Simone Biles, les fêlures d'une championne venue d'une autre dimension

Fragilisée mentalement, la superstar américaine Simone Biles a quitté la compétition par équipe aux JO de Tokyo. À l’entraînement comme dans la vie, l’athlète a surmonté bien des épreuves avant de devenir la meilleure gymnaste de tous les temps.

«Parfois, je me demande comment je fais, j’aimerais pouvoir m’extraire de mon corps pour me voir de mes propres yeux», s’étonnait-elle après avoir raflé cinq médailles d’or aux championnats du monde en 2019. Avec un palmarès de 25 récompenses à titre individuel sur la scène mondiale, dont 19 en or, Simone Biles s’est emparée du record détenu jusque-là par le Bélarusse Vitaly Scherbo (1). Sacrée meilleure gymnaste de tous les temps, quadruple médaille d’or aux JO de Rio en 2016, elle figurait parmi les athlètes les plus attendus des Jeux de Tokyo.

Mais la pression a finalement eu raison de ses nerfs d’acier et Simone Biles a craqué durant le concours général par équipe. Après la tenniswoman Naomi Osaka à Roland-Garros, Simone Biles est la deuxième sportive de haut niveau a abandonné une compétition pour des raisons de santé mentale. «J’ai vraiment l’impression d’avoir parfois le poids du monde sur mes épaules. Je sais que je balaie ça et donne l’impression que la pression ne m’affecte pas mais p…n parfois c’est dur. Les Jeux olympiques, c’est pas de la rigolade», a-t-elle écrit sur son Instagram.

Simone Biles lors des qualifications aux Jeux de Tokyo, le 25 juillet 2021.

« Je n’ai plus autant confiance en moi qu’avant »

«Dès que je monte sur le tapis, c’est juste moi et ma tête… face à des démons dans ma tête (…)», a-t-elle expliqué à la presse. «Je dois faire ce qui est bon pour moi et me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être», a commenté la championne qui visait six nouveaux titres olympiques. «Je n’ai plus autant confiance en moi qu’avant (…). J’ai l’impression que je ne prends plus autant de plaisir qu’avant», a ajouté l’athlète de 24 ans. Ce retrait impromptu n’a pas empêché l’équipe américaine de terminer deuxième du concours général par équipe, derrières les Russes.

«Simone va continuer à être évaluée quotidiennement pour déterminer si elle participera aux compétitions individuelles de la semaine prochaine», a précisé la Fédération américaine de gymnastique. «Nous soutenons pleinement la décision de Simone et applaudissons son courage en donnant la priorité à son bien-être. Son courage montre, encore une fois, pourquoi elle est une inspiration pour tant de personnes», a commenté l’instance sur Twitter.

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Si elle est parvenue à inscrire son nom dans l’histoire du sport, la vie de la gymnaste de 24 ans ne ressemble pas du tout à un conte de fées. Née le 14 mars 1997 à Colombus dans l’Ohio, Simone et ses trois frères et sœurs ont une enfance douloureuse. Leur mère dépendante à l’alcool et à la drogue accumule les allers-retours en prison. «Je n’ai jamais pu compter sur ma mère biologique. Je me souviens que j’avais toujours faim, toujours peur», raconte-t-elle à la télévision américaine. «Mes grand-parents m’ont sauvée», dit-elle de Nellie et Ron Biles, qu’elle considère comme ses parents et qui ont changé le cours de son histoire en l’adoptant, ainsi que sa petite sœur, tandis que le reste de la fratrie a atterri chez d’autres membres de la famille.

En vidéo, le nouvel exploit de Simone Biles en réalisant un Yurchenko

« Dans le sport rien n’est donné »

Quand Simone découvre la gymnastique à l’âge de 6 ans, un entraîneur la repère immédiatement. À 8 ans, elle rencontre Aimee Boorman, l’entraîneure qui va la propulser vers les sommets et qu’elle considèrera comme sa «deuxième maman», qui veillera à son équilibre dans le sport comme dans la vie. C’est sous son aile qu’elle devient, à 16 ans, championne du monde pour la première fois, en 2013. Avec elle aussi qu’elle s’offre ses podiums olympiques en 2016. «Sans la gymnastique je me sentirais un peu perdue», raconte la sportive dans le documentaire Simone vs Herself (Simone contre elle-même) disponible sur Facebook Watch. Dans le sport rien n’est donné, tout ce qu’on a accompli, on l’a gagné. Je n’aurais jamais imaginé, quand j’avais 6 ans, en être là où je suis aujourd’hui.»

Plus petite mais aussi plus rapide et plus tonique que ses camarades, Simone dévoile rapidement des aptitudes exceptionnelles. «Je ne voyais pas ce qu’ils voyaient en moi. J’étais juste une enfant comme les autres», explique-t-elle dans le film. «En grandissant, je n’ai pas vu beaucoup de gymnastes noires», dit-elle au Vogue US, dont elle a fait la couverture en août 2020. «Donc, chaque fois que j’étais à la gym, je me sentais vraiment inspirée et je voulais être aussi bonne qu’elles. Je me souviens avoir regardé Gabby Douglas gagner les Jeux olympiques de 2012, et je me disais, « si elle peut le faire, je peux le faire ».»

Victime de Larry Nassar

En 2017, après les JO de Rio et à la suite du départ de sa coach Aimee Boorman, la Texane recrute les entraîneurs français Laurent Landi et Cécile Canqueteau-Landi. L’année suivante, alors qu’elle est au sommet de sa gloire, Simone Biles révèle être une des 265 victimes de Larry Nassar. Accusé de pédopornographie et d’agressions sexuelles, l’ex-médecin de l’équipe féminine américaine de gymnastique a été condamné, en janvier 2018, à 175 ans de prison. Sortie du silence, elle n’hésite pas depuis à dénoncer publiquement la passivité des autorités sportives américaines et leur conseille de lancer une enquête indépendante sur ces violences sexuelles. Après «tout ce que j’ai traversé avec la fédération, retrouver l’amour du sport et être simplement Simone, ça a été un long chemin», confie-t-elle.

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Racisme et injustices

Dans le documentaire qui lui est consacré, elle évoque la souffrance, les violences et les heures sombres passées sous la couette et ou en consultations psychologiques. Même si elle ne se sentait pas «obligée» de témoigner, explique-t-elle au Vogue, la gymnaste considère que c’est «un privilège de le faire pour ceux qui ne le peuvent pas». «C’est un peu comme leur donner du pouvoir.» Un pouvoir qu’elle utilise également pour soutenir le mouvement Black Lives Matter et dénoncer le racisme. «Ces manifestations pacifiques marquent le début d’un changement, mais c’est triste qu’il ait fallu tout cela pour que les gens écoutent. Le racisme et les injustices vis-à-vis de la communauté noire existent depuis des années. Combien de fois est-ce arrivé avant que l’on ait des téléphones portables ?», déplore-t-elle en référence à la mort de George Floyd. Athlète noire, elle rappelle qu’elle est aussi «beaucoup plus que ça». «Je suis unique, intelligente, talentueuse, motivée et passionnée. Je me suis promis que mon histoire serait bien plus grande que ça», revendique-t-elle.

Rôle modèle

Élue athlète de l’année en 2019, du haut de son 1,42 mètre, Simone Biles est devenue un modèle pour la jeune génération. Arborant sur ses justaucorps une tête de chèvre en strass, clin d’œil au mot anglais «goat» (chèvre) ou «Greatest Of All Time», «la meilleure de tous les temps» ne cesse de réinventer son sport et de multiplier les records et les exploits accrobatiques. Quatre figures – deux au sol, une à la poutre et une au saut – portent déjà son nom. Superstar suivie par plus de 5 millions d’abonnés sur Instagram, elle a offert à la gymnastique une visibilité internationale et peut même se targuer, d’être la première sportive à avoir son propre émoji sur Twitter. «J’espère que les enfants qui regarderont n’auront plus honte d’être bon dans quelque domaine que ce soit», expliquait-elle récemment dans une interview. Malgré la déception causée par son retrait de la compétition en équipe, les exploits de Simone Biles n’ont pas fini de faire briller les yeux des jeunes gymnastes.

(1) L’athlète a conquis 23 médailles dont six d’or aux JO de Barcelone en 1992.

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