« Le Genou d’Ahed », gifle artistique du cinéaste israélien Nadav Lapid

  • Le cinéaste israélien Nadav Lapid sort « Le Genou d’Ahed », son dernier film primé à Cannes.
  • L’artiste quadragénaire fait part de sa colère vis-à-vis de l’attitude d’Israël en s’en prenant surtout à l’aveuglement de ses compatriotes.

La colère est le moteur de tous les films du cinéaste israélien Nadav Lapid. Le Genou d’Ahed,
prix du jury à Cannes cette année, ne fait pas exception. Son point de départ, c’est moins le sort réservé à 
Ahed Tamimi, jeune militante palestinienne qui a mis le feu aux réseaux sociaux pour avoir giflé deux soldats israéliens, que la réaction du député d’extrême droite Bezalel Smotrich qui avait suggéré qu’on lui tire
une balle dans la rotule pour l’empêcher de recommencer.

Cette colère, c’est Y, lui-même réalisateur et personnage principal du Genou d’Ahed, qui l’incarne (excellent Avshalom Pollak) et s’en sert pour préparer un documentaire sur Ahed Tamimi au moment où il est invité à venir parler de son travail dans un centre culturel d’une ville retirée au fin fond du désert. Là, il est accueilli par une jeune fonctionnaire du ministère de la Culture (fringante Nur Fibak), qui lui confie son admiration et avec qui il pourrait nouer une complicité intellectuelle (voire plus si affinité).

« Le Genou d’Ahed oscille souvent entre rapport érotique et rapport conflictuel, précise Nadav Lapid à 20 Minutes. Comme si rien dans le film ne se trouvait jamais à la bonne distance, ni à la bonne mesure. » A commencer par la colère sourde que le réalisateur éprouve quand la fonctionnaire lui tend un formulaire à signer, afin d’inscrire clairement le thème de la rencontre publique dans des cases préinscrites et éviter ainsi tout dérapage ou sujet qui fâche… « Cette histoire de formulaire m’est réellement arrivée », confie Nadav Lapid qui en fut choqué, même si, lui, n’a « pas eu le courage d’aller aussi loin » que son alter ego dans le film…

Une accumulation de ressentiments et de frustrations

« Le formumaire, c’est un élément narratif important du Genou d’Ahed, concède Nadav Lapid. Mais dans la tête du personnage qui a accumulé les ressentiments et les frustrations pendant tant d’années, ce formulaire existe en fait depuis toujours et ne fait que justifier une nouvelle fois sa colère : il aurait été déçu si la jeune femme ne l’avait pas sorti. » Pour autant, cette colère, « il ne faut pas forcément aller la chercher du côté de la politique, prévient le réalisateur quadragénaire, plutôt du côté de l’intime. »

Certes, il y a eu la décision de l’ancienne porte-parole de l’Armée et ministre de la Culture Miri Regev d’imposer un tel formulaire, en plus de son 
projet de loi (finalement retiré) de supprimer les subventions aux artistes « déloyaux » vis-à-vis de l’Etat. Certes, il y a eu les prises de position
virulentes et décomplexées envers les minorités d’une extrême droite pas encore arrivée au pouvoir…

Mais Nadav Lapid est surtout agacé par « l’aveuglement » de ses compatriotes qui s’obstinent à diviser le monde en deux : les amis et les ennemis d’Israël. Lui en a pris conscience en sortant de trois ans et demi de service militaire, une période où « tout avait été façonné pour faire de [lui] un héros ». Il s’est rebellé, s’est exilé un temps en France, avant de choisir le cinéma pour exprimer cette colère qu’on retrouve sous différentes formes dans Le Policier (2011), L’Institutrice (2014), Synonymes (Ours d’or à Berlin 2019) et Le Genou d’Ahed (Prix du jury à Cannes 2021). Tendu, tortueux, exigeant, ce dernier film est intensément révélateur du malaise que traverse la société israélienne d’aujourd’hui.

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