Coco Chanel disait « une femme qui se coupe les cheveux est une femme qui s’apprête à changer de vie ». Si le réflexe n’est pas automatique, il reste assez fréquent pour qu’on s’y intéresse de près. Plus souvent chez les femmes que chez les hommes, d’ailleurs, on remarque un recours à un relooking catégorique quand on veut faire table rase du passé. Oublier qu’on vient de se faire larguer ou tenter de balayer une histoire compliquée qui nous a laissé des blessures difficiles à panser.
Le coup de ciseaux, les mèches qui tombent, la couleur qui vire du brun au blond au rose néon : autant d’étapes capillaires qui dépassent la superficialité qu’on leur accole parfois, à tort. Plutôt qu’un simple rendez-vous pour soigner son esthétique, aller chez le coiffeur incarnerait-il aussi le marqueur d’un affranchissement de son ancienne vie, comme des normes sociales, pour mieux s’inscrire dans le devenir ? On a enquêté.
Nouveau look pour une nouvelle vie
Mélodie se souvient : « En 2012, je suis sortie trois mois avec un homme qui s’est, on peut le dire, complètement foutu de moi. J’étais très amoureuse, du moins c’est ce que je croyais, très jeune, et lui se prétendait très libre. Il était surtout très manipulateur. Au point de me faire accepter une relation non-exclusive qui ne me convenait pas du tout. Il me disait ‘je t’aime’ comme il lançait ‘je vais chercher du pain’, et dans la foulée m’annonçait qu’il avait passé la nuit avec une autre. Malgré les signaux évidents que ça ne mènerait à rien de bon : j’ai foncé ».
La jeune femme l’admet : la relation n’aura pas duré longtemps, mais assez pour heurter profondément son estime d’elle-même. Les histoires les plus courtes ne sont pas toujours les meilleures.
Quand il met fin à leur pseudo-couple, elle est d’abord triste. Puis se sent salie. Comme si elle n’avait pas été elle-même depuis un moment, pour mieux se plier aux attentes qu’elle projetait sur son ex-partenaire. « Je me disais qu’il fallait que je corresponde à un idéal qu’il n’avait pourtant jamais précisément formulé. Une femme avec de longs cheveux bouclés, une forte personnalité et un côté mystérieux ravageur. Une femme à laquelle je n’aurais jamais pu ressembler. »
Alors, une fois débarrassée et « pour tourner la page », elle se rend chez le coiffeur. Et de cheveux au milieu du dos, elle ressort avec un carré droit qui lui arrive sous le menton. « Je ne suis pas sûre que ça m’allait vraiment, mais je me sentais mieux, dans ma peau et dans ma tête. »
Pour Tiphaine Besnard-Santini, sexologue, ce genre de réactions n’a rien d’étonnant, et la symbolique de la coupe de cheveux « radicale » s’explique aisément : « C’est une façon de se dire qu’on va reprendre le contrôle de sa vie », estime la spécialiste. « Quand on est avec quelqu’un, parfois on s’enferme avec des idées de ce qu’il ou elle aurait aimé, et quand on se sépare, on n’a plus ces limites-là, on n’a plus à se demander si ça va lui plaire. Il n’y aura plus son regard : on peut oser. »
Elle apparente le coup de ciseaux au tatouage qui, « bien que plus catégorique car permanent », traduit souvent un réappropriation de son apparence. On en (re)devient seul·e décisionnaire, en quelques sortes. « C’est drôle », commente Mélodie quand on lui rapporte son analyse, « je me suis aussi fait tatouer à cette période ». Un oiseau sur le poignet qui semblait anodin à l’époque, mais qu’elle visualise aujourd’hui comme une sorte de marqueur d’une liberté retrouvée.
Pour soi, pour les autres et aussi en opposition aux normes
Michel Messu, sociologue et auteur d’Un ethnologue chez le coiffeur (ed. Fayard) assure de son côté que, si une coupe de cheveux franche effectuée post-rupture illustre bel et bien un changement personnel radical, et une prise en main de son quotidien, cette transformation a aussi pour but de faire passer un message à son entourage.
« Ce qui est toujours en jeu avec la coiffure, c’est l’image que l’on veut donner de soi », affirme l’expert. « On veut montrer aux autres que l’on n’est plus la personne qu’on était avant, on a envie d’apparaître autrement, de s’engager autrement dans la vie. C’est davantage un signe qu’on regarde vers l’avenir qu’un simple symbole d’une rupture avec le passé. Et parfois même un besoin de se couper très court le cheveu, voire de se raser la tête pour s’affranchir des normes qui voient la femme à travers une abondante chevelure ». Vaste sujet.
Dans les années 20, une poignée de femmes se coupe les cheveux aux oreilles. A une époque où les longues mèches nouées en chignon constituent la norme, la métamorphose sonne comme une rébellion, parfois inconsciente. « Le court symbolise alors un caractère revendicatif », écrit l’historienne de la mode et styliste Joëlle Firzli dans les colonnes du HuffPost, au cours d’un article dédié aux révolutions féministes dans le domaine. « La garçonne devient une icône de la mode. Elle est rebelle et tire son indépendance d’une conduite inhabituelle : elle fume et conduit vite, elle porte des pantalons et elle travaille. »
A ce moment-là, certes, la rupture n’est pas le motif du relooking. Mais plutôt l’envie de modernité, de simplicité, de praticité, détaille l’historienne.
La sexologue Tiphaine Besnard-Santini évoque, elle, les codes que l’on associe à la féminité : « Il y a toute une symbolique de genre, dans le fait de se couper les cheveux, d’autant plus après une déception amoureuse. Cela peut être représentatif d’une envie de se détacher des contraintes de la séduction, et donc des cheveux longs dont l’entretien est chronophage. C’est un temps qu’on investissait pour plaire à l’autre, et on peut vouloir se débarrasser de cette idée. Se dire que l’on va faire autre chose de ce temps. Le garder pour soi ».
S’accorder du temps pour soi
Allez chez le coiffeur, c’est un peu comme aller chez le psy, aussi. En (parfois) moins cher, et en moins engageant. Ou en tout cas, « c’est un lieu d’échange », indique Michel Messu. « C’est la magie du salon de coiffure : un endroit particulier, où l’on peut énoncer ce qu’on aurait du mal à dire ailleurs. »
Il y aurait même des blagues sur le sujet remonte au quatrième siècle avant JC : « L’un dit ‘comment voulez-vous que je vous coupe les cheveux’, l’autre répond ‘en silence' », raconte le sociologue. « Ce qui permet à certaines personnes de pouvoir parler facilement avec leur coiffeur, c’est que l’enjeu n’est pas de la même nature qu’avec ses proches. On peut lui dire à peu près tout, à la limite on ne revient pas et on n’en parle plus. Ou alors on se tait, on se détend et on laisse aller ses pensées. »
Au-delà de se cajoler esthétiquement, on se cajole l’esprit. « On affirme une nouvelle personnalité et on se fait du bien », poursuit l’expert. « Il y a une intervention directe sur le corps, une activité corporelle qui produit toute une sorte d’effets sur les personnes, un peu comme les massages ». Et qui nous permet de se délester d’un poids certain qui pèse sur notre moral.
Se couper les cheveux après une rupture, en fin de compte, n’a rien d’anodin. C’est une façon de se détacher d’une version de soi qui nous ramène à des souvenirs trop douloureux, pour aborder l’avenir sereinement. Être plus en accord avec soi-même, dans son corps comme dans son quotidien. Quelques centimètres contre un bien-être nécessaire, même si la parade ne suffit pas à combler un vide certain. Enfin pas tout de suite.
Huit ans après sa rupture, Mélodie a de nouveau les cheveux longs. Mais cette fois, une confiance en soi en béton. Elle repense à ce moment avec tendresse, et conclut : « le passage au salon n’a pas résolu tous mes problèmes, loin de là. Ça a mis plus longtemps qu’une demie heure à 40 euros. Mais une chose est sûre : en sortant, je me suis sentie un peu plus forte pour affronter cette étape difficile. » De quoi en inspirer plus d’une.
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