Sara Forestier : "Le cinéma est un métier violent, qui abîme"

Fière d’être inclassable. Dans son dernier film,« Playlist », elle s’essaie à l’éloge de l’échec. La lose… mais avec grâce et légèreté. À 34 ans, Sara Forestier refuse d’être là où on l’attend. Après avoir donné « quinze ans de sa vie au drame », l’actrice déjà récompensée par deux César veut se consacrer à la comédie. « Le rire, nous dit-elle, les acteurs aussi en ont besoin. »

Organiser un rendez-vous avec Sara Forestier n’est pas une mince affaire. L’actrice réside entre de modestes hôtels du XIe arrondissement de Paris et « la campagne », un lieu tenu secret où elle passe le plus clair de son temps, et elle ne répond que rarement au téléphone puisqu’elle ne possède plus de portable depuis quatre ans. La photographier s’avère encore plus complexe. Dans le métier, on la dit « ingérable ». Un terme fréquemment employé pour les femmes qui s’imposent, qui ne souscrivent pas à l’injonction « sois belle et tais-toi » et qui ont le défaut d’afficher leur caractère.

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Pour le shooting, l’actrice choisit une première tenue du vestiaire prévu pour l’occasion, un pantalon chic et une chemise vintage ; elle s’habille, hésite… puis se réfugie finalement dans l’immense sweat-shirt taché qu’elle portait en arrivant. Ça fera l’affaire ! Maquillage minimum. Sara Forestier entend rester elle-même à tout prix : vingt ans à jouer des rôles l’ont rendue allergique aux faux-semblants et aux costumes qui ne lui « ressemblent pas ». En photo, elle ne tient pas à se montrer jolie – un doigt d’honneur au diktat de la beauté imposée aux actrices – mais ne supporte pas, non plus, de se trouver laide. Délicat de parvenir à un compromis ! Elle paraît stressée, presque apeurée, mais se montre infiniment gentille avec les équipes.

Sara aussi a connu son lot de violences au cinéma

« Quand j’ai commencé à m’insurger contre l’injonction au glamour pour les actrices, raconte la jeune femme, c’était parce qu’on me demandait encore d’entrouvrir la bouche et de me cambrer en séance photo. Aujourd’hui, les choses changent. Mais, il y a cinq ans, ce n’était pas le cas. » En 2017, le tsunami #MeToo s’abat sur l’industrie du cinéma et en modifie les mœurs, de force plus que de gré. « Nous sommes arrivés à l’étape où les gens s’autofliquent un peu plus », explique Sara avant de marquer un temps de pause interminable. « La prochaine est celle où chacun prendra ses responsabilités. Harvey Weinstein est tombé ; c’est une bonne chose, mais ses complices sont restés intouchés. J’attends avec impatience que le système, qui a permis à un homme comme Weinstein d’agir, soit déconstruit. Ce à quoi Adèle Haenel s’attaquait en quittant la cérémonie des César. Nous n’avons parlé que du courage de sa parole sans vouloir analyser pourquoi elle n’a pas pu parler pendant aussi longtemps. Pourquoi sommes-nous dans un système qui contraint une femme à treize années de silence ? »

Elle a le sourire aux lèvres, mais une pointe de tristesse dans le regard. Sara aussi a connu son lot de violences au cinéma. En 2017, un acteur – Nicolas Duvauchelle – la gifle sur le tournage de « Bonhomme », de Marion Vernoux. Elle quitte le plateau, remplacée au pied levé par Ana Girardot. Durant les mois qui suivent l’incident, l’affaire s’ébruite via l’équipe du film et une rumeur se répand : ce serait Sara qui aurait giflé Duvauchelle. « Ils avaient peur que je parle, ils ont donc voulu me décrédibiliser en prétendant que j’avais frappé quelqu’un. Si j’avais su qu’ils mentiraient de cette manière, je ne me serais pas tue sur le moment, parce que j’ai été trop gentille et ça s’est retourné contre moi. Ça a été vraiment très difficile. »

Face à l’hostilité collective, heurtée par les ragots à son encontre, Sara décide de se retirer un temps. Sa filmographie, importante, s’étiole tandis que celle de Nicolas Duvauchelle décolle. « J’ai beau connaître mes valeurs et être en phase avec moi-même, j’ai dû m’extraire de ce milieu afin de me protéger. Indéniablement, c’est un métier violent, qui abîme. Ceux qui le font avec leur cœur peuvent finir drogués ou défoncés mentalement. Mon retrait est une réaction saine. Je suis abîmée mais j’ai su dire stop : ma vie est plus importante que ce milieu. » La pandémie de Covid-19 tombe alors comme une bénédiction. « Le chaos m’habitait, et le fait qu’il y ait le chaos dans le monde m’a fait du bien. J’étais rassurée de nous sentir tous vulnérables, parce que moi, je n’arrivais plus à suivre le rythme. »

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Dans mes rôles, j’ai quelque chose d’un peu punk caché par une grande douceur

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Dans une société obsédée par le succès, la vulnérabilité effraie davantage que l’infirmité ou la laideur. Sara Forestier en a fait sa spécialité et a incarné à répétition des personnages à fleur de peau, avec une justesse inconfortable. Pour elle qui fut découverte à 13 ans lors d’un casting de jingles pour Canal J, le cinéma s’est imposé comme une évidence. De « L’esquive », d’Abdellatif Kechiche, à « M », qu’elle réalise et où elle interprète une bègue, en passant par « Hell », de Bruno Chiche, « Suzanne », de Katell Quillévéré, ou « La tête haute », d’Emmanuelle Bercot, la comédienne césarisée à deux reprises multiplie les rôles dramatiques, tiraillée entre le désir de plaire et un anticonformisme viscéral. On lui reproche dans la vie ce qu’on aime chez elle à l’écran. « Dans mes rôles, j’ai quelque chose d’un peu punk caché par une grande douceur », analyse-t-elle après un énième silence prolongé. « J’ai beaucoup d’empathie pour les êtres humains. Peut-être trop, parfois. Ma liberté vient de l’éducation que mes parents m’ont donnée. Ils m’ont permis d’être qui je voulais. L’existence est tellement sauvage et brutale ! Sans douceur, c’est invivable. »

Loin de ses rôles habituels, Sara interprète dans « Playlist » une dessinatrice en herbe, en quête d’amour et de reconnaissance professionnelle, toujours à fleur de peau. Une Bridget Jones parisienne victime du mal du siècle, les puces de lit, qui tombe amoureuse de son vendeur de matelas plutôt que de Hugh Grant. Filmée en noir et blanc, ce premier long-métrage de Nine Antico est une ode à l’amitié féminine et une néo-comédie romantique comme on en voit peu dans le cinéma français. « Ce film fait l’éloge de la lose et j’ai aimé ce rôle, parce que je trouve courageux d’affronter par le biais d’un personnage féminin l’échec, qui reste un tabou dans notre société. Pourtant, la beauté se situe dans les failles et la vulnérabilité. Ta vie est peut-être éclatée au sol mais tu vaux quand même de l’or. »

Le registre du film semble comique, mais Sara y devine sans doute un parallèle entre sa trajectoire et celle de Sophie, l’héroïne. « J’ai perdu le goût des plateaux, notamment à cause de ce qui s’est passé sur le tournage où j’ai subi de la violence. Ça m’a traumatisée, j’ai perdu confiance dans les gens du cinéma et je ne m’entendais plus avec eux. Le piège s’est refermé sur moi, car j’étais méfiante et ça provoquait des crispations dans mes rapports avec les autres. Je me sentais jugée et on me pointait du doigt en disant que j’étais folle… C’est le sort des femmes qui refusent de se soumettre. Parce que je n’ai pas accepté l’humiliation et la violence, on a voulu me faire passer pour une ingérable. » Elle se reconnaît en Maïwenn qui porte, elle aussi, cette étiquette. « Il y a énormément d’hypocrisie. Les questions d’argent priment l’humain. On se sépare difficilement d’un agresseur sur un tournage, c’est trop coûteux au niveau des assurances. L’argent est le nerf de la guerre. »

Sara écrit actuellement une série et un long-métrage qui relèvent du registre comique : « Et attention, ce sont des grosses comédies, précise-t-elle, pas des comédies d’auteur. »

Alors qu’elle n’appartient plus qu’artistiquement au monde du cinéma, Sara s’est résolue à une forme de solitude, lot de ceux qui nagent à contre-courant. « La solitude fait partie de l’existence. J’ai pratiqué la superficialité sociale. Mais je n’y arrivais pas, faire semblant, c’est du temps où l’on n’a pas le plaisir d’être soi. » Lors de l’interview, Sara confie qu’elle souhaite arrêter le métier d’actrice ; mais, deux jours plus tard, elle nous rappelle pour clarifier ses pensées : « C’était simplement ce que je ressentais à un moment précis. » Son personnage dans « Playlist » marque le début d’une nouvelle ère dans sa carrière, car Sara écrit actuellement une série et un long-métrage qui relèvent du registre comique : « Et attention, ce sont des grosses comédies, précise-t-elle. À la “40 ans, toujours puceau” de Judd Apatow, pas des comédies d’auteur. »

La preuve, elle vient d’achever le tournage de « Haters », avec Kev Adams, pour Prime Video. « Il n’y a pas de mode d’emploi pour le métier d’acteur. Je n’ai compris que tardivement que je m’abîmais à faire des drames, car j’étais seule face à mes émotions, tout le contraire des rôles comiques. Le rire est nécessaire pour le public, pour les comédiens également. Tu fais rire l’équipe à la première prise et tout le monde change de regard sur toi. Je me sens bête d’avoir attendu aussi longtemps pour faire des comédies. » La légèreté peut réconcilier Sara Forestier avec les plateaux de tournage.

Vidéo: PLAYLIST Bande Annonce (2021) Sara Forestier, Comédie Française (Paris Match)

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