Très actives sur les réseaux sociaux, les « silver influenceuses » et égéries seniors réinventent la vie après 50 ans.
«Vieillir, c’est enfiler la cape d’invisibilité de Harry Potter (1).» C’est ainsi que Laurence Moulin, directrice générale du CEW (2), a introduit le dernier Matin de la beauté, une conférence sur le thème «Old is gold : dynamiter l’âgisme en beauté». Au centre des débats, les femmes de 50, 60 ou 70 ans bien décidées à ne pas disparaître des radars et à faire entendre leurs voix. Quel rapport entretiennent-elles avec leur âge et leur image ? Comment le marché accompagne ces « jeuniors » si diverses ?
«Il y a peu d’études sur le sujet, mais elles sont deux milliards dans le monde », rappelle Adelaïde Lohio, de L’Observatoire Beauté. Pour elle, vieille rime surtout avec pluriel. « Il y a les préseniors de 45 à 59 ans, qui font profil bas dans les entreprises ; la Gen X, de 55 à 65 ans, très consumériste ; les babys boomeuses de 65 à 75 ans, la génération pivot ultra-individualiste, et les 75 ans et plus, la génération silencieuse en pleine mutation.»
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Autant de clientes qui valent de l’or, car elles ont un fort pouvoir d’achat et n’ont pas peur du digital. Encore fidèles, mais de plus en plus curieuses et prêtes à tenter de nouvelles expériences. D’ailleurs, leur intérêt pour le naturel va crescendo. Ce sont elles qui achètent le plus de produits de beauté et se révèlent parfois plus make-up addict que les jeunes, si la qualité est au rendez-vous. Elles se sentent aussi moins perdues, savent ce qui leur convient. Le problème, ce n’est pas l’offre qui est pléthorique, mais la représentation et la communication. La plupart reconnaissent que les marques font des efforts pour avoir un discours plus réaliste et mettre en avant de vraies femmes, mais 62 % trouvent que les mannequins sont trop jeunes, trop parfaites et pas assez inspirantes.
Or, comment se projeter quand on ne se voit pas ? Si l’on en croit Béatrice Crouzatier, directrice de clientèle chez Appinio, une plateforme d’études marketing qui a fait une enquête sur le sujet (3), les femmes sont très tôt taraudées par la crainte du vieillissement. La peur commence à 30 ans et les poursuit toute leur vie. Si un tiers d’entre elles accepte la fuite du temps sereinement, un tiers se déclare très angoissé, les autres naviguant entre les deux. Le grand tabou reste la ménopause, dont elles parlent très peu entre elles. Rares sont les marques cosmétiques qui, comme Vichy, Clarins ou L’Oréal Paris, osent prononcer ne serait-ce que le mot. Et même si les quinquas-sexas portent sur elles-mêmes un regard plus bienveillant au fil des ans, la majorité se juge très sévèrement. Et ne se montre guère plus tendre avec ses congénères. Les bonnes nouvelles : avec le temps, on se sent moins bien dans son corps, mais mieux dans sa tête. Et certaines sont carrément entrées en résistance.
Sophie Dancourt
Sophie Dancourt est journaliste, auteure du blog jaipiscineavecsimone.com, « le média à remous qui donne de la visibilité à la génération des femmes de 50 ans ».
«La presse féminine parlait de tout le monde, sauf de moi. Il fallait absolument ressembler à nos filles. Si on veut que le regard sur les “vieilles” change, il faut leur montrer des images positives de femmes plus âgées pour qu’elles puissent se projeter et arrêter d’être terrorisées à la moindre ride ou au moindre kilo.
Les jeunes féministes n’ont pas du tout pris la mesure de ce qui les attend… L’âge, c’est la liberté. On peut enfin être qui on est vraiment. On met de la distance avec les injonctions diverses et variées. Les préoccupations liées aux enfants, au couple, à la famille ont tendance à s’estomper. Simone ? Comme Simone de Beauvoir et Simone Veil.»
La « Silver Révolution »
Tandis que la Silicon Valley investit des milliards dans les recherches sur la longévité, la course à l’éternité et défie la mort, d’autres déclarent la guerre à l’exclusion fondée sur l’âge. « Quand on valorise une femme mûre, c’est toujours pour dire qu’elle ne fait pas son âge », s’insurgent les rebelles. Le magazine Allure a banni le terme anti-âge depuis 2017. Même le terme « bien vieillir » passe pour une forme de ségrégation.
Les cheveux gris devenant un acte de rébellion qui nous incite à repenser notre rapport au temps. Et, bien sûr, tout a commencé sur les réseaux sociaux, nouveau terrain de jeux de ces combattantes qui s’investissent à fond dans de nouvelles activités qu’elles soient culturelles, sportives, artistiques, caritatives ou… amoureuses. D’après le site de rencontres Disons demain, la sexualité après 50 ans est plus libre qu’à 30. Une étude récente a montré que 75 % de leurs abonnées y accordent de l’importance et disent exprimer plus clairement leurs envies à leurs partenaires. Quant au podcast Coup de vieux (sur Slate), il brise les tabous et les clichés autour de la sexualité des seniors.
Natacha Dzikowski
Natacha Dzikowski est auteure de Belle et bien dans son âge (Éditions Leduc), créatrice du blog natachadzikowski.com et du compte Instagram @natacha_dzikowski.
Cette ex-directrice de communication reconvertie dans le bien-être et le développement personnel aide les femmes à vivre le changement de façon positive et décomplexée. «J’ai appris que prendre de l’âge n’est pas vieillir, que l’âge biologique n’est pas l’âge civil. Et que si on aide son corps, il nous aide en retour. Arrêtons de confondre être jeune et être vivant… J’adore cette idée d’habiter son âge comme on vit dans sa maison, de bien l’occuper, le décorer, l’entretenir, en prendre soin.»
Glamourous grand-ma
Et si le vrai progrès était de vieillir comme on a envie ? En luttant, ou pas. Au naturel, ou pas. De passer de l’age positivity à l’age neutrality. Le make-up artist Fred Marin, qui maquille de nombreuses grandes actrices, a bien perçu leur fragilité au fil des ans. Et il défend mordicus le free style. Il organise des master class «Belle après 50 ans» dans lesquelles il donne des conseils sans injonctions. «Si on a envie de se faire un smoky à 80 ans, pourquoi pas ? J’ai souvenir qu’enfant, les lèvres de ma grand-mère maquillée en fuchsia Yves Saint Laurent me fascinaient.» Il recommande juste un bon éclairage. «Être vieille, clament nos panthères grises 3.0, c’est quand on n’a plus d’envie, plus de projet et qu’on n’est plus capable de s’adapter au monde qui change.» Les glamourous grand-ma ont de l’avenir.
Caroline Ida
Caroline Ida, une influenceuse engagée aux 60 000 abonnés sur Instagram.
«Je suis une « sexygénaire » féministe, romantique et engagée», déclare cette pétulante femme de 61 ans qui a posé en sous-vêtements pour Darjeeling. À 57 ans, après un grave pépin de santé, elle a recréé sa vie sur Instagram avec pour mission de lutter contre l’invisibilité des femmes de son âge dans la société.
Son parler vrai et sa bonne humeur font mouche. Elle compte aujourd’hui 60. 000 abonnés de tous âges et de plus en plus de marques la réclament. «Je me montre telle que je suis, avec ma taille 44, ma cellulite, mes rides, mes cheveux blancs… Je le fais pour nos filles et nos petites-filles, qu’elles voient d’autres modèles positifs. Je ne juge pas la chirurgie esthétique, d’ailleurs je me suis fait refaire le nez à 18 ans, mais je défends la liberté. Ce qui nous rend le plus forte, c’est notre différence.»
(1)Extrait de l’essai « Qui a peur des vieilles ? », de Marie Charrel.(2) Cosmetic Executive Women. (3) Sur 1 000 femmes de moins et de plus de 50 ans.
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