Dans Les Jeunes Amants, le film de Carine Tardieu, l’actrice est une septuagénaire amoureuse d’un quadra, Melvil Poupaud. Un rôle intense qu’elle joue sans fards, sans tabous, libre corps et âme.
L’hôtel Régina, à Paris, lui va comme un gant. Ses couloirs de céramique céladon, son bar, ses revolving doors (portes tambour) et ses chariots pleins de bagages conviennent à l’humeur voyageuse de Fanny Ardant. Elle grignote des noisettes, parle en phrases longues qu’elle ponctue d’amples gestes des mains, entrecoupées de chuchotements, de tutoiements, et scandées de silences.
Son leitmotiv est la peur de se retrouver « engluée » dans un style, dans un milieu, dans une maison, dans une vie de mémère de famille. C’est sans doute la raison pour laquelle elle interprète admirablement le rôle de Shauna, une septuagénaire amoureuse d’un quadra dans le film de Carine Tardieu, Les Jeunes Amants.
En vidéo, « Les Jeunes Amants », la bande-annonce
Madame Figaro. – Voilà quatre décennies que vous incarnez par vos choix artistiques et vos prises de position une forme de liberté sans concession. Ce rôle s’inscrit-il dans cette volonté de bouleverser les codes de la société ?
Fanny Ardant. – Non. Je ne vois pas en quoi une femme plus âgée qui tombe amoureuse d’un homme plus jeune serait un acte révolutionnaire. Cela existe depuis la nuit des temps. Œdipe a bien épousé sa mère, Jocaste, avec qui il a eu une fille, Antigone ! C’est qu’elle lui plaisait. Ce n’est pas du tout pour choquer que j’ai accepté de jouer le rôle de Shauna, cette femme de 70 ans qui tombe amoureuse de Pierre, un homme de 45 ans.
Qu’est-ce qui vous a donc intéressée dans ce film ?
C’est l’histoire d’amour. Tout simplement. Je suis obsédée par l’amour. L’amour reçu, l’amour attendu, l’amour donné. Le scénario du film décline l’amour sous toutes ses formes, l’amour que j’éprouve pour ma fille et l’amour qu’elle me porte. Celui que Pierre m’offre et qu’il prodigue aussi à ses malades. Celui de la femme de Pierre pour son mari, qu’elle ne comprend pas. Quand il lui annonce qu’il avait une relation avec Shauna, elle éclate de rire. «Mais elle est vieille», dit-elle, médusée. Oui, elle est vieille, mais elle lui plaît en dehors de toute considération de logique, d’esthétisme, de morale. J’ai toujours pensé que les diktats empêchaient les grandes passions.
Qu’est-ce que la passion pour vous ?
C’est la fulgurance, l’urgence, l’absolue nécessité. C’est un élan, comme la vie mystique, dont personne, et surtout pas la raison, ne peut vous détourner. Mais si je rencontre un couple qui s’aime depuis le premier jour, sans arrangement, alors je me mets à genoux devant eux.
Et quand vous êtes trompée ?
J’ai envie de mourir.
Fanny Ardant avec François Truffaut en 1980. Elle sera la dernière compagne du cinéaste.
En 1984, sur le tournage de L’Été prochain, de Nadine Trintignant.
En 1988, l’actrice tourne pour Tony Gatlif dans Pleure pas my love.
Elle est également une grande comédienne de théâtre, comme ici dans Master Class – La Leçon de chant, de Terrence McNally, mise en scène par Roman Polanski en 1996.
Ça vous est arrivé ?
Oui. Le rideau du Temple se déchire. C’est comme si vous étiez un grand brûlé. Mais l’expérience ne sert à rien. Vous recommencez. Il y a une phrase dans On ne badine pas avec l’amour : «J’ai souffert, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu…» C’est pour cela que le sujet de Carine m’a plu. Et cette phrase de Pasolini que j’aime beaucoup : «Il faut brûler pour arriver consumé au dernier feu.»
Reste tout de même la question des corps et des peaux ?
La manière dont les corps sont filmés est tout simplement sublime. La réalisatrice n’a pas eu peur de filmer les chairs avec réalisme. Carine n’a pas voulu que la lumière me protège. Je l’ai laissée mettre sa vision de l’histoire comme elle l’entendait et filmer cette architecte qui s’est en partie retirée à la campagne. J’aime qu’elle ait pris ce parti de la brutalité et non celui de l’esthétisme. Tout est voulu. Les vieilles chemises de nuit que je porte, les pulls sans forme, les jupes trop longues. On filme rarement la vieillesse, surtout chez une femme amoureuse, avec autant de réalisme. D’habitude, les corps sont sublimés. Bien sûr que Shauna a peur de montrer son corps abîmé par le temps.
Et vous, aviez-vous peur ?
J’éprouvais une délectation à être cet objet de répulsion. Voilà ce que je suis, une vieille bonne femme avec une vieille chemise de nuit. Au fond, cela éclaire encore plus la qualité de mon amant, qui est un vrai homme qui aime une femme qui ne se vautre pas dans les clichés de la beauté et de la jeunesse, une femme qui ne soit pas une gravure de magazine, et cela me plaît beaucoup.
Et dans la vie, cela vous fait-il peur ?
On pense toujours que l’amour et l’ivresse de l’amour ne sont possibles qu’à 20 ans. Et qu’après plus rien n’est possible. Mais les histoires d’amour ne sont pas toujours sexuelles. Le plus important, c’est l’attirance d’être à être. Lorsque, à la fin du film, je dis à mon amant : «Sais-tu que bientôt je serai dans une petite chaise ?», il me répond : «Oui, je sais mais, en attendant, nous respirons le même air». C’est lui qui a le dernier mot.
Qu’aimez-vous dans ces histoires d’amour sans lendemain ?
Précisément qu’elles soient sans lendemain. C’est l’amour absolu. J’aime ces histoires d’amour qui ne construisent rien. La grande équivoque, c’est de croire que le mariage, c’est l’amour.
Ne trouvez-vous pas que nous assistons à un retour du couple ?
Oui, bien sûr. Les gens ont peur. Ils veulent s’enraciner. Ils veulent leur petite maison dans la prairie. Ce qui est bien naturel, nous vivons dans l’ère du vide. Il n’y a plus d’homme politique depuis que Che Guevara est mort. Il n’y a plus d’idéaux, ni d’idéalisme. Plus de religion. Il reste quoi ? Le couple et la famille, qui protègent de cette aspiration du vide.
Les Jeunes Amants, de Carine Tardieu, avec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France.
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