Pourquoi la BD « Les Indes fourbes » va rafler tous les prix

Associez l’un des plus brillants scénaristes à l’un des plus époustouflants dessinateurs du moment et vous obtiendrez… un chef-d’œuvre ? Les Indes fourbes, écrit par
Alain Ayroles (l’auteur de la série à succès De cape et de crocs) et mis en images par
Juanjo Guarnido (dessinateur de
Blacksad), n’en est vraiment pas loin !
Pour preuve, ce volumineux récit complet – il compte 160 pages – totalise déjà près de 10.000 exemplaires vendus alors qu’il n’est sorti que fin août 2019. Et il vient de recevoir le Prix Landerneau BD, lancé par les Espaces Culturels E.Leclerc. À 20 Minutes, on parie qu’il récoltera bientôt d’autres récompenses. On vous explique pourquoi…

Un premier prix prescripteur ?

Première « grande » distinction de la rentrée BD, Le Prix Landerneau BD a pour vocation de récompenser « un album francophone paru depuis le début de l’année, dont le sujet, le style et le dessin sont à même de rassembler un large public autour d’un univers singulier ». Mais c’est surtout un indicateur du meilleur de la production BD de l’année en cours, et nul doute qu’à ce titre, il influence les jurys qui lui succèdent. Or son lauréat 2019, Les Indes fourbes d’Ayroles et Guarnido, concourt justement pour le
Prix BD Fnac France Inter 2020 (qui sera décerné le 9 janvier 2020) et dans la
sélection officielle du prochain
Festival International de la BD d’Angoulême (30 janvier au 2 février 2020).

Alors même si on ne peut pas affirmer qu’il récoltera à coup sûr ces deux récompenses – et peut-être d’autres –, on imagine que le fait qu’il vienne d’être sacré mette la puce à l’oreille des jurys qui le confrontent actuellement à ses « concurrents » directs. Et comme on parle d’un album en tous points exceptionnel, on peut supposer que ça joue vraiment en sa faveur…

Des atouts en veux-tu en voilà

En quoi Les Indes fourbes est-il un album exceptionnel ? D’abord parce qu’il combine les talents de deux des auteurs les plus créatifs de ce début de siècle : l’écriture experte et la science des dialogues d’Alain Ayroles qui, avec sa série De cape et de crocs, s’est imposé comme l’une des plus fines plumes de la BD francophone ; et le dessin hypermaîtrisé de l’Espagnol Juanjo Guarnido, qui a fourbi ses pinceaux sur l’incroyable série anthropomorphique Blacksad, l’un des plus gros succès éditoriaux de ces dernières années. Entre ces deux-là s’est manifestement produit une alchimie, en tout cas « quelque chose d’artistiquement unique, presque une osmose, confie Alain Ayroles à 20 Minutes. Je crois sincèrement que notre collaboration va bien au-delà d’une simple addition de compétences. Et pour ne rien gâcher, on a bâti une relation humaine très forte ».

Ensuite parce que leur récit est captivant : s’inspirant du roman de Francisco de Quevedo El Buscón, ils y imaginent une suite à l’histoire de ce célèbre gueux qui quitta l’Espagne pour embarquer vers le Nouveau Monde en quête de la mythique cité d’Eldorado. Au programme, Aventure, exotisme, humour et un tas d’autres ingrédients savamment saupoudrés au gré de ces 145 planches. Qu’on apprécie le médium bande dessinée ou pas, il est impossible de ne pas succomber au charme de ce conte d’hier pour lecteurs d’aujourd’hui.

« Une œuvre d’auteur qui s’adresse à un large public »

Après avoir connu, dans les quelques jours qui ont suivi sa sortie, un succès critique quasi unanime, Les Indes fourbes a d’ailleurs immédiatement rencontré son public. Alain Ayroles s’en réjouit : « L’album marche en effet très très bien en librairie, donc on est très heureux. Personnellement, je suis comblé parce que plusieurs lecteurs m’ont confié que cette lecture leur avait  » fait du bien « . C’est un peu surprenant parce qu’il s’agit d’une histoire teintée d’humour et d’aventure, mais au fond assez sombre. Ce doit être parce que ça reste une aventure ponctuée de voyages, dont certains sont très exotiques, et que ça procure un sentiment d’évasion. Notre ambition, c’était de produire une vraie œuvre d’auteur mais qui soit  » grand public « … on y est peut-être parvenu ? »

Ceci précisé, ce succès ne doit rien au hasard. Il est même le fruit d’une très longue gestation, comme le souligne Alain Ayroles : « les premières notes de l’album ont été rédigées il y a déjà dix ans. Le scénario a été remanié en profondeur plusieurs fois et Juanjo s’est réellement mis au dessin il y a quatre ans ». Cette lente maturation a permis aux auteurs d’esquiver les écueils les plus courants et de produire une œuvre frôlant la perfection narrative et graphique. Rien de moins (comment ça, on n’est pas très objectifs ?).

Une distinction lucrative

Le livre, qui ne devait compter au départ que 80 pages, en totalise du coup 160 car « mais le temps passant, le scénario s’est naturellement étoffé, nos ambitions ont gonflé, et voilà le résultat : un album un peu hors-norme dans son format et sa pagination dont Juanjo et moi sommes extrêmement fiers ». Fiers, Ayroles et Guarnido le sont aussi d’avoir reçu le Prix Landerneau BD : « ça va mécaniquement donner une plus grande visibilité au livre puisque les Espaces Culturels Leclerc s’engagent à en faire la promotion. On parle donc bien, dans ce cas précis, d’impact à venir sur les ventes.

Concernant la présence de l’album dans les sélections du Prix BD Fnac France Inter 2020 du prochain Festival International de la BD d’Angoulême et ses chances d’y être distingué, Alain Ayroles fait le distinguo : « Ces Prix relèvent davantage du prestige, mais ils ont, d’une certaine manière, autant de valeur. Parce que c’est toujours un honneur et un plaisir pour des auteurs de BD, une discipline qui exige minutie et impose une certaine solitude au long cours, de voir officiellement reconnaître leur travail, à plus forte raison lorsque le jury est composé de pairs ».

Un destin à la « The Artist » ?

Nous, on miserait bien un billet sur de nouveaux sacres. D’abord parce qu’on a a-do-ré ces Indes fourbes dont les qualités vous hypnotisent de la première à la dernière case et qui réserve un twist final absolument bluffant ; ensuite parce qu’il nous semble qu’en s’appuyant sur les fondamentaux du 9e Art – une bonne histoire, un beau dessin –, cette BD compte parmi les meilleures jamais produites dans le genre franco-belge.

Pour autant, Alain Ayroles refuse de s’emballer et craindrait même une carrière à la The Artist, le film de Michel Hazanavicius qui a récolté, en 2011, l’
l’essentiel des récompenses qu’on peut décerner à un film : « Au bout du compte, est-ce que ça a servi ou desservi son réalisateur ? C’est sûr que si Les Indes fourbes obtenait trop de prix, les gens, à un moment donné, soupçonneraient une arnaque (rires). Plus sérieusement, ça pourrait en agacer certains, j’imagine. Mais on n’en est pas là de toute façon ». Ah non ? On parie ?

« Les Indes fourbes », par Alain Ayroles & Juanjo Guarnido – éditions Delcourt – 160 p – 34,90 euros

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