ANALYSE – Les nepo babies : une star peut en cacher une autre

Dans l’industrie du spectacle ou du mannequinat, l’immense présence des « enfants de » ou nepo babies au casting des films ou sur les podiums fait débat sur la Toile. Méritent-ils leur place ? Quelle que soit la réponse, le sujet fascine et divise.

Dans les grandes écoles françaises régulièrement accusées de favoriser la reproduction sociale des élites, les élèves sont briefés. Pour décrocher un job, plus question de parler de « piston », mais de « mobiliser son réseau ». Une novlangue bienvenue pour noyer le poisson du népotisme. Ce terme, dérivé de nipote (neveu en italien) est né au XVIIe siècle des faveurs indues (donations ou titres) accordées par le Vatican à de prétendus neveux. Or, même si ce phénomène n’est pas nouveau, il vient d’éclabousser le show-business où il sévit particulièrement. En décembre dernier, le New York Magazine consacre sa couverture aux nepo babies ou « fils et fille de » assortie de cet excellent titre : « Ils ont les yeux de leur mère… et leur agent« .

A l’origine de l’enquête, le débat survenu après une interview maladroite de la fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis. En novembre 2022, l’actrice et mannequin Lily-Rose Depp, 23 ans, apparue pour la première fois à 15 ans sur le grand écran au côté de son père, explique au magazine Glamour « avoir travaillé dur pour arriver à (son) niveau, malgré la célébrité de ses parents ». Dans la foulée, le top model italien Vittoria Ceretti, 1,77 mètre, qui a croisé Lily-Rose, 1,60 mètre, sur les podiums, s’indigne. Le « self made mannequin » issu d’un milieu peu favorisé déclare dans une story Instagram à propos des « fille/fils/cousin/nièce/neveu de » : « Vous n’avez absolument aucune idée du temps qu’il faut pour que les gens vous respectent réellement dans ce milieu. Des années ! Alors que vous, vous l’obtenez dès le premier jour, gratuitement. » Un coup de gueule qui n’étonne pas le sociologue Jean-François Amadieu, professeur à l’université Paris 1 et auteur de DRH le livre noir (éd. Seuil). Il explique : « Etre chirurgien ou avocat de père/mère en fils/fille demande de passer des diplômes. Le népotisme est particulièrement présent dans le show-business parce que c’est un univers qui ne nécessite pas de longues études. Dans un monde où les noms sont des marques, avoir un parent connu, c’est n’avoir plus qu’un prénom à se faire. Soit bénéficier d’un immense avantage. Cela rejoint, par ailleurs, un problème de société global, celui du déterminisme induit par l’origine sociale. Pour un véritable brassage, il faudrait repenser les modèles. Par exemple, le simple fait que les entreprises prennent de préférence des stagiaires qui sont apparentés à leur personnel est un privilège. » Et quid de notre responsabilité propre ?

Cette part de voyeurisme qui nous incite à nous régaler des apparitions des enfants de Brad Pitt et Angelina Jolie ou de la fille de Tom Cruise et Katie Holmes ? Entre fascination, jeu des ressemblances et jalousie, un public préexiste pour les enfants bien nés avant même qu’ils n’intègrent le monde du travail. Comme une appétence pour les dynasties, confirmée par le succès de la campagne Comptoir des cotonniers qui mettait en scène des duos mère célèbre/fille, dont Sarah et Yasmine Lavoine ou Charlotte Gainsbourg et Alice Attal, en 2015.

Dans un monde où les noms sont des marques, avoir un parent connu, c’est n’avoir plus qu’un prénom à se faire” Jean-François Amadieu, sociologue

Aux Etats-Unis pour un Adam Driver, fils de pasteur, la litanie des « enfants de » est étourdissante. L’actrice de la série Euphoria, Maude Apatow, 25 ans, est la fille du célèbre réalisateur Judd Apatow. Pointée du doigt en tant que nepo baby, elle a confié au magazine Porter : « J’essaie de ne pas me laisser abattre parce que je comprends, évidemment, que j’ai de la chance. Beaucoup de gens dans une position similaire à la mienne ont fait leurs preuves au fil des ans« . Dakota Johnson, fille unique des acteurs Melanie Griffith et Don Johnson, a décroché le rôle phare de Cinquante nuances de Grey à 24 ans ; Margaret Qualley, fille de l’actrice Andie MacDowell, devenue mannequin à 16 ans, donnait la réplique à Brad Pitt en 2019 dans Il était une fois… à Hollywood, de Quentin Tarantino, à 25 ans. Maya Hawke, fille des acteurs Uma Thurman et Ethan Hawke, joue dans la série Stranger Things à 24 ans ; Lily Collins, fille de Phil Collins, a décroché le rôle-titre de la série Emily in Paris à 30 ans. On ne compte plus aussi les « enfants de » qui défilent sur les podiums : Dylan Brosnan fils de Pierce, Kaia Gerber fille de Cindy Crawford, Gabriel-Kane Lewis fils de Daniel Day-Lewis et Isabelle Adjani, etc. En France, le palmarès des « enfants de » tantôt acteur, tantôt mannequin, est tout aussi riche. Il donne presque le vertige. Pour un Anthony, fils d’Alain, auquel son père a rendu ses ambitions d’acteurs difficiles, lui expliquant qu’il n’y aurait qu’un Delon dans le métier, ou un David Hallyday aux relations conflictuelles avec son père Johnny alors qu’il lui a écrit l’album qui a le mieux marché de sa carrière Sang pour sang, en 1999, combien ont suivi, sans embûches et avec talent, la voix royale ? Citons, par exemple, les acteurs Jules Benchetrit fils de Marie Trintignant et Samuel Benchetrit, Suzanne Lindon fille de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain, Emma de Caunes fille d’Antoine, Laura Smet fille de Nathalie Baye et Johnny Hallyday, Marilou Berry fille de Josiane Balasko, Eva Green fille de Marlène Jobert ; les mannequins Noé Elmaleh fils de Gad Elmaleh et Anne Brochet, Aurélien Enthoven fils de Carla Bruni et Raphaël Enthoven, Deva Cassel fille de Monica Bellucci et Vincent Cassel… Certains réalisateurs n’hésitent pas à confier directement un rôle à leur enfant. Récemment, Olivier Marchal a précisé à Télé Loisirs à propos de sa fille Zoé castée dans son film Overdose, sorti en novembre dernier : « Quitte à avoir une jeune fille stagiaire à la Crim’, autant prendre ma fille. Je l’ai retenue parce qu’elle joue bien. Si elle était mauvaise, je ne lui aurais pas rendu service ni à moi. » Même type d’argument pour Alexandra Lamy qui partage avec sa fille Chloé Jouannet le générique de la série Killer Coaster, diffusée sur Amazon Prime Video, et qui l’a choisie pour son téléfilm Touchées, diffusé en septembre 2022 sur TF1. A 50′ inside, elle a lancé : « Évidemment, si elle avait été nulle, je ne l’aurais pas prise. […] » Un entrisme risqué ? On se souvient, en 2003, de la fille de l’auteur-compositeur Gérard Presgurvic, Laura, choisie dès ses 17 ans pour incarner le personnage principal de Scarlett O’Hara dans la comédie musicale écrite par son père Autant en emporte le vent. Ce dernier assurait alors qu’elle avait passé toutes les auditions. Depuis, la jeune femme de 37 ans n’a plus décroché de premier rôle marquant. Pas question, pour autant, de dénigrer le talent de certains « enfants de ». A 64 ans et quarante-quatre ans de carrière à son actif, Jamie Lee Curtis, fille de Janet Leigh et Tony Curtis, a déclaré sur Instagram à propos des nepo babies que le débat « est juste là pour tenter de diminuer, dénigrer et blesser » avant de poursuivre par : « J’ai vécu avec les avantages que ma renommée m’a apportés […], mais cela ne signifie pas que je n’ai aucune valeur. » L’actrice Lily Allen, fille de l’acteur Keith Allen, a choisi, pour se défendre, un point de vue plus large : « Les seuls nepo babies dont vous devriez vous inquiéter sont ceux qui travaillent dans les cabinets d’avocats, dans les banques et dans la politique, si on parle des conséquences dans le vrai monde et d’opportunités volées. » Dans la même veine, la fille du chanteur Bono (U2), l’actrice Eve Hewson, à l’affiche de la série Bad Sister sur Apple TV+, a pointé du doigt la présidente du groupe possédant le New York Magazine qui a titré sur les nepo babies, Pamela Wasserstein, arrivée à son poste en 2016 après le décès de son père dont elle était l’héritière.

“Quitte à avoir une jeune fille dans mon film “Overdose”, autant prendre ma fille car elle joue bien” Olivier Marchal

Autant d’exemples au cœur des recherches de la sociologue Monique Pinçon-Charlot, spécialiste de la reproduction sociale. En France, entre les années 1980 et 2000, 70 % des enfants de cadres exerçaient un emploi d’encadrement et 70 % des enfants d’ouvriers, un emploi d’exécution. En question, la mobilité sociale. L’univers artistique ne fait donc pas exception, loin de là. A ce titre, Jean Dujardin, fils de serrurier et l’acteur Tahar Rahim, président de la prochaine cérémonie des César sont des exemples de méritocratie. Une bouffée d’air pur et d’espoir pour ceux qui partent sans capital notoriété. Le sociologue Jean-François Amadieu note : « On distingue notamment les sociétés développées des sociétés sous-développées par l’absence de passe-droits. » A méditer.

Cette interview est à retrouver dans le Gala N°1544 disponible le jeudi 12 janvier 2023.

Crédits photos : OLIVIER BORDE / BESTIMAGE

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