Le boycott d'un jeu est-il réellement une solution efficace ?

Pratiques commerciales douteuses, manque cruel d’innovation et de renouvellement, désaccords éditoriaux… Les mécontentements des joueurs vis-à-vis d’un jeu peuvent être multiples. Mais dans ce genre de cas, le boycott est-il forcément la solution la plus efficace ?

« Le client est roi ». Voilà un adage que tout commerçant a dû entendre au moins une fois au cours de sa carrière, probablement de la part d’un client en train d’exprimer son mécontentement pour X ou Y raison. Parce que oui, ne pas satisfaire un client, c’est prendre le risque de perdre une vente, de perdre le client, voire de bénéficier d’une mauvaise pub. Un secteur comme le jeu vidéo n’échappe pas à cette règle et nombreux sont les joueurs à dénoncer les pratiques de certains studios ou éditeurs sur les réseaux sociaux. Dans certains cas, cela va même jusqu’à une incitation au boycott, les joueurs en question clamant haut et fort ne plus vouloir faire partie de la machine et invitant les autres à se rallier à leur cause. Mais boycotter un jeu est-il vraiment efficace ?

Le boycott, la solution ultime ?

Dans un premier temps, nous serions évidemment tentés de répondre par la positive. Dans le secteur culturel comme dans le secteur commercial, ne pas acheter ou consommer un produit que l’on ne cautionne pas reste le meilleur moyen de ne pas adhérer à ce système et d’envoyer un message direct. Boycotter un jeu, c’est réduire le nombre de ventes de celui-ci et donc créer un potentiel manque à gagner pour un éditeur, qui va sûrement se remettre en question et modifier son fonctionnement pour mieux se conformer aux attentes de son public. Le problème, c’est que le boycott est loin d’être un processus aussi simple qu’il n’y paraît, et c’est bien pour cela que son efficacité peut souvent laisser à désirer dans la majorité des cas.

Râler c’est bien, agir c’est mieux

À une époque où les réseaux sociaux sont devenus le véritable nerf de la guerre en termes de communication, il n’est plus rare de voir des polémiques éclater pour diverses raisons. L’explication à cela est simple : il est plus facile pour les joueurs mécontents de se faire entendre et de se réunir avec d’autres personnes partageant leur opinion, ce qui permet de créer un effet de masse difficile à manquer. Activision-Blizzard, Electronic Arts, Ubisoft, Nintendo, tous ont été victimes de ce phénomène à un moment ou à un autre. Et ce n’est bien sûr qu’un petit échantillon d’exemples parmi tant d’autres car à ce stade, il serait assez compliqué de trouver un studio ou un éditeur ayant échappé à cela au cours de sa carrière.

Mais comme évoqué plus haut, le boycott est un processus particulier à mettre en place et aujourd’hui, le problème, c’est que beaucoup se contentent d’aboyer sans prendre la peine de mordre derrière. Pour le dire autrement, le fait est que râler et exprimer son mécontentement, c’est bien, mais agir derrière, c’est quand même mieux. Et c’est souvent là que le bât blesse. Nombreux sont les joueurs qui vont se laisser aller à des messages ou à des tweets assassins sur un jeu mais qui, ensuite, vont quand même passer à la caisse. Par exemple, parmi tous ceux qui ont reproché à Nintendo de vendre au prix fort une émulation paresseuse avec Super Mario 3D All-Stars, combien ont quand même précommandé ou acheté le jeu dès le premier jour « au nom de la nostalgie » ?

Idem pour le remaster de The Legend of Zelda: Skyward Sword, qui s’est vendu comme des petits pains à sa sortie malgré la colère des joueurs dénonçant un travail minimaliste pour le prix de vente. Et le phénomène est probablement en train de se répéter avec Grand Theft Auto: The Trilogy – The Definitive Edition, même si cela reste dans une moindre mesure. Le fait est que si un éditeur regarde effectivement les retours de son public, il se concentre aussi et surtout sur ses résultats commerciaux et financiers. Et les joueurs auront beau cracher tout leur venin sur les réseaux sociaux, tant que les ventes seront au rendez-vous, il n’a aucune raison de ne pas continuer. Parce qu’après tout, si ça marche aussi bien, c’est parce que ça doit plaire à « la majorité silencieuse » comme on l’appelle.

À ce sujet, Ubisoft reste probablement l’un des meilleurs exemples que l’on puisse citer. Cela fait des années que l’éditeur est régulièrement pointé du doigt pour ses nombreuses productions, auxquelles on reproche d’être toujours copiées-collées les unes sur les autres et sans identité. C’est notamment le cas d’Assassin’s Creed et de son rythme de sortie plus ou moins annuel qui, selon les joueurs, empêche la licence de bien se renouveler. Et pourtant, Assassin’s Creed Valhalla a enregistré un lancement record en novembre 2020, détrônant Assassin’s Creed III et ses 3,5 millions d’exemplaires vendus en une semaine en 2012.

Dernier exemple particulièrement parlant avec Electronic Arts, qui multiplie les polémiques auprès des joueurs pour ses pratiques commerciales douteuses mais qui rencontre pourtant plus que jamais du succès. L’année dernière, l’éditeur s’attirait les foudres des fans de foot avec FIFA 21, auquel on reprochait de n’être qu’un énième copié-collé de FIFA 20, lui-même copié-collé de FIFA 19, etc. Le site IGN avait même dénoncé le phénomène de façon très originale en copiant-collant son propre test de FIFA 20 pour FIFA 21. Mais un an plus tard, en ce mois d’octobre 2021, FIFA 22 a quand même réalisé un lancement record, au point d’occuper à lui tout seul le top 5 des ventes de jeux vidéo en France la semaine de sa sortie. Autant dire que le boycott n’est pas à l’ordre du jour donc.

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Dommages collatéraux

Cela étant dit, en prenant la question sous un autre angle, on peut également se dire que le boycott n’est peut-être pas toujours la meilleure des solutions. Car quand on y pense, par-delà les pratiques douteuses des éditeurs, il y a tout de même tout un travail réalisé par les studios et leurs développeurs qui, lui, n’est pas forcément mauvais. Ainsi, boycotter un jeu revient aussi d’une certaine manière à pénaliser le travail de tous ces développeurs qui ont fait en sorte de donner le meilleur d’eux-mêmes avec les impératifs qui leur sont imposés et sur lesquels ils n’ont pas forcément le moindre contrôle.

Là encore, l’un des meilleurs exemples reste probablement Ubisoft qui, comme nous avons pu l’apprendre en 2020, est victime d’une hiérarchie toxique pouvant brider la créativité des équipes. On pense notamment à Serge Hascoët, directeur créatif licencié en juillet 2020, qui refusait de mettre en avant des protagonistes féminines parce que « les héroïnes ne font pas vendre de jeux ». Pensez-y quand vous reprochez à Ubisoft de se contenter de laisser le choix du sexe du personnage au joueur, plutôt que de l’imposer pour le rendre moins générique. Car dans le fond, il n’est pas impossible que cela n’ait été qu’un moyen trouvé par les studios pour faire passer leur envie de mettre en scène des héroïnes malgré les directives hiérarchiques.

Le retour de bâton

Mais en plus de pénaliser le travail des développeurs, cela peut aussi revenir à se pénaliser soi-même en tant que joueur. Pour rester sur l’exemple d’Ubisoft, s’il est vrai que boycotter les Assassin’s Creed ou les Far Cry pourrait avoir un effet bénéfique à terme, cela reviendrait aussi à se priver d’expériences certes imparfaites, mais intéressantes à plusieurs titres. Après tout, si ces dernières brillent rarement par leur écriture, leur scénario ou leur originalité, on ne peut pas leur retirer leur talent à mettre en scène des univers particulièrement réussis et généreux en contenus. Un point qui, pour un joueur occasionnel, peut devenir positif car cela lui assure de très nombreuses heures de jeu sur une longue durée, et donc potentiellement la possibilité de faire quelques économies en n’ayant pas la nécessité d’en acheter d’autres.

Pour aller plus loin, cela pourrait même revenir à se priver d’expériences ouvertement exceptionnelles. Par exemple, à titre purement personnel, j’ai toujours tenté autant que possible de ne pas céder à la mode des DLC pour ne pas encourager le phénomène des jeux « en kit ». Le problème, c’est que cela voulait dire que je devais attendre la sortie d’une édition complète, ce qui pouvait prendre plus d’un an, et que je ne pouvais pas profiter de l’effervescence en découvrant l’aventure en même temps que tout le monde. Un point quelque peu frustrant, que j’ai tout de même transgressé à de rares reprises pour mes jeux préférés. Avec le coup de cœur que j’ai eu pour Horizon Zero Dawn, il m’était par exemple impensable de ne pas céder à l’appel de son extension, The Frozen Wilds, qui fut tout aussi savoureuse que l’aventure principale.

De la même manière, si je suis souvent le premier à dénoncer l’accumulation de remakes et de remasters au profit de la nouveauté, je ne suis pourtant pas toujours le dernier à passer à la caisse en fonction des situations. En tant que fan de Resident Evil, je ne pouvais pas refuser le luxe de (re)découvrir Resident Evil 2 et Resident Evil 3, qui sont par ailleurs d’excellents remakes que j’aurais regretté de manquer. Et si je n’irai jamais jusqu’à réclamer le remake de tel ou tel jeu, je n’hésiterai pas à transgresser mon envie de boycott pour peu que ce soit un titre que j’aime et/ou que je ne connais pas et que je souhaite découvrir. Alors certes, je pourrais toujours différer mon achat, mais la frustration n’en serait que trop grande pour un résultat plus ou moins similaire à l’arrivée, à savoir faire une vente en plus.

Boycott ou pas boycott, telle est la question

Bref, vous l’aurez compris, le sujet est finalement bien plus complexe qu’il n’en a l’air. À première vue, il est évident que le boycott d’un jeu est sans doute le moyen le plus efficace pour faire passer un message aux éditeurs. Toutefois, c’est une méthode compliquée à mettre en place car pour que le processus fonctionne, il faut qu’il y ait une réelle mobilisation de la part de l’ensemble des joueurs. Et étant donné que nous n’avons aucun contrôle sur ce point, tout le monde n’ayant pas les mêmes attentes ou les mêmes convictions, cela reste malheureusement trop difficile, si ce n’est impossible.

Cela n’empêche bien sûr personne d’agir de son côté, à son échelle, en toute âme et conscience, mais il peut y avoir un côté particulièrement frustrant à se dire que ça ne restera quoi qu’il arrive qu’un coup d’épée dans l’eau puisque la majorité ne suit pas. D’autant plus que comme nous avons pu le voir, cela peut finalement conduire à se pénaliser soi-même, parfois bien plus qu’on ne le voudrait, tout en pénalisant potentiellement le travail des développeurs qui souffrent eux-mêmes de directives qu’ils n’ont pas forcément choisies.

C’est probablement pour cela qu’à défaut d’agir, beaucoup de joueurs se contentent d’exprimer leur mécontentement sur les réseaux sociaux, d’interpeller directement les studios pour faire passer un message, tout en continuant d’acheter leurs jeux dès leur sortie ou même en différé. Et heureusement, même si l’action fonctionnera toujours mieux que la parole, cela peut également suffire à pousser les éditeurs à se remettre en question dans certains cas de figure. Conclusion de tout cela : il ne dépend que de vous de boycotter ou non, selon vos propres convictions.

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