À Beyrouth, dont il est originaire, le créateur a famille et ami·es. Mais c’est à Paris qu’il vit et travaille depuis une vingtaine d’années, inventant des vêtements aux tonalités fortes et aux coupes empreintes de sensualité. Aujourd’hui, il assume aussi de prendre son temps et de sortir de la frénésie.
Depuis ses débuts, il y a une vingtaine d’années, Rabih Kayrouz, créateur franco-libanais, occupe une place à part dans le monde de la mode. Peut-être parce qu’il embrasse ses deux cultures avec générosité.
Ou alors simplement parce qu’il est charmant – ce qui n’est pas si fréquent – et sait sublimer les femmes dans des vêtements aériens autant que puissants. Mais aussi, probablement, parce qu’il cultive cette position légèrement décalée. Celle du pas de côté et du temps maîtrisé.
Ces derniers mois ont été, pour lui comme pour nombre d’entre nous, un moment de grands bouleversements.
À la crise sanitaire s’est ajoutée, pour Rabih Kayrouz, la terrible explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 et la situation catastrophique qui s’en est suivie.
Blessé, physiquement, et fortement ébranlé psychologiquement, le créateur a poursuivi son chemin, nourri ses réflexions. Il a changé ce qui devait l’être, saisi des occasions.
Et a, comme toujours, puisé auprès de sa famille et ses ami·es ainsi que dans sa création, les grandes joies qui remettent debout et rendent la vie lumineuse. Rencontre.
Marie Claire : Après ces mois éprouvants, on est tenté de vous demander simplement comment vous allez…
Je vais bien. J’ai passé deux semaines à Beyrouth, en septembre dernier. C’était la première fois depuis l’été 2020. Il y avait malgré tout une espèce de douceur, la lumière d’automne, les amis, la famille.
C’était joyeux de les retrouver. En même temps, cette douceur était ponctuée de douleur. Toutefois, je ne vais plus nostalgique au Liban.
Je ne m’y rends pas pour retrouver un Liban rêvé ou disparu. Je vais voir le Liban d’aujourd’hui. L’enjeu, désormais, est de comprendre comment faire mieux, améliorer les choses.
J’ai vécu ma jeunesse dans la nature, à la campagne, je voyais du vrai vert et du vrai bleu.
Vous allez donc continuer à naviguer entre Beyrouth, où vous avez famille et amis, et Paris, où vous vivez et avez vos ateliers ?
Je suis rationnel. Je suis content d’être à Paris, de me concentrer sur mon travail. Je suis aussi Français depuis quelques semaines !
Pourquoi avez-vous finalement demandé la nationalité française ?
Je me sens proche d’un pays comme la France d’un point de vue idéologique : c’est un pays de droit. Petit à petit, vivant ici depuis 2008, j’ai découvert ce qu’était la République.
Je me suis intéressé à l’aspect social de la vie, aux droits de l’homme. Aux lois sur le travail.
J’ai découvert que c’était ça qui me manquait au Liban : l’organisation sociale, la protection, le droit.
Traverser la rue avec un feu vert, sans regarder pour être sûr que personne ne va vous foncer dessus. Ouvrir le robinet et boire une eau saine. L’électricité, l’hôpital, l’école… Être Français, ce n’était pas une convenance. Je voulais faire partie de ce pays.
Quand j’ai su que je devenais Français, j’étais hyper-heureux. L’ironie du sort, c’est que j’ai déposé ma demande de papiers français le 4 août, jour de l’explosion à Beyrouth.
Je venais d’ailleurs en ville pour un rendez-vous à ce sujet…
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