C’est une expression qui fait de la résistance dans les cabinets des médecins, diététiciens et autres nutritionnistes. « Le poids de forme est celui dans lequel vous vous sentez bien, qui reste à peu près stable sans que vous vous imposiez un régime draconien », définit d’emblée le Docteur Pierre Nys, endocrinologue, diabétologue et nutritionniste, auteur de Ma bible zéro sucre (Editions Leduc). Subjectif, donc.
Et plutôt l’apanage des professionnels du monde du sport. « Les athlètes baignent dedans », confirme Bénédicte Le Panse, autrice de Rééquilibrage alimentaire. Stop aux régimes, atteindre ses objectifs de poids sans privation (Editions Amphora). « En période de compétition, on peut être amené à se maintenir légèrement en dessous pour être au mieux de ses performances », nuance l’ex championne du monde de force athlétique devenue docteur en physiologie.
Trois poids, un indice
Pour le commun des mortels, les professionnels préfèrent l’expression de poids de santé. Cette référence étant aussi synonyme de poids idéal. Vous suivez toujours ?
Heureusement, cette valse à trois termes est contre balancée par l’allié indéfectible des grilles d’évaluations pondérales : le fameux Indice de Masse Corporelle, ou IMC. Ce dernier se calcule de manière précise : il est égal à votre poids en kilogrammes divisé par le carré de votre taille en mètre. L’indice doit se situer, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, entre 18,5 et 25 kg au mètre carré. Sous 18,5, la personne est en insuffisance pondérale ; au-dessus de 25, elle est clairement en surpoids.
Autre formule mathématique, fausse, celle-là : le poids idéal s’obtiendrait selon la règle de « la hauteur moins dix ». Exemple : si je mesure 1,70 m, je devrais peser 60 kg. « Ce calcul est une aberration, et on le sait depuis longtemps », balaie le Dr Pierre Nys. Et pourtant, on continue de l’entendre régulièrement ou de le lire sur certains forums.
Les formules mathématiques pour calculer son poids de forme
Plusieurs calculs mathématiques proposent d’évaluer le poids de santé. La formule de Broca tient compte de la taille ; celle de Monnerot-Dumaine et Bornhardt la complètent respectivement avec la circonférence du poignet et le tour de poitrine. La formule de Creff prend en considération l’âge et la morphologie de l’individu.
« Aucune ne peut évidemment refléter la réalité », relativise le Dr Nys. Pour être plus précis, il faut, d’après lui, évaluer le pourcentage de masse grasse. Ce dernier se mesure notamment par les balances à impédancemétrie ou, plus grossièrement, le pli cutané. Ces techniques ne permettent toutefois pas d’appréhender la graisse abdominale, plus embêtante sur le plan métabolique.
Selon le Dr Vicente Mera, responsable de la médecine interne et anti-âge de la Sha Wellness Clinic en Espagne, le pourcentage de masse grasse pour les femmes est considéré comme normal sous 31%. Il passe en excès (surpoids) entre 31 et 33%, et signe l’obésité au-dessus de 33%. Mieux vaut donc être précis ! Or, les balances à impédancemétrie ne le sont pas.
« Elles peuvent être influencées par la température du corps (après un entrainement ou une douche), voire les crèmes et lotions appliquées en amont de la pesée. Leurs données méritent aussi des ajustements en fonction du genre ou des habitudes sportives », pointe le spécialiste. Autre limite : ces techniques ne permettent pas d’appréhender la graisse abdominale, plus embêtante sur le plan métabolique. Selon l’expert en médecine préventive, la circonférence abdominale constitue pourtant un critère essentiel de santé : il doit se situer sous 88 cm pour les femmes. Enfin, le ratio entre les tours de la taille et des hanches devra être inférieur à 1.
Des notions subjectives et relatives
Tristement, poids idéal et IMC continuent d’obséder de nombreuses personnes, notamment des femmes, en prise avec leur balance. Ces repères peuvent même engendrer des troubles du comportement alimentaire, surtout chez le jeune public.
« J’évite d’utiliser ces termes mais les clientes réclament des chiffres, souvent au mépris leur constitution. Or, nous n’avons pas toutes le même corps ni le même métabolisme. Un changement profond de point de vue doit se faire », constate Bénédicte Le Panse.
Selon elle, à taille et poids égaux, deux femmes n’auront pas le même ressenti corporel. Un poids donné conviendra à l’une, mais pas l’autre. « Tant que les apports nutritionnels sont équilibrés, tout va bien. Les proportions de lipides, glucides et protéines doivent répondre au besoin de notre morphotype, notre activité, notre âge et nos hormones. Il faut veiller à ce que le poids soit en osmose avec ce que nous sommes », résume la fondatrice de la Méthode Alimentaire Le Panse.
L’IMC, à prendre avec des pincettes
« Tant que l’IMC est correct, l’essentiel est de se sentir bien, d’être en bonne santé », abonde la naturopathe Céline Touati. Dans son ouvrage Les régimes, c’est fini ! (Jouvence), la naturopathe dénonce des repères pondéraux qui datent, à commencer par l’IMC. « C’est une hérésie. À part culpabiliser les gens, il ne sert pas à grand-chose. Sans compter qu’il ne veut rien dire chez un sportif », argumente-t-elle.
Illustration : deux personnes de 100 kg et de la même taille, l’une, haltérophile, l’autre, sédentaire endurcie, présenteront le même IMC alors que leur structure métabolique sera radicalement différente.
Autre souci, avec ces critères : ils se basent sur des morphotypes standards. « Avoir le bon IMC n’équivaut pas à se sentir bien dans son corps. Quant au fameux poids de forme ou de santé, il devrait être justement celui où l’on est en forme. Mes nouveaux patients sont toujours surpris car je ne les pèse pas, je leur demande surtout s’ils se sentent bien », raconte Céline Touati.
La naturopathe, qui a été obèse à un moment de sa vie, partage sa propre expérience sur le sujet : « J’ai beaucoup maigri pour atteindre le poids que l’on m’avait fixé. Une fois au bout de mes peines, je me trouvais beaucoup trop fine ; mon visage, très creusé, me vieillissait », témoigne-t-elle. En reprenant volontairement deux kilos, la jeune femme s’est sentie mieux, plus belle et en meilleure santé.
Des outils utiles seulement en situation de réelle difficulté pondérale
« Ces critères ne répondent pas un absolu, leur évaluation cible à une fourchette. L’IMC donne par exemple une idée de la surcharge pondérale, s’il y en a une, et, le cas échéant, du degré d’obésité. Ce dernier est particulièrement important à diagnostiquer chez les enfants et adolescents », éclaire le Dr Pierre Nys. « Quand il est atteint chez cette population, le degré 2 indique une haute probabilité de ne jamais revenir à la norme, avec les risques cardiovasculaires ou articulaires qui vont avec ».
Le médecin note par ailleurs que leur proportion est en progression constante. En cause : les diktats de maigreur imposés un temps par les canons de beauté auraient volé en éclats. « Les jeunes n’en ont plus grand-chose à faire d’avoir de grosses fesses. Cette évolution des schémas corporels a du bon et du moins bon ». Le Dr Nys appelle donc à un discours prudent, qui sache mettre en garde s’il le faut. « À 15 ou 16 ans, il est facile de déraper sur le plan de l’hygiène de vie, effet de groupe oblige. Sodas et malbouffe accompagnent souvent la première clope ; certains abus ne sont pas faciles à récupérer une fois adulte », prévient-il.
Même son de cloche du côté du Dr Vicente Mera : « les adultes dont l’IMC se situe entre 20 et 25 ont une espérance de vie supérieure de 25% à ceux qui sont en surpoids (IMC entre 25 et 30). Ce chiffre monte à 50% quand on les compare à des individus dont l’IMC dépasse 30, cap de l’obésité ; il double encore (100%) par rapport aux IMC supérieurs à 35 ».
Quid de la préoccupation maladive de certaines pour le poids idéal ? « Les personnes qui ne sont pas en surpoids n’ont aucune utilité de ces échelles réservées aux personnes en réelle difficulté pondérale. C’est à dire des profils trop maigres ou trop gros. Ces références sont des garde-fous pour éviter les dérapages », rappelle le professionnel. « Ils sont intéressants notamment pour déclencher un déclic chez la personne. Ils sont aussi plus concrets pour faire passer des messages percutants pour les individus en situation limite », commente Céline Touati.
Se concentrer sur ses sensations plutôt que sur des chiffres abstraits
En dehors d’une situation de santé spécifique, on fera donc abstraction des chiffres pour nous concentrer sur la sensation, boussole salutaire pour naviguer dans nos problématiques de poids.
En bémol, Céline Touati explique à quel point il peut être compliqué pour certaines d’appréhender leur ressenti de manière juste : « ces impressions se construisent dès l’enfance, en miroir avec la mère mais aussi en fonction du regard que porte le père sur leur corps. Les hommes se posent bien moins de questions sur le poids de forme », décrit-elle.
Pour éviter de se laisser embarquer dans des états d’âme stériles, Céline Touati propose l’astuce du pantalon témoin. Celui dans lequel vous vous sentez bien, à l’aise et belle au long cours. La thérapeute invite à le garder en repère : « Il vous dira si vous avez épaissi ou au contraire si vous vous êtes trop affinée ». Un bon moyen de garder la balance – et les prises de têtes qui vont avec – au loin.
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