volcans culminant à plus de 3 000 mètres, que se déroule la dernière semaine du tournage de Notre-Dame du Nil (1), film réalisé par Atiq Rahimi, d’après l’œuvre de la romancière rwandaise Scholastique Mukasonga, prix Renaudot 2012 (publié chez Gallimard). Quand Marie Legrand, l’une des productrices de la société Les Films du Tambour, a mis le livre entre les mains d’Atiq, le cinéaste a tout de suite vu ce qu’il pouvait en faire : « Remonter aux origines du génocide rwandais et m’emparer de la petite histoire pour essayer de comprendre la grande. »

Le roman de la mémoire douloureuse

La petite histoire, c’est le récit, en 1973, de la vie quotidienne d’un institut catholique, Notre-Dame du Nil, situé sur les hauteurs de Kigali, où les jeunes filles de bonne famille sont envoyées pour y être éduquées puis mariées à de riches Rwandais. « L’histoire de ce lycée est pour moi un huis clos qui me permet de décrire un monde d’innocence, celui de l’enfance et de l’adolescence qui ignore le pire, mais s’y prépare d’une manière inconsciente. »

En effet, dans ce lycée, sous un calme apparent, couve la haine raciale, avec ses quotas ethniques qui limitent à 10 % le nombre des élèves tutsis. C’est aussi le début des premières intimidations hutus, qui ont incité certains Tutsis à quitter le pays. « Cette année 1973 est un moment charnière dans l’histoire du Rwanda, explique Atiq Rahimi, elle montre comment se prépare un génocide. À l’époque, la quasi-totalité des élites tutsies avait quitté leur pays. Dépossédé de ses intellectuels, de ses décideurs, le pays n’avait plus de contre-feux pour éviter le pire. Et c’est à ce moment-là, dans ces conditions, qu’un génocide peut être perpétré. Nous entrons alors dans la grande et sombre histoire, celle de ce génocide. Qui peut oublier les 800 000 morts en trois mois, entre avril 1994 et juillet 1994, sauvagement exécutés ? »

Toutes les familles ont été endeuillées. Jean-Pierre, le guide qui a aidé Atiq Rahimi à trouver les lieux de tournage et les bonnes personnes pour faire ce film, raconte comment il a échappé à ses bourreaux en se cachant pendant trois mois dans une fosse septique, alors que sa famille était exécutée à Kibuye. « Je sais qui sont les tortionnaires. Ils sont encore en vie, et il m’arrive de les croiser quand je rentre chez moi », confie-t-il.

Des actrices débutantes pour les rôles principaux

Les rôles principaux du film, soit 21 élèves du lycée Notre-Dame du Nil, ne sont pas des comédiennes professionnelles.

Atiq Rahimi répète. Sur le tournage, on l’appelle l’Afghan. Normal. Le réalisateur est né à Kaboul en 1962 et ressemble, avec son long gilet sans manches et sa casquette retournée sur les côtés pour en faire un pakol, aux compagnons de route du commandant Massoud.

Ici, tout est vert. C’est pour cela qu’Atiq Rahimi a choisi cet endroit. « Mon film précédent, Pierre de patience (adapté de son livre, prix Goncourt 2008, NDLR), était dans les ocres, celui-ci est dans toutes les nuances de vert. » Les pluies sont fréquentes en début d’après-midi, chaque jour. Dès qu’elles cessent, les couleurs claquent comme dans une toile de Gauguin. Au milieu du tableau, une maison en torchis. Murs vert d’eau et fenêtres soulignées de rouge pompéien. « On l’a longtemps cherchée celle-là, explique le metteur en scène, et puis un jour, au bord de la route, on a vu ce gourbi. Une maison en pleine campagne qui avait dû avoir une certaine allure, parfaite pour y loger l’un de nos personnages, monsieur de Fontenaille, autrefois producteur de café, qu’interprète Pascal Greggory. » Greggory, grand escogriffe lunaire, pommettes saillantes, visage élégant, regard azur incertain, celui qui a joué les hallebardiers dans Hamlet, le duc d’Anjou dans La Reine Margot, se retrouve aujourd’hui dans le rôle de cet ancien colon un peu fou, qui se passionne, jusqu’à en mourir, pour l’histoire des Tutsis. Expérience inédite ? « Un acteur doit être de tous les univers », répond-il.

En vidéo, « Notre Dame du Nil », la bande-annonce

Les rôles principaux du film, soit 21 élèves du lycée Notre-Dame du Nil, ne sont pas des comédiennes professionnelles. Elles ont été castées parmi les 900 candidates qui se sont présentées après avoir pris connaissance de l’annonce par les réseaux sociaux ou grâce au bouche-à-oreille. Puis, une fois sélectionnées, elles ont été initiées pendant trois mois à l’art de jouer dans des ateliers de la capitale rwandaise par Atiq Rahimi . « Je voulais des novices, précisément pour jouer l’innocence dans sa pureté. » Que leur a-t-il appris ? « À devenir des comédiennes. Avec ma méthode, c’est très simple : je leur demande avant chaque réplique de fermer les yeux et de se demander pourquoi elles sont là, ce qu’elles vont dire et pourquoi elles vont le dire, répond-il simplement. Je veux que mes acteurs jouent le sous-texte et non le texte. »

Sur le tournage de “Notre-Dame du Nil” au Rwanda

Charlotte Casiraghi : «Ce film est très politique. On y développe le mécanisme de l’émergence de la violence, qui s’avère être le même dans tous les conflits et à toutes les époques.»

Charlotte Casiraghi, coproductrice du film, explique…

Madame Figaro. – Pourquoi le livre de l’écrivaine Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil, vous a-t-il séduite au point d’en acheter les droits en 2014 ?
Parce qu’à sa lecture, j’en ai tout de suite vu le potentiel cinématographique. D’abord, il y avait une unité de lieu, le pensionnat Notre-Dame du Nil, et une unité de temps, l’année 1973. D’où la création d’une sorte de huis clos qui permettait de libérer une véritable énergie et une forte tension dramatique. Bien que le livre foisonne d’anecdotes qui peuvent vous disperser et vous faire perdre le fil de l’histoire, j’y ai vu des personnages porteurs de valeurs universelles, des êtres qui veulent conquérir leur liberté et partir à la recherche de leur identité.
Les héroïnes de ce film, des jeunes lycéennes, sont en quête d’émancipation. Elles souhaitent s’affranchir des tabous dans lesquels on les a enfermées, se réapproprier leur corps et leur destin et comprendre d’où elles viennent. Ce film est très politique. On y développe le mécanisme de l’émergence de la violence, qui s’avèreêtre le même dans tous les conflits et à toutes les époques.

Comment le nom du réalisateur Atiq Rahimi s’est-il imposé à vous ?
Atiq Rahimi a une élégance et une sensibilité rares. Il connaîtla douleur de l’exil. Il peut aborder les tragédies de l’histoire contemporaine, la cruauté des hommes, les origines de la violence. Il est un grand humaniste, un voyageur, mais aussi un poète et un conteur. Il avait toutes les qualités pour adapter le roman de Scholastique Mukasonga.

Vous avez cofondé les Rencontres philosophiques de Monaco. Aujourd’hui, vous êtes productrice. Qu’avez-vous trouvé de nouveau dans cette activité ?
Une énergie de groupe nécessaire à la pratique de cette profession, qui demande beaucoup de patienceet de ténacité. Les obstacles sont nombreux. Il faut trouver le financement, les comédiens, le réalisateur, faire les repérages… Produire un film est très long. Il y a toujours des tonnes d’obstacles et mille raisons d’abandonner. Ça permet de mettre à l’épreuve son envie et son courage, mais, quand le film existe enfin, les sensations sont décuplées.

(1) Notre-Dame du Nil est un film produit par Marie Legrand et Rani Massalha, chez Les Films du Tambour, et Charlotte Casiraghi et Dimitri Rassam, chez Chapter 2.

*Cet article initialement publié le 17 mars 2019 a fait l’objet d’une mise à jour

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