Elle collectionne les photos de fleurs et aime réaliser ses tutos dans les rues de New York, sa ville d’adoption, entre deux meetings pour sa marque Violette_fr ou pour Guerlain, dont elle est directrice de la création du maquillage. Rencontre avec la make-up artist française dont le prénom est sur toutes les lèvres. Et pour qui le make-up est plus qu’une affaire de pouvoir : un outil aux vertus guérisseuses.
La brosse saturée de pigments fuchsia dessine une bouche au contour parfait sur un visage aux cinquante muscles immobiles. Les sourcils épilés sont densifiés au pinceau. Face à une maquilleuse au travail, l’image de la peintre appliquant ses couleurs sur une toile vierge s’impose, évidemment. Erreur.
Violette Serrat, nouvelle directrice de la création du maquillage Guerlain, ne se voit pas en démiurge. « Je déteste l’idée qu’un visage soit une toile vierge. Les mannequins ne sont pas des cintres. Des muses plutôt. » Elle parle comme ça, Violette, avec assurance, farouche et empathique, frontale et lyrique, nature et sophistiquée.
Violette, une nouvelle approche de la beauté
Dans une industrie de l’image volontiers carnassière, l’approche est rafraîchissante. Au printemps dernier, elle créait sa marque à New York, son rêve depuis ses 8 ans : Violette_fr, d’après le nom de son compte Instagram aux 429 000 followers. « Je me revois appeler Emily Weiss, la fondatrice de Glossier. Est-ce normal de vouloir crever comme ça avant son lancement ? Elle me dit : “Oui ! Et ce n’est pas la dernière fois.” »
Le jour J, Violette_fr perce le plafond, atteignant en moins de vingt-quatre heures l’objectif de vente espéré en un mois. « C’était surréaliste ! On était en live, les chiffres étaient tellement gros, on a vendu tout le parfum en cinq heures alors que personne ne pouvait le sentir. On a dû lever des fonds immédiatement, on n’avait plus de produits », commente-t-elle.
« Enfant, j’adorais les paillettes, c’était comme si la magie existait. » Assise sur un muret au soleil à l’entrée du studio photo, Violette déroule sa biographie, celle d’une petite fille qui, côté pile, adore tout ce qui brille et, côté face, s’écorche les genoux à grimper dans les arbres. Elle grandit à Paris entre une mère coiffeuse dans la mode et un père, agent de la mère. Précision : Violette souhaite clore le chapitre parental.
Mettre des pigments dans sa vie
Elle se souvient de l’un de ses premiers chocs de couleur : « Une rose rouge-noir, un jour, dans les jardins de Bagatelle. Depuis toujours, j’essaie de la reproduire. » C’est chose faite, avec le rouge Petal bouche de Violette_fr. Violette met des pigments partout, dans sa vie chez elle à Brooklyn et sur les étagères de son bureau, sur les visages qu’elle maquille et dans tout ce qu’elle crée, inventant des couleurs incantations pour l’enchantement d’un monde qui pèse des tonnes.
À travers les tutos, j’ai beaucoup parlé de ma philosophie, un peu guérisseuse, de notre relation à la beauté qui fait du bien.
« Des films me bouleversaient, Peau d’âne et ses robes couleur de lune, du soleil et du temps, Le magicien d’Oz et ses chaussures pailletées, La belle et la bête et les larmes de diamants. » L’aura de Jacques Demy plane aujourd’hui sur certains de ses fards – Ciel de nuit, Cuivre de l’aube, Bleu de minuit – aux côtés de la petite fille qui rêvait de tendresse et de magie – Tout doux, Caramel chaud ou Scarabée d’or.
Après le lycée, elle étudie le design de mode, puis la peinture à l’École du Louvre où elle découvre la Renaissance italienne et ses palettes rouge, bleu, or, qui viennent se poser sur les peaux pâles et luminescentes.
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Le souci de la soutenabilité
Avec ses techniques d’application du maquillage délivrées sur YouTube, elle cherche à reproduire cet effet : « J’aime qu’on sente que le blush vient de l’intérieur. Je l’utilise pour reproduire cette couleur qui rosit les joues. »
Une question nous brûle les lèvres : n’est-ce pas déconcertant de parler d’eye-liner et de rouge à lèvres alors que la crise climatique fait rage ? En millenial née avec une épée de Damoclès plantée pile au-dessus de ses rêves, Violette répond comme elle est, cash : « Il ne faut pas se mentir : la meilleure façon de ne pas participer au problème est de ne pas produire. Donc oui, on participe au problème. »
À partir de là, comment faire ? « J’ai effectué pas mal de recherches. Je me suis rendu compte que, souvent, les recharges sont en plastique, les packagings biodégradables mettent dix ans à se dégrader. On est la marque qui harcèle tous les fournisseurs pour trouver des solutions vraiment soutenables. On les pousse à l’innovation. Notre objectif est d’arriver à 100 % d’upcycling. Avec Guerlain, on partage ce souci de soutenabilité, la responsable du développement durable est hyper engagée. »
Et la pythie du pigment de préciser : « C’est un honneur d’être choisie par une maison comme ça. » Une opportunité aussi pour la marque à l’abeille de prendre à fière allure le virage d’une modernité ravie par de jeunes marques nées sur les réseaux sociaux.
Un storytelling bien ficelé sur les réseaux sociaux
C’est sur Instagram et YouTube que Violette s’est fait son prénom. Avec un storytelling de compétition, elle se met en scène, Parisienne cool et stylée, actrice de sa propre vie. Filmée à Paris ou New York, elle partage plutôt qu’enseigne ses astuces beauté dans un anglais à l’accent frenchy, ponctué de « et voilà ».
Elle voulait voir ses produits de soin référencés en pharmacie : « C’était mon rêve ! Je me suis sentie tellement fière quand j’ai vu mon Boum-Boum Milk dans une officine à Paris. Cela prouvait la qualité du produit, sa dimension de soin. » La création de ce lait-crème-sérum à la sève de bouleau fermentée aurait pu lui donner des boutons tant la formule était compliquée à mettre au point : « La sève de bouleau ne se récoltant qu’une fois par an, il fallait trouver un moyen d’en conserver de grandes quantités, de la faire fermenter sans que son odeur ne ruine le produit final. C’était épique. »
Aujourd’hui, Violette travaille avec les meilleur.es ingénieur.es, mais il y a dix ans, quand elle s’installe à New York, elle joue à la petite chimiste. « J’ai commencé sans argent aux États-Unis et je n’arrivais pas à trouver les produits que je souhaitais. J’ai donc acheté des ingrédients de base pour les fabriquer. À l’époque, il y avait toute cette culture du contouring, qui créait des masques. »
Elle profite des séances photos organisées par les magazines de mode pour tester ses réalisations. « Je débarquais avec mes paillettes, mes pigments, mon coup de blush, et c’est tout. »
Un ovni chez les grandes marques
Très vite, Estée Lauder repère la longue fille à frange, ancienne make-up designer chez Dior, et l’engage pour diriger la branche maquillage. Elle y imprime sa philosophie. Pour mettre au point les couleurs de ses fards, elle photographie les fleurs du Jardin botanique de New York, pour s’approcher au plus près d’une texture, elle collectionne les échantillons de tissus achetés au marché Saint-Pierre, apporte ses trouvailles aux ingénieur.es en blouse blanche qui la regardent comme un ovni.
Son pull rose illumine son teint mat et ses yeux bruns non maquillés, seuls ses ongles sont peints, en vermillon, petites étoiles virevoltantes qui font scintiller un récit de soi qui se devine conjurateur. « J’adore l’idée d’aider les gens. À travers les tutos, j’ai beaucoup parlé de ma philosophie, un peu guérisseuse, de notre relation à la beauté qui fait du bien. J’ai besoin de réparer la femme, d’apporter de la douceur, de la rondeur, de la sécurité. C’est dû à mon histoire. En réparant les autres, je me répare. Je souffre de syndrome post-traumatique, personne ne peut imaginer ce que j’ai vécu enfant. » Silence. Elle n’en dira pas plus.
Du maquillage qui fait du bien
Directrice du maquillage chez Estée Lauder en 2017, elle a été frappée par les expériences des femmes assistant à ses masterclasses : « L’une avait de la couperose partout sur le visage. Elle me demande : “Tu crois que je peux aller en date ?” Ça m’a fait un truc… Mais bien sûr que tu vas en date ! Car tu veux rencontrer quelqu’un qui t’accepte telle que tu es. Pour que tu te sentes bien, on va détourner son attention avec quelque chose que tu apprécies. Un rouge à lèvres rouge ? Elle pensait qu’avec la couperose elle ne pouvait pas. Si, à mon petit niveau, j’arrive à générer un peu de bien-être, c’est génial. »
Cette approche, c’est la patte de Violette Serrat, qui dépasse le cliché de la « french touch« . Nos visages et nos corps sont la somme de nos matins tristes et de nos aubes joyeuses, notre peau, nos yeux, nos lèvres racontent sans fards les dérèglements de notre météo intérieure.
« Je ne vais pas changer le monde, mais je vais t’aider à aller un peu mieux, avec un joli liner bleu ou un beau rouge à lèvres rouge. Tu le mets le matin en cinq minutes, et voilà ! (…) Ça me plaît de donner cela aux femmes. »
Dans ce monde qui brûle, Violette revendique l’impact positif du maquillage. « La connexion à la santé mentale est l’un des piliers de ma démarche. Tu fais un job extrêmement difficile, à l’hôpital ou dans une association, et c’est dur. Je ne vais pas changer le monde, mais je vais t’aider à aller un peu mieux, avec un joli liner bleu ou un beau rouge à lèvres rouge. Tu les mets le matin en cinq minutes, et voilà ! Ou bien tu te contentes d’une crème qui t’apaise ou d’un parfum qui te fait du bien. Je ne vis pas cette réalité extrêmement difficile, mais parfois je me réveille avec le moral dans les chaussettes. Je dois gérer mes équipes, rencontrer des investisseurs, il faut que j’envoie du lourd. Si je me sens vulnérable, je mets du rouge à lèvres et, immédiatement, j’ai l’impression d’être protégée. Ça me plaît de donner cela aux femmes. »
Elle croit au pouvoir du « féminin sacré ». Balaie les commentaires « passifs-agressifs » de connaissances qui la jugent. « Pour elles, je me perds dans le travail, je n’ai plus de temps pour ce qu’elles considèrent être les plaisirs de la vie, par exemple le yoga. Je suis désolée, parler de yoga, ça me soûle. Et faire des smoothies, c’est pas mon truc. »
Touchante, elle se réjouit de sa réussite – « mère, créatrice, PDG, épouse, je m’éclate » – comme une gamine qui aurait effleuré le ciel. Le make-up, entre douceur et pouvoir.
Cinq looks beauté réalisés et commentés par Violette pour Marie Claire
L’accord des contrastes
« Une bouche mate, des yeux comme vernis au top coat, les textures s’opposent et pourtant tout se marie bien à la fin. »
Maquillage Guerlain avec le fond de teint L’Essentiel Eclat Naturel 01N Très Clair, la poudre bronzante Terracotta Matte Moyen, le blush Rose aux Joues 06 Pink Me Up, le fard à paupières Rouge G 2-en-1 Baume Hydratant, et le rouge à lèvres Rouge G Luxurious Velvet n°520 Mauve Plum. Soin avec Advanced Huile-en-Eau Jeunesse, Abeille Royale Eye E Repair Sérum Abeille Royale.
Chemise Louis Vuitton, top à capuche Annakiki.
Le bijou en trompe-l’œil
« J’adore traiter le maquillage en bijou d’œil, comme ici avec du violet et de l’or liquide. »
Maquillage Guerlain avec le fond de teint L’Essentiel Eclat Naturel 045N Ambre, le blush Rose aux Joues 06 Pink Me Up, à l’intérieur de l’œil, Ombres G n°214 Exotic Orchid (sortie en septembre 2022), le rouge à lèvres Rouge G Luxurious Velvet n°360 Milky Beige. Soin avec Advanced Huile-en-Eau Jeunesse, Abeille Royale Eye E Repair Sérum Abeille Royale.
Chapeaux Bonfilio Hats, cagoule et robe Kenzo, top Versace.
Le blush qui adoucit
« Il est important de garder un teint frais avec les teintes fortes, en appliquant un petit blush rosé qui casse le côté glam. »
Maquillage Guerlain avec le fond de teint L’Essentiel Eclat Naturel 02N Clair, la poudre bronzante Terracotta Matte Moyen, le blush Rose aux Joues 06 Pink Me Up, et le rouge à lèvres Rouge G n°721 Mythic Fuschia (sortie en septembre 2022), et le mascara Mad Eyes 01 Mad Black. Soin avec Advanced Huile-en-Eau Jeunesse, Abeille Royale Eye E Repair Sérum Abeille Royale.
Minirobe Saint Laurent par Anthony Vaccarello, veste Annakiki. Gants Jan Eneskey + Daniltop.
L’astuce teint frais
« Le rouge fait toujours un peu peur en make-up mais j’aime l’utiliser avec du rose, infusé d’un peu de brun pour le rendre plus portable. C’est tellement rafraichissant pour le teint : et le bronze dans le coin interne de l’œil fait vibrer le tout. »
Maquillage Guerlain avec le fond de teint L’Essentiel Eclat Naturel 02N Clair, le blush Rose aux Joues 02 Chic Pink, le fard à paupières Ombres G n°530 Majestic Rose et n°214 Exotic Orchid (sortie en septembre 2022), et le rouge à lèvres Rouge KissKiss n°364 Pinky Groove. Soin avec Advanced Huile-en-Eau Jeunesse, Abeille Royale Eye E Repair Sérum Abeille Royale.
Doudoune Jacquemus, body Miu Miu, bustier Amorphose.
Le mix de couleurs vivifiant
« Les couleurs subliment harmonieusement la morphologie du visage comme avec ce jaune, dans le coin interne de l’œil, hyper-frais et lumineux, et ce violet, en aplat sur la paupière mobile, à la fois électrique et doux. »
Maquillage Guerlain avec le fond de teint L’Essentiel Eclat Naturel 01N Très Clair, le blush Rose aux Joues 02 Chic Pink, le fard à paupières Ombres G Edition Limitée (à venir), et le rouge à lèvres Rouge G Luxurious Velvet n°360 Milky Beige. Soin avec Advanced Huile-en-Eau Jeunesse, Abeille Royale Eye E Repair Sérum Abeille Royale.
Capuche Alexis Mabille, bodysuit Alessandro Vigilante.
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