Grand prix des lectrices ELLE : Colum McCann, gagnant du prix du roman

Colum McCann reçoit le Grand Prix du Roman pour son livre « Apeirogon » (Belfond). Rencontre.

« Apeirogon » est l’histoire vraie d’une amitié inespérée. Nés pour se haïr, Bassam Aramin, Palestinien, et Rami Elhanan, Israélien, sont devenus amis au moment le plus éprouvant de leur existence. En l’espace de dix ans, chacun a perdu une fille sous le feu incessant des affrontements entre les deux peuples. À travers une fresque romanesque vertigineuse, l’immense Colum McCann raconte leur combat pour la paix, tout ce qui les sépare et les rassemble, mais aussi chaque fragment d’un conflit qui nous concerne tous. Une leçon d’espoir plus que jamais indispensable.

ELLE. Comment avez-vous rencontré Rami et Bassam, les deux héros réels de votre roman ?

COLUM McCANN. En novembre 2015, j’ai séjourné en territoire israélo-palestinien avec d’autres artistes. À la fin du voyage, nous sommes allés dans une petite ville en dehors de Jérusalem qui s’appelle Beit Jala. J’y ai vu deux hommes attablés autour d’un café, Rami et Bassam, et je me suis assis pour les écouter. En l’espace d’une demi-heure, j’ai été changé pour toujours. Leur amitié, la perte de leurs filles, leur unité pour la paix, tout m’a bouleversé. Plus tard, je suis revenu les voir pour leur demander s’ils étaient d’accord pour que j’écrive un roman. Dès qu’ils ont accepté, ils m’ont ouvert leur monde et une aventure extraordinaire a débuté. Ils font partie de mes meilleurs amis aujourd’hui.

ELLE. Au gré de 1 001 chapitres, vous traduisez la complexité de cette guerre. Qu’espérez-vous transmettre ?

C.M. J’espère montrer combien les gens que j’ai rencontrés sont nuancés, généreux, compliqués, bien loin des idées reçues qu’on se fait d’eux. Notre époque souffre de ce que j’appelle la maladie de la certitude, nous sommes bourrés de certitudes sur tous les sujets, nous n’acceptons pas d’avoir tort. Sur place, les stéréotypes volent en éclats. Mon texte est fragmenté, il provoque la confusion, car je souhaite que le lecteur capitule devant le désordre du monde. Ce n’est pas grave si l’on ne comprend pas tout, du moment que l’on est capable de dépasser les faits et les chiffres pour atteindre le plus important, c’est-à-dire le cœur humain. L’histoire de Rami et Bassam, c’est la nôtre.

ELLE. Pourquoi sommes-nous tous liés à cet endroit ?

C.M. Cette région concentre tant de choses de notre humanité. Elle est d’abord l’endroit où trois continents, l’Afrique, l’Europe et l’Asie, se rencontrent, mais aussi le berceau de trois grandes religions. À Jérusalem, l’on ressent une électricité incomparable, une atmosphère presque nucléaire. Chacun d’entre nous, peu importe qui il est, d’où il vient, peut se retrouver dans ce lieu originel qui est également devenu un miroir pour tous les conflits à travers le monde. En Irlande du Nord, par exemple, un camp se retrouve du côté des Palestiniens, tandis que l’autre s’identifie aux Israéliens.

LE LANGAGE EST LA COMPOSANTE FONDAMENTALE DE LA PAIX.

ELLE. Votre enfance s’est déroulée au cœur du conflit nord-irlandais. Cette expérience a-t-elle accompagné votre écriture ? C.M. Absolument. J’ai grandi à Dublin, mais ma mère venait d’Irlande du Nord. Tous les étés, nous prenions un bus pour aller dans le Nord rejoindre la ferme où elle est née. Nous passions les postes de contrôle, j’essayais de comprendre pourquoi des bombes explosaient, pourquoi des gens étaient tués. Je me suis posé les mêmes questions au sujet du conflit entre Israël et la Palestine. Un autre moment de ma jeunesse a eu un impact déterminant. À 20 ans, je suis parti faire le tour des États-Unis à vélo. J’ai passé un an et demi sur les routes à écouter, à recueillir les histoires des gens que je croisais. J’ai appris très tôt à écouter les autres.

ELLE. Malgré les violences des dernières semaines entre les deux camps, croyez-vous que la paix soit possible ?

C.M. Les nouvelles qui nous parviennent sont terribles. Cela m’évoque ce vers arabe très ancien : « Y a-t-il le moindre espoir que cette désolation nous apporte du réconfort ? » Aujourd’hui, je dirais qu’une réconciliation est impossible, mais peut-être penserai-je le contraire demain. Notre seule défense face à l’horreur est notre empathie, notre volonté d’aller vers l’autre, de le connaître. C’est ce qu’affirment Rami et Bassam, qui, longtemps, ont tout ignoré l’un de l’autre. Il est bien plus difficile de lancer une bombe sur la maison de quelqu’un qu’on connaît. Le langage est la composante fondamentale de la paix.

ELLE. Les mots sont-ils vraiment des armes efficaces ?

C.M. Je suis ce qu’on appelle en anglais un « pessoptimist », partagé entre le pessimisme et l’optimisme. Je sais que le monde est sombre, mais je crois avec autant de force qu’il peut s’améliorer. Avec les bonnes personnes au pouvoir, Israël et la Palestine pourraient être l’un des plus beaux endroits sur terre car tout y est magnifique : la nourriture, les gens, la musique, les paysages… Avant tout, je veux inspirer cet espoir.

« APEIROGON », de Colum McCann, traduit de l’anglais par Clément Baude (Belfond, 504 p.).

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