Sandrine Kiberlain est actrice, chanteuse et aujourd’hui, elle est aussi réalisatrice. En 1996, elle a décroché le César du meilleur espoir féminin pour son rôle d’Alice dans le film En avoir (ou pas) de Laetitia Masson et le César de la meilleure actrice en 2014 pour 9 mois ferme d’Albert Dupontel. Mercredi 26 janvier 2022 sort son premier film : Une jeune fille qui va bien. Stressée ?
Sandrine Kiberlain : Oui, c’est du stress mélangé à de l’émotion. J’ai décidé de tout dans cette histoire, donc je me mets beaucoup en avant. Je me mets beaucoup à nu et à travers cette héroïne, il y a beaucoup de moi, de mes origines. Ce n’est pas comme quand on est actrice et qu’on est cachée derrière l’histoire de quelqu’un d’autre.
franceinfo : C’est l’histoire d’une jeune fille qui va bien, elle s’appelle Irène. Elle est juive. Elle vit à fond ses 19 ans pendant l’été 1942. C’est un regard sur ce qui s’est passé, c’est un regard sur l’importance aussi de rester vigilant.
Oui, c’est ça. C’était parler de cette époque menaçante, autrement, pour une famille juive française, qui s’aime, qui se pensait à l’abri. Et puis ils vont très vite comprendre que finalement, la menace peut les toucher aussi.
« C’est un film qui se déroule sous l’Occupation, mais j’ai volontairement fait un film qui ramène les spectateurs à notre époque aussi. »
à franceinfo
C’était important pour moi qu’ils soient français dans cette France où ils se sentent protégés, puis ils voient bien que ça ne va pas durer. Mais ils ne savent pas de quoi le lendemain sera fait, alors que le spectateur sait ce qu’on sait de l’histoire de cette période des années 40 où le monde a basculé.
Je traite de l’avant « bascule », des prémices de ce monstre tapi dans l’ombre comme ça, que nous, on connaît et qu’on craint de voir surgir, alors que mon héroïne, qui a 19 ans, n’est intéressée que par ses 19 ans, par le théâtre qu’elle veut faire, par l’actrice qu’elle veut devenir, par son premier amour.
C’est aussi un hommage que vous rendez à votre famille, à celles et ceux qui vous ont accompagnée. Votre grand-père a francisé son nom pendant la guerre, on est vraiment dans le cœur du sujet.
Oui, mais sans vraiment parler d’eux non plus. Il était juif polonais d’origine et ils sont venus en France en 1933. Ils avaient 20 ans et ils ont eu chacun un peu ce que je raconte dans le film, des réactions très différentes avec les règles qui arrivent au fur et à mesure, qui font d’eux des personnes qui ne savent plus trop ce que juif veut dire, ce que juif implique. Et au fur et à mesure que l’Histoire avance, chacun prend ses restrictions nouvelles à sa façon. Le père protège les enfants et respecte les lois, la grand-mère, qui a un esprit très rebelle et jeune, est plus instinctive et contre, et ne veut pas leur donner ça.
En fait, elle ne veut pas avoir un tampon sur sa carte d’identité où est marqué : ‘Juive’. Elle ne peut avoir cette étoile jaune.
Elle ne veut pas rentrer dans ces nouvelles recommandations et faire de la juive qu’elle est, quelqu’un de différent. Elle ne veut pas.
Votre grand-mère était assez incroyable.
Elle a su affronter quelqu’un qui était proche de la famille, un gendarme, et qui est venu la chercher. Elle était enceinte et sous l’ordre des nazis, elle s’est déshabillée pour montrer son ventre. C’est plus que fort, des instincts de survie comme ça, j’en entends beaucoup. Je pense que dans des situations aussi folles et aussi risquées, aussi tragiques, on ne sait pas ce qu’on ferait pour se défendre et pour défendre ses proches. Mais je pense qu’on est capable de choses comme celle-là, par exemple. Elle était enceinte de ma mère.
Quel est votre rapport à cette judéité ? Je suis juive, c’est moi, c’est mon ADN, c’est ma famille, ce sont mes origines. On ne sait pas qui on est si on ne sait pas d’où on vient. Elie Wiesel disait : « Méfiez-vous de ne pas connaître votre histoire. On pourrait faire que vous la reviviez un jour ». Je suis dans cette mémoire, dans l’envie de ne pas oublier, dans l’envie de raconter toutes les personnes qui ont traversées cette époque et cette folie et qui vont finir par disparaître à un moment.
« On doit prendre le relais, raconter et montrer à quel point cette inhumanité ne doit plus revenir, ne doit plus faire débat aujourd’hui. »
à franceinfo
C’était important de trouver un point de vue pour raconter cette période, autrement, et donc par la joie de vivre, par cette jeunesse que je raconte, cette jeune fille et son entourage jeune.
Irène profite de chaque instant, se réfugie dans le théâtre, une énorme passion pour elle, son exutoire. Ce qui est étonnant aussi, C’est cet âge 19 ans. Elle découvre qu’elle est passionnée de théâtre. C’est un clin d’œil à votre parcours ?
Oui, c’est clair. Quand j’écrivais, je me dis : OK, j’ai Irène, elle a 19 ans. Mais qu’est-ce qu’elle va faire de sa vie ? Inévitablement, boum ! C’est une élève actrice qui veut devenir une grande actrice, rentrer au Conservatoire. C’est vrai que cela m’a replongée dans une nostalgie et dans des souvenirs de moi à cet âge-là. C’était parler du plus bel âge, pour moi, ça fait partie des années qui ont été merveilleuses parce qu’on concrétise un rêve.
Dans le film, il y a cette petite boîte noire qui est le cours de théâtre, on rentre dans les coulisses de ce cours de théâtre pour voir que c’est de l’artisanat et que c’est là qu’on s’amusait le plus, en vivant la passion du théâtre.
Ce film est une bouffée d’oxygène. C’est une réponse aussi à la barbarie et cette envie d’y croire.
C’est un regard tourné vers l’avenir, exactement. Et c’est un regard tourné vers l’avenir qui ne devrait pas arrêter une fille en chemin de cet âge-là. L’humanité face à la barbarie.
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