A l'Opéra Comique, "Fidelio" de Beethoven enfermé dans une prison de haute sécurité

Fidelio. Ses grands yeux bleus. Ses cheveux courts, sous sa casquette de gardien de prison. Sa silhouette, de face ou de profil, offerte dans toutes les valeurs de plan grâce à un dispositif de caméra mobile se déplaçant sur le plateau au cœur de l’action.

L’iImage vidéo est omniprésente pour le rôle-titre, comme ses camarades. Fidelio de Beethoven est à l’Opéra Comique comme vous l’avez rarement vu de si près, dans une mise en scène de Cyril Teste.

Hymne à la liberté et à la justice

Fidelio est le nom qu’emprunte Léonora pour se faire embaucher, déguisée en homme, auprès de Rocco, chef geôlier d’une prison où est enfermé son mari, prisonnier politique. Persévérante, téméraire, Léonora-Fidelio parvient, en cheval de Troie, à retrouver et libérer son Florestan et, au passage, à dénoncer les conditions de détention et l’injustice dont est responsable le tyrannique gouverneur Pizzaro.

La fidélité de cette femme est l’une des dimensions de cette œuvre créée d’après Léonore ou l’amour conjugal, de Bouilly et Gaveaux. Mais c’est évidemment l’hymne à la liberté et à la justice de Beethoven, enfant de la Révolution française et artiste indépendant (non inféodé à un prince comme beaucoup de ses collègues), que l’on retient.

Logiciel carcéral mis à jour

Le metteur en scène Cyril Teste prend le parti de le restituer de nos jours, dans une prison de haute sécurité, sans doute aux Etats-Unis. Murs et sol gris, lumière artificielle, atmosphère aseptisée. Sans oublier un vaste système de vidéo-surveillance – d’où l’on voit, en y prêtant attention, Florestan dans sa cellule -. La mise à jour du logiciel carcéral est complète. Des bruitages de l’univers pénitentiaire (menottes, portes, sifflets…) viennent même s’insérer parmi les nombreux dialogues parlés, héritage du « singspiel » (chanté-récité, version germanique de l’opéra-comique).

Mais cet hyper-réalisme s’avère paradoxalement flou. Pointe-t-il les bavures policières, comme semble l’évoquer ce passage à tabac du début du spectacle ? La peine de mort en vigueur dans certains Etats américains ? Ou un contrôle permanent des citoyens, comme le suggère la caméra sur le plateau, pourtant signature récurrente des productions de Teste ?

Régal musical

Le public, lui, semble emporté tant la musique est un régal. Raphaël Pichon, venu du baroque, embarque avec dynamisme et précision son ensemble Pygmalion sur instruments anciens, en formation moyenne. Et la distribution vocale assure. A commencer par la soprano américaine Jaquelyn Wagner qui depuis la fosse accepte d’endosser le rôle-titre alors que Siobhan Stagg initialement prévue mais souffrante, maintient sa présence scénique. Jaquelyn Wagner en Fidelio touche au cœur, pleine d’espoir malgré la menace qui pèse sur son amour dans « Si loin que soit le but, l’amour y parviendra », d’une grande poésie. Et prend aux tripes par sa combativité dans le célèbre dénouement : « Tue donc d’abord sa femme ».

Avec elle, rappelons la soprano Mari Eriksmoen qui campe merveilleusement une Marzelline rêveuse dans un Quatuor en canan de grande beauté (Quel sentiment étrange). Dans les voix d’hommes, face au cruel Pizarro (le basse Gabor Bretz), le baryton allemand Albert Dohmen campe un Rocco d’une belle humanité dans son air La venue du printemps faisant des merveilles sur ses graves.

Mais c’est le ténor américain Michael Spyres qui marque le plus les esprits, en Florestan, héros de la résistance condamné, à terre lorsqu’il apparaît à l’acte II. Et ce dès un époustouflant « Gott », crescendo dramatique qui laisse les spectateurs en suspension : « Dieu, quelle obscurité ! », prononce-t-il, éclairé par derrière par de violents panneaux lumineux blancs. Jusqu’à ce que la lumière réelle vienne : « Merci à toi ! Oh ! Merci ! », lance-t-il à sa femme fidèle : « Soyez récompensés dans des mondes meilleurs ».

« Fidelio » de Ludwig van Beethoven, directtion de Raphaël Pichon, mise en scène de Cyril Teste, à l’Opéra Comique à Paris, jusqu’au 3 octobre 2021 

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