Dans le doc Alcool au féminin, diffusé sur France 2 ce 8 décembre, six survivantes racontent, sans tabou, leurs années passées dans l’enfer de l’alcoolisme. Des mécanismes de la dépendance jusqu’à la renaissance, elle lèvent le voile sur une addiction qui touche de plus en plus de femmes.
Alors que la consommation moyenne d’alcool diminue régulièrement en France depuis les années 1960, passant d’une moyenne annuelle de 26 litres d’alcool pur par habitant à 12 litres en 2017 (1), celle des femmes ne cesse d’augmenter. Afterworks, apéros Skype, binge drinking… aujourd’hui 500.000 à 1,5 million de Françaises auraient une consommation problématique de l’alcool et près de 13.000 femmes en meurent chaque année. Plus difficile à détecter et à prendre en charge que chez les hommes, l’alcoolisme au féminin est aussi nettement plus stigmatisé.
Pour lever ce tabou, la réalisatrice Marie-Christine Gambard a posé sa caméra dans le cabinet de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, première psychiatre addictologue à avoir ouvert une consultation d’alcoologie réservée aux femmes, à l’hôpital Sainte-Anne de Paris. Au fil des récits, le film Alcool au féminin (2) aborde les mécanismes d’une addiction qui commence bien souvent par une consommation en société, avant de s’installer comme un rituel solitaire. Se cacher pour boire, ne pas se montrer ivre : à la dépendance s’ajoute la honte de ne pas être une bonne mère, ni une femme respectable. Enfermées dans le devoir de taire leur maladie, elles tardent à demander de l’aide ce qui retarde leur prise en charge médicale.
« Tout était construit autour de l’alcool »
Sylvie, Michelle, Isabelle, Stacy, Ariane sont des survivantes. Devenues abstinentes après des années de dépendance, elles racontent, à visage découvert, d’abord la lente et sournoise descente en enfer. «Jusqu’à 20 ans je ne consommais pas du tout d’alcool. Je ne supportais pas. J’avais une aversion vis-à-vis de l’alcool par rapport à mon passé familial», explique Isabelle. Victime d’abus sexuels dans son enfance, Isabelle a grandi avec une mère violente et alcoolique et ne veut pas «reproduire le même schéma». Mais trente ans plus tard, sous pression professionnelle et à cause «d’un besoin très fort de reconnaissance», la jeune femme tombe dans l’addiction. Comme l’explique dans le film, le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve, les violences physiques et sexuelles multiplient par 36 le risque de d’alcoolodépendance. C’est le cas de Michelle. Victime d’un mari violent, elle se met à boire pour se rendre «plus forte» et encaisser les coups. Au point d’y dépenser tout le salaire du foyer. «Je n’avais pas l’impression d’avoir une vie. Tout était construit autour de l’alcool», raconte Michelle, devenue sobre après vingt-deux ans de dépendance.
En vidéo, extrait du témoignage de Michelle, alcoolique durant 22 ans
Bouteilles cachées dans le landau
Selon la psychiatre, on constate aussi plus de risques d’alcoolisme dans les milieux de la santé, des médias et de l’enseignement. Certains comportements tels que le perfectionnisme et le sens du sacrifice constituent des circonstances aggravantes. Le risque augmente également lorsque les femmes sont en proie au stress, au harcèlement ou à une charge mentale trop importante. Après une «double journée», la tentation de décompresser avec un ou plusieurs verres d’alcool devient alors plus grande. Certaines étapes de la vie, comme le départ des enfants du foyer, génère aussi une sensation de vide intérieur et «l’alcool devient alors le meilleur ami, qui devient le meilleur ennemi», explique Fatma Bouvet de la Maisonneuve.
Ariane dénonce quant à elle l’alcool social et mondain qui l’a conduit à nier sa dépendance. Élevée dans un milieu aristocratique, elle a longtemps estimé que «tant que c’est du cristal, tant que ce sont des belles bulles, finalement il ne peut pas y avoir d’alcoolodépendance». Durant vingt ans, cette cadre supérieure fait tout pour cacher son addiction et maintenir les apparences. Sobre depuis onze ans, elle se rappelle de la honte ressentie lorsqu’elle cachait les bouteilles dans le landau ou qu’elle achetait l’alcool dans des boutiques différentes «pour brouiller les pistes».
Une maladie
«Un homme qui boit, c’est un bon vivant. Une femme qui boit, c’est une dépravée. C’est une femme qui n’est pas respectable. Et puis surtout, c’est une mauvaise mère», analyse Sylvie dans son témoignage. Alcoolique durant sept ans, elle a perdu son mari, son travail et a bien failli perdre son fils adoptif. Elle raconte le dégoût de soi-même, la perte de dignité, «l’alcool qui anesthésie tout», qui vous ôte «tout élan de vie» et «vous coupe de la féminité». Abstinente depuis neuf ans, elle milite aujourd’hui au sein de l’association Janvier Sobre, pour que l’alcoolisme soit considéré comme une maladie et «pour qu’il n’y n’ait plus de honte à en parler».
Grâce à la sincérité des témoignages recueillis, le documentaire de Marie-Christine Gambart ouvre le débat sur un problème de santé publique qui touche toutes les classes sociales. Comme l’explique la réalisatrice, «ces femmes ne sont pas des « déviantes », mais des personnes étranglées par l’addiction et le poids des responsabilités».
(1) Source : Inserm, les Français et l’alcool.
(2) À voir sur France 2, jeudi 8 décembre, à 22h55.
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