Leïla Bekhti : "Avoir fait trois enfants en quatre ans m’a apporté une force et une liberté de pensée sans commune mesure"

Avec elle, la vie s’écrit en grand. Mère radieuse de trois enfants, l’actrice césarisée, amie de la maison Tiffany & CO., multiplie les rôles entre films d’auteur, cinéma populaire et séries loufoques. Son prochain défi ? Passer derrière la caméra.

Leïla Bekhti tourne en Corse Les Aventuriers de Chupacabra, la suite de la série La Flamme, créée par Jonathan Cohen pour Canal+. Au téléphone, elle commence par un «Pardon, ça vous dérange si on se tutoie ?» Le vouvoiement n’est pas dans ses cordes. Une affaire de proximité, de simplicité, de lien direct qu’elle affectionne. Une forme de star next door, plutôt rare dans le paysage du cinéma français.

L’actrice de 37 ans est à l’image de son compte Instagram, oscillant entre pose glamour travaillée et autodérision improvisée avec ses sœurs de cinéma – Géraldine Nakache, Adèle Exarchopoulos -, parodiant les tubes de Céline Dion ou de Julie Zenatti dans sa salle de bains, avec un naturel désarmant. Côté filmographie, elle affiche aujourd’hui une trentaine de films, une quinzaine de téléfilms et séries et, au compteur de la vie, trois enfants qu’elle a eu en quatre ans (de 2017 à 2020) sans jamais interrompre les tournages. Wonder Leïla ?

En vidéo, « La Flamme », la bande-annonce

Auréolée d’une histoire d’amour – avec l’acteur Tahar Rahim – qui fait rêver dans les foyers, elle n’a jamais cessé d’être dans la lumière depuis son César en 2011 pour Tout ce qui brille. Et semble aujourd’hui pouvoir tout jouer, comme le montrent ses derniers films : La Troisième Guerre, de Giovanni Aloi, où elle interprète une militaire de la mission Sentinelle, et Les Intranquilles, de Joachim Lafosse, où elle incarne, aux côtés de Damien Bonnard, l’épouse réparatrice d’un homme victime de bipolarité.

Du cinéma populaire (Le Grand Bain, La Lutte des classes) aux films d’auteur, en passant par le registre loufoque et hautement comique (dernièrement La Vengeance au triple galop, sur Canal+), Leïla Bekthi enchaîne les rôles avec succès. Mais attention, au cours de l’entretien, on comprend que certains chemins de traverse privés sont à ne pas emprunter. Tutoyer ne veut pas dire tout dévoiler. Préserver son intimité est aussi une forme d’art chez les célébrités.

Une intranquille

«J’aime comment Joachim Lafosse parle du couple dans Les Intranquilles, de façon nuancée et jamais manichéenne. Leïla, mon personnage, a pris la décision de s’occuper, de réparer son homme victime de bipolarité, par amour et non par soumission. Ce sentiment d’intranquillité ne m’est pas étranger, mon premier rôle d’intranquille, c’était Lila dans Tout ce qui brille. C’est également un état d’esprit que je connais depuis le jour où j’ai eu mes enfants. Mais ils me permettent aussi d’avancer dans la tranquillité et de relativiser toutes les émotions liées à mon métier.

D’ailleurs, pour ce film, je venais d’accoucher de ma fille, et Joachim m’a demandé de garder mes kilos postgrossesse. Finalement, c’était cohérent avec le personnage, et bien m’en a pris car quelque temps plus tard, j’apprenais que j’étais enceinte de mon troisième enfant.»

L’art de la parodie

«J’ai grandi avec Les Nuls, avec des films comme Hot Shots, Police Academy, mais aussi avec des feuilletons comme Les Feux de l’amour ou Amour, Gloire et Beauté, où on voit toutes ces femmes au saut du lit, sans cernes, apprêtées, avec de grosses boucles d’oreilles comme si elles partaient en soirée. J’adore les parodies. Pousser le curseur comme je l’ai fait avec la perfide Crystal Clear dans La Vengeance au triple galop est jouissif, mais pas forcément plus facile car la peur du ridicule n’est jamais loin. Heureusement, ,réalisateur, ou Jonathan Cohen, qui m’a dirigée sur les deux saisons de la série La Flamme, savent, eux, très exactement où il faut s’arrêter.»

Faire du cinéma

«Mon premier casting ? Sheitan, de Kim Chapiron. J’ai 20 ans, et une copine me pousse à le passer, me demande de fabriquer un book – je ne comprenais pas ce que ce terme signifiait. Pour moi, c’était un livre en anglais. Honnêtement si je n’avais pas décroché ce rôle, je ne sais pas si je serais actrice aujourd’hui. Adolescente, je compulsais le magazine Casting, mais même quand je repérais une annonce qui pouvait me correspondre, je n’arrivais jamais à franchir le cap et envoyer des photos de moi. Le cinéma me faisait rêver mais me semblait inaccessible.

À écouter : le podcast de la rédaction

Mon grand frère, Slim, et ma grande sœur, Amel, m’ont initiée aux films de Scorsese et de Coppola. Je me souviens que Meryl Streep, Julia Roberts, Giulietta Masina mais aussi Olivia Newton-John faisaient également partie de mon panthéon. Après Sheitan, j’ai eu la chance de faire des rencontres déterminantes : Cédric Kahn, Brigitte Sy et bien sûr Géraldine Nakache, dont le film Tout ce qui brille m’a révélée au grand public. Les gens pensent que nous sommes amies d’enfance mais, en fait, nous nous sommes rencontrées sur ce long-métrage qui aura mis quatre ans à être financé. Ce qu’il est advenu ensuite de notre amitié est tout simplement magnifique.»

Mes amies, mes amours

«Géraldine Nakache, c’est ma sœur, on l’aura compris. J’ai aussi la chance de compter dans ma famille de cinéma et de cœur. On habite dans le même immeuble, je l’ai abordée après avoir vu – je lui avais envoyé un message auquel elle a tout de suite répondu -, et nous avons eu un véritable coup de foudre l’une pour l’autre. Jonathan Cohen, lui, est la personne qui me fait le plus rire au monde. Nous nous sommes rencontrés sur le tournage de Mains armées, de Pierre Jolivet. Pour la petite anecdote, on avait coupé quasiment toutes ses scènes. Il a transformé ce désagrément avec un humour et une intelligence qui m’ont soufflée. Je l’admire énormément, c’est l’un de nos plus grands acteurs en France. Tout comme Tahar (Tahar Rahim, son mari depuis dix ans et père de ses enfants, NDLR), dont le talent et l’immense travail forcent depuis toujours mon respect. L’avoir dans ma vie n’a fait que m’élever.»

En vidéo, « La Vengeance au triple galop », la bande-annonce

Famille, je vous aime

«Quand Grand Corps Malade m’a appelée avant l’été pour me proposer un duo sur la réédition de son album Mesdames, il m’a aussi offert de choisir le sujet de la chanson. C’était parti pour le sens de la famille. Je suis très proche de la mienne, chez nous, pas de pudeur, on montre nos sentiments et on passe notre temps à s’envoyer des «Je t’aime». Mon père, Mustapha, était chauffeur de taxi, et ma mère, Yamina, employée aux Assédic, était très tournée vers l’associatif. Pour eux, c’était «passe ton bac d’abord», mais après, ils m’ont laissée voler de mes propres ailes, me précisant juste qu’il faudrait que je paye moi-même mes cours de théâtre.

Dont acte, mais… seulement pendant six mois, car je n’étais pas très assidue. J’ai aussi tissé des liens très forts avec ma grand-mère Mouima, qui vivait avec nous. C’est elle qui m’a appris l’arabe. Quand je pars en vacances à Sidi Bel Abbès, en Algérie, où réside toute une partie de ma famille, je ne me sens jamais tiraillée entre mon pays d’origine et celui où j’ai grandi (entre Issy-les-Moulineaux, où elle est née, puis Bagneux et Montrouge, près de Paris, NDLR). Ma double culture franco-algérienne est une véritable richesse. Plus on sait d’où on vient, plus on sait où on va. C’est aussi ce que j’ai envie de transmettre à mes enfants (Souleymane, 4 ans, puis une fille et un garçon nés tous deux en 2020, dont elle veut préserver l’anonymat, NDLR)

Histoire de style

«J’ai toujours aimé la mode, le glamour, me faire belle, jouer avec des styles différents. Les créateurs de mode sont comme des metteurs en scène avec qui j’ai envie de raconter des histoires. Azzedine Alaïa fut l’un des premiers à me proposer de m’habiller… Au dernier Festival de Cannes, la maison Givenchy m’a dessiné un sublime costume blanc aux épaules descendues : je voulais rendre hommage à Jodie Foster, dont j’avais vu une photo dans un tailleur-pantalon similaire.

Je viens également de fêter mes dix ans de collaboration avec L’Oréal en tant qu’égérie, et depuis quelques mois, je suis ambassadrice de la griffe Tiffany. Ce sont deux maisons que j’appréciais particulièrement avant même de collaborer avec elles. Je me souviens que l’un des premiers bijoux que je me suis offerts était une petite bague Tiffany avec le T mythique. Pour moi, c’est une maison qui a toujours été liée au cinéma, et j’apprécie beaucoup son esprit avant-gardiste teinté de folie douce.»

Réalisatrice

«Début 2022, sortira sur Canal+ la suite de La Flamme, une saison 2 baptisée Les Aventuriers de Chupacabra, où je reprends, non sans délectation, le rôle de la folle Alexandra. Je serai aussi à l’affiche d’Un cœur en abîme, le premier film de Guillaume Bureau, aux côtés de Karim Leklou et Louise Bourgoin. Je joue le rôle de Julie, une femme amoureuse qui attend toujours le retour de son mari deux ans après la fin de la Grande Guerre. Je vais aussi tourner dans le prochain film de Jeanne Herry – la réalisatrice de Pupille. Et puis je termine, avec mon coscénariste, l’écriture de mon premier film À nous regarder, ils s’habitueront, qui raconte l’histoire d’une fratrie. La réalisation ? Aujourd’hui, je me sens capable de tout. Un peu comme Hulk, le personnage préféré de mon fils aîné. Je crois qu’avoir fait trois enfants en seulement quatre ans m’a apporté une force et une liberté de pensée sans commune mesure.»

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