- Se faire beau et belle pour renouer avec l’estime de soi
- Un espace mixte comme une parenthèse de bien-être
- Plus qu’un centre de soins, un lieu de partage et d’écoute
- Le rôle clé des socio-esthéticiennes et socio-coiffeuses
Paris, 179, quai de Valmy. Derrière la porte de cette adresse se niche un magasin de produits d’hygiène et de beauté singulier. Décoration épurée, rangement impeccable, accueil intimiste et chaleureux : nous voici à la découverte de la boutique Emmaüs Beauté & Bien-Etre, un lieu unique en son genre dans la capitale.
Fruit de l’association d’Emmaüs Solidarité et de L’Oréal, ce lieu inauguré en juillet 2021 est en réalité un centre de beauté et de bien-être pensé pour « permettre à une personne en situation de précarité d’acquérir des produits de beauté – shampoing, maquillage, soins du corps, des cheveux, du visage, coloration et autres – et de bénéficier de soins de socio-esthétique ou de socio-coiffure », explique Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité.
Se faire beau et belle pour renouer avec l’estime de soi
L’idée derrière cette adresse ? Aider à « la réappropriation du corps et à l’estime de soi, explique Bruno Morel. Car plus la durée de vie dans la rue a été longue, plus la réappropriation du corps est un sujet dont il faut s’occuper. »
Se retrouver dans une situation de précarité signifie que l’on a pas les moyens ou le temps de prendre soin de soi. C’est le cas d’Hayat, maman de 5 enfants. Elle se rend au centre tous les deux mois pour bénéficier de soins esthétiques et capillaires gratuits : « Quand on est maman de 5 enfants, on n’a pas le temps de prendre soin de soi. De venir ici me soulage psychologiquement. Je me sens très bien quand je ressors », confie-t-elle.
Les gens sont hyper réceptifs. Le regard qu’ils se portent change. Ils veulent assumer d’autres choses dans la vie.
« Au fil du temps, on voit qu’il y a des personnes qui prennent confiance en elles. Elles se rendent compte qu’elles ont été capables de prendre un rendez-vous, de l’honorer, de venir à l’heure, de rencontrer de nouvelles personnes. Puis, elles ressortent avec un nouveau visage, une nouvelle coupe donc elles se sentent mieux dans leurs baskets », note Sarah, salariée Emmaüs et responsable de la boutique.
Cette prise de confiance les pousse à avoir de nouveaux projets, de nouvelles ambitions et de nouvelles envies. Ils se sentent capables de réaliser quelque chose. « Les gens sont hyper réceptifs. Le regard qu’ils se portent change. Ils veulent assumer d’autres choses dans la vie », confirme la jeune femme.
Ayant pour la plupart eu des parcours de vie compliqués, iels doivent apprendre à redevenir autonomes et indépendants, et à redécouvrir leurs centres d’intérêt. Ces changements se font progressivement, avec parfois des retours en arrière.
Un espace mixte comme une parenthèse de bien-être
Ouvert à tous.tes, la seule condition pour avoir avoir accès au centre est d’être accompagné au quotidien par un travailleur social d’Emmaüs Solidarité. Et étonnamment, 40 % des 330 personnes qui se sont rendues dans le centre depuis son ouverture le 9 juillet dernier sont des hommes. « C’est une grande surprise. Cela prouve que l’estime de soi concerne tout le monde, et que ces personnes ont vraiment besoin de se réapproprier leur corps », analyse Bruno Morel.
C’est le cas d’Amirouche, 58 ans, qui vient ici pour se faire coiffer. « Quand je sors, je me sens plus léger, je vois mes traits du visage. Je viens ici pour être présentable. L’accueil est super. On ne nous force pas à faire quelque chose que l’on ne veut pas », dit-il ravi de sa nouvelle coupe réalisée par Marie, socio-coiffeuse présente le vendredi matin.
Si les soins de socio-esthétiques sont des changements moins flagrants à l’œil, ils ont un réel impact sur le moral. « Ces soins les détendent. Ils se sentent bien et écoutés. Ils prennent du temps pour eux et retrouvent de l’estime. C’est une petite parenthèse », explique Sarah.
Une parenthèse de douceur dont peuvent également bénéficier tous les étudiants en situation de précarité. La journée du lundi leur est d’ailleurs dédiée. « Ils arrivent à être en confiance de suite pourtant ce n’est pas évident à cet âge. Leur apparence compte beaucoup donc ils savent exactement ce qu’ils veulent. On essaye de leur faire plaisir », explique Marie.
Plus qu’un centre de soins, un lieu de partage et d’écoute
En plus de prodiguer des soins, l’objectif du centre de beauté Emmaüs est de créer un espace de confiance et de partage dans lequel les personnes y ayant accès se sentent à l’aise. « C’est vraiment un lieu d’échanges dans un premier temps. On veut donner des produits mais on veut principalement créer du lien, souligne Sarah. Je suis en lien avec les structures. Par exemple, on peut faire remonter des soucis, des besoins de certaines personnes. C’est un espace qui se veut complémentaire des autres services de l’association. »
Entre les personnes qui viennent chercher des cosmétiques et celles qui bénéficient d’un soin, le centre reçoit environ 15 personnes par jour. « On a aussi beaucoup de personnes qui viennent pour découvrir l’espace parce qu’elles ont besoin de tâter le terrain avant de faire un soin. Cela permet de les mettre en confiance et de les rassurer », précise la jeune femme.
Le rôle clé des socio-esthéticiennes et socio-coiffeuses
Les socio-esthéticiennes et socio-coiffeuses qui se rendent au centre de beauté et bien-être ont un réel impact sur l’apparence physique mais aussi sur la santé psychologique des personnes qui viennent les voir.
On essaye de les sortir de leur quotidien et de créer une bulle d’oxygène, de bien-être
Marie, coiffeuse depuis 30 ans et socio-coiffeuse depuis 4 ans, veut apporter une autre dimension que le côté purement esthétique de la coiffure. Elle veut créer du lien social avec les personnes qu’elle rencontre. « Je veux qu’ils se sentent à l’aise et en confiance avec moi, explique-t-elle. On parle de toute autre chose que de la précarité. On essaye de les sortir de leur quotidien et de créer une bulle d’oxygène et de bien-être. »
Mais pour cette professionnelle, la chose la plus importante, c’est de leur laisser du temps, ne pas les brusquer. La plupart des gens qui viennent au centre ont connu des évènements traumatisants : « Je fais en fonction de ce qu’ils ressentent et de ce qu’ils me montrent par rapport à leur gestuelle. » L’approche se fait donc naturellement, et surtout sans préjugés : « Je me présente à eux et j’ai l’impression qu’ils ressentent que je n’ai pas de jugement, que c’est leur moment, leur parenthèse. »
Ce matin-là, la douceur et la gentillesse de Marie semblent avoir opérées sur Hayat et Amirouche qui ressortent de la boutique un grand sourire visé aux lèvres.
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