Une monnaie numérique d’Etat va augmenter la surveillance

  • Les monnaies numériques d’Etat et d’entreprises n’ont pas grand-chose de commun avec les cryptomonnaies telles que bitcoin ou ether. 
  • Comme l’explique l’experte blockchain Sajida Zouarhi dans Le mystère Satoshi sur Arte, les monnaies numériques d’Etat, telles que l’euro numérique, utilise la technologie des cryptomonnaies pour surveiller nos comportements financiers.

A force de ne voir les cryptomonnaies que comme des actifs de spéculation, ne sommes-nous pas en train de rater la révolution ? La
Banque centrale européenne a annoncé ce jeudi qu’elle lancera courant 2023 un prototype
d’euro numérique tandis que la Chine s’apprête à lancer son yuan numérique d’ici peu.

Facebook travaille de son côté sur sa propre devise à travers son
projet Diem, anciennement Libra. Si les monnaies numériques d’Etat et d’entreprises partagent des briques technologiques avec les crypto-monnaies comme le
bitcoin ou l’ether, d’un point de vue philosophique, elles n’ont absolument rien à voir. Sajida Zouarhi, ingénieure et experte Blockchain comptant parmi les 40 femmes les plus influentes en France en 2019 selon Forbes. Elle intervient dans l’excellente série documentaire Le mystère Satoshi, aux origines du bitcoin sur
Arte​, revient sur les dangers d’une monnaie numérique centralisée.

Qu’est-ce qui différencie une cryptomonnaie comme le bitcoin d’une monnaie numérique comme Diem (anciennement Libre) de Facebook ou le yuan numérique chinois ?

La différence fondamentale entre une cryptomonnaie publique et une monnaie numérique d’entreprise ou d’Etat est la décentralisation. Avec une monnaie numérique d’entreprise ou une monnaie numérique d’Etat, on est sur des monnaies centralisées, avec un acteur qui a tout pouvoir sur l’émission de cette monnaie et sa gestion. Le bitcoin a été créé pour répondre aux valeurs cypherpunk [assurer le respect de la vie privée par l’utilisation proactive de la cryptographie]. L’idée était d’offrir un système alternatif au système financier en place. Les monnaies numériques d’Etat ne sont qu’une énième itération du système actuel. Les monnaies numériques d’entreprises sont quant à elles un outil de plus pour récolter les données des utilisateurs. Facebook (Meta) possède déjà nos cercles sociaux, et ils veulent maintenant avoir accès à nos comportements financiers.

« L’Etat aura une vision en temps réel d’absolument tout ce qu’on fait avec cet argent »

Comment expliquer que dans un cadre, la monnaie virtuelle protège la vie privée et dans un autre, elle devient un outil de surveillance ?

La technologique, c’est une chose, la manière dont on la déploie, c’en est une autre. On peut créer une blockchain et décider que les nœuds qui font tourner ce protocole sont centralisés par une entreprise. Ce n’est alors qu’une base de données glorifiée. A l’inverse, on peut créer une blockchain et une monnaie, et espérer qu’il y aura des milliers de personnes qui rejoindront ce réseau, comme on le voit avec le Bitcoin. C’est l’exécution qui compte. Les monnaies numériques créées par les banques centrales seront bien entendu gérées de manière centralisée par ces autorités. Elles peuvent utiliser le terme blockchain et tenter de faire croire aux gens que c’est de la cryptomonnaie, en réalité cela n’en est pas.

Qu’est-ce que c’est alors ?

L’Etat ne fait que moderniser un outil de pouvoir, qui est sa monnaie, pour la rendre plus rapide, plus traçable et moins onéreuse. Il va utiliser des systèmes cryptographiques qui vont permettre une traçabilité accrue et des frais de gestion de la monnaie plus bas. A partir du moment où le premier euro arrive sur notre compte bancaire, il sera tracé. L’Etat aura une vision en temps réel d’absolument tout ce qu’on fait avec cet argent. C’est une incursion de l’Etat dans les finances personnelles des gens encore plus profonde, avec des prélèvements directs et surtout une disparition progressive de l’argent liquide. A partir du moment où on a une monnaie numérique, on peut la programmer et créer des logiques de taxation bien plus élaborées qu’aujourd’hui.

Dans ce cas, faut-il craindre la création d’une monnaie numérique européenne ?

Il faut être méfiant. Le vrai danger, c’est de ne pas prendre conscience de l’opportunité de liberté financière offerte par le bitcoin, ethereum et autres cryptomonnaies. Pour la première fois dans l’histoire, un outil nous permet de créer nos propres monnaies, nos propres services financiers et de casser les élites en place. Beaucoup d’acteurs, surtout les Etats, l’ont compris, mais pas les citoyens. Aujourd’hui, le traitement médiatique des cryptomonnaies se concentre sur la spéculation. Les gens se disent qu’elles concernent ceux qui investissent, qui spéculent, qui font des paris en ligne. Le jour où les monnaies numériques arriveront, on va leur dire qu’elles sont mieux que le bitcoin. « la vraie cryptomonnaie, c’est la monnaie de l’Etat, celle en laquelle on peut avoir confiance ». Au final, les citoyens auront loupé la révolution qui est en cours.

« L’Etat ne fait que moderniser un outil de pouvoir, qui est sa monnaie, pour la rendre plus rapide, plus traçable et moins onéreuse »

Pourquoi les cryptomonnaies, pensées comme une alternative au système financier à l’origine, comme le montre Le mystère Satoshi, donnent plutôt l’impression d’être un outil capitaliste ?

C’est une image qu’on lui donne. Les gens s’intéressent plus à gagner de l’argent qu’à changer les systèmes. Mais, il y a toute une philosophie derrière. Le but est d’opérer un vrai changement et il est déjà en cours. La crypto en train de s’infiltrer dans toutes les strates de notre société.

Comment créer une monnaie numérique d’Etat qui inspire confiance au plus grand nombre, moins volatile, et qui éviterait de tomber dans le travers de la surveillance ?

La question est : pourquoi aurait-on besoin d’une monnaie numérique d’Etat alors qu’on a la possibilité de créer des monnaies virtuelles citoyennes et stables ? A l’heure actuelle, on pourrait développer une cryptomonnaie qui serait gérée en toute transparence par les citoyens, des représentants et le gouvernement. Cette option n’est même pas discutée. La question n’est pas comment créer une monnaie numérique qui inspire confiance, mais comment créer de la confiance envers l’Etat. Finalement la cryptomonnaie ne porte pas que des enjeux économiques et technologiques, mais aussi sociaux et démocratiques.

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