- Bac Nord de Cédric Jimenez, réalisateur né à Marseille, est présenté hors compétition, tout comme Stillwater, film de l’Américain Tom McCarthy avec Matt Damon.
- Bonne Mère, de Hafsia Herzi, native de Manosque, concourt dans la catégorie Un Certain regard.
- Tous trois ont pour théâtre Marseille et leurs personnages « passent par la case prison », ce que regrette Katharina Bellan, spécialiste de l’histoire du cinéma à Marseille qui publie en septembre Traces de Marseille au cinéma, histoire, mémoire et topographie d’une ville.
Marseille sur le tapis rouge du Festival de Cannes. Trois films tournés dans la cité phocéenne sont en lice ou présentés cette année: Bac Nord de Cédric Jimenez et Stillwater de Tom McCarthy sont présentés hors compétition, dans la catégorie Un Certain regard on trouve Bonne Mère de Hafsia Herzi. Dans ces trois longs métrages, l’un des personnages passe par la casse prison. Une image qui colle à la ville au cinéma, ce que regrette Katharina Bellan, spécialiste de l’histoire du
cinéma à
Marseillequi publie en septembre Traces de Marseille au cinéma, histoire, mémoire et topographie d’une ville. Stillwater aborde toutefois «le thème de l’homosexualité, ce qui n’avait pas été abordé dans le cinéma marseillais».
Entre Pagnol, la pègre et l’aspect social, peut-on noter une évolution de l’image de la ville de Marseille au cinéma et que dire des films présentés à Cannes ?
A vrai dire, ces trois facettes différentes de Marseille – Pagnol, voyou, prolétariat – ont coexisté à toutes les époques. Et les trois films qui sortent au Festival de Cannes en sont un bon exemple : Bonne Mère, de Hafsia Herzi, c’est l’histoire « des gens de peu », d’après l’expression de René Allio, cinéaste marseillais d’origine populaire, italienne. Robert Guédiguian a aussi beaucoup parlé des classes populaires, mais jamais du côté de l’immigration maghrébine comme le fait Hafsia Herzi. Bac Nord, c’est le côté voyou. Cédric Jimenez a déjà opéré sur ce thème avec La French (2014), qui s’inscrit dans une filiation de films sur la mafia et les gangsters. Borsalino (1970), par exemple, avec Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, c’est complètement ça.
Et où placer «Stillwater» ?
Stillwater se situe plus à la pointe des transformations sociologiques actuelles. Avec Matt Damon qui vient chercher sa fille tombée amoureuse d’une jeune femme d’origine maghrébine, on est dans le thème de l’homosexualité, ce qui n’avait pas été abordé dans le cinéma marseillais.
Quelles sont les difficultés de filmer Marseille ? Il y a la question de l’accent par exemple, le cliché de la délinquence…
Si l’accent n’est pas un critère de réussite, ça peut en revanche faire quelque chose de franchement raté, comme la série Marseille de Netflix avec Depardieu. Le danger c’est plutôt le déterminisme épouvantable qui est collé à la jeunesse marseillaise. Et là, les trois films présentés passent ou finissent en prison… C’est aussi un des reproches que je fais à Shéhérazade (2018), de Jean-Bernard Marlin, qui commence et termine en prison. Il n’y a pas d’avenir pour ces jeunes ? C’est quoi cette façon de regarder cette jeunesse des quartiers comme des sauvages ? Alors qu’ils sont beaux, plein d’énergie et qu’on a envie de les filmer.
Décrire un futur désirable pour la jeunesse marseillaise serait donc un angle mort du filmer Marseille ?
Oui. L’angle mort, c’est montrer cette jeunesse en dehors de ce qu’elle a de hors-la-loi ou de dangereux, montrer son énergie créatrice. Mais hélas, faire finir les jeunes marseillais en prison ou mort, n’est pas nouveau. A la rigueur, dans Comme un aimant, le film d’Akhenaton, il y a la mort mais pas la prison. C’est plus tragique mais moins déterministe. Est-ce que cela montre que la société veut la prison pour ces jeunes ? En tout cas les cinéastes ne le dénoncent pas.
Avec trois films présentés à Cannes cette année, dont une réalisation américaine, peut-on parler d’une attraction nouvelle de Marseille pour les cinéastes ?
Marseille a toujours été beaucoup filmée. C’est une ville relativement dense en son centre, avec une jeunesse fiévreuse, un élément d’attraction très fort de Marseille. L’autre chose déterminante de pourquoi Marseille est filmée, c’est sa topographie. Le côté portuaire, cosmopolite est un critère qui attire les cinéastes, particulièrement les Américains. Ce qui fait de Marseille une ville américaine, c’est son melting-pot, l’avenir de l’humanité. Marseille ce n’est pas la vieille France, c’est l’Amérique. Dans sa forme urbaine aussi : les autoroutes arrivent jusque dans le centre-ville, et ça c’est très américain. Les cités aussi sont incroyablement plus photogéniques que celles de Seine-Saint-Denis parce qu’elles donnent sur un panorama extraordinaire.
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N’est-ce pas un piège que d’esthétiser la misère sociale ?
Encore une fois, c’est le déterminisme le danger. C’est d’assigner une catégorie de population à un certain type de destin. Esthétiser la misère sociale, faire que les gens du peuple soient beaux, tant mieux. Mais pourquoi tous ces parcours de personnages filmés à Marseille passent par la case prison ? C’est frappant dans ces trois bandes-annonces… Je crois qu’on fige un peu la ville dans une caricature napolitaine, or c’est faux. Mais ce n’est pas nouveau. Je me demande pourquoi les cinéastes ne veulent pas dépasser ce cliché ? Il n’en n’ont pas la volonté en tout cas, et à la fin Marseille devient le décor systématique des histoires de délinquants, alors qu’en termes de chiffres, ce n’est pas pire qu’ailleurs…
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