90 % des porteurs de TSA (troubles du spectre de l’autisme) ne travaillent pas. Comment on peut réparer cette injustice ?
Au mot « autisme », beaucoup associent celui de « geek ». La réalité est plus complexe, note Stéf Bonnot-Briey, personne autiste, consultante et formatrice en TSA1 : « Nous ne sommes pas tous des geeks ou des génies en puissance ! Nous avons chacun des spécificités de fonctionnement, comme une façon de percevoir et de penser différente. » En gros, une personne autiste n’est pas très à l’aise avec la communication implicite ou le second degré et décrypte mal les codes sociaux, ce qui se dit ou ne se dit pas, de quoi l’on parle devant la machine à café. Ce handicap invisible est plus diffcile à appréhender qu’un handicap visible, poursuit-elle : « Si un collègue a un comportement atypique, on se dit : “Il est bizarre”, ce qui engendre souvent jugement ou rejet. En outre, face à quelqu’un en fauteuil, on n’oublie pas son handicap et on n’a pas besoin de changer sa façon de penser, alors que face à une personne autiste, il faut s’adapter : faire attention aux aspects sensoriels (bruit, lumière, etc.) et à sa manière de communiquer. »
Des codes à apprivoiser
Premier obstacle pour ces personnalités atypiques : la recherche d’emploi. Jean-François Develey, délégué emploi et responsabilité sociale Bretagne chez EDF2, très engagé sur ce sujet, explique : « Il faut que chacun fasse un pas vers l’autre. Le monde du travail doit mieux connaître la neuroatypicité ; et les autistes, mieux comprendre les codes de l’entreprise. Ainsi, un graphiste ne doit pas consacrer quatre pages de son CV aux logiciels qu’il utilise. Ou, en entretien d’embauche, à la question “Pourquoi candidatez-vous ici ?”, répondre : “C’est direct en métro.” » Avec dix partenaires (mission locale, Cap emploi, etc.), il a mis sur pied une formation destinée aux accompagnants vers l’emploi afin qu’ils aident les jeunes aux profils autistiques. D’ici peu, ces professionnels3 accueilleront douze jeunes porteurs de TSA formés au numérique pour les accompagner au mieux dans leur recherche d’emploi.
Fiables et méticuleux, on peut compter sur eux
Notre regard doit évoluer et ne plus se focaliser sur ce que la personne autiste a du mal à faire mais sur sa « capabilité », ses compétences : rigueur, concentration, mémoire, quelquefois capacités visuo-spatiales ou artistiques exceptionnelles… Chez Novandie, une filiale d’Andros, en Eure-et-Loir, l’entreprise compte douze autistes non verbaux et déficients intellectuels en CDI à mi-temps. Jean-François
Toutes les personnes TSA ne se ressemblent pas
Sur les 700 000 diagnostiquées, 15 % environ seraient sans retard de langage ni déficit intellectuel. Parmi elles, 1 % seraient même à haut potentiel. A l’autre extrémité du spectre, il y aurait 15 % de personnes qui ne parlent pas, avec déficience intellectuelle et parfois d’autres handicaps. Entre les deux, l’éventail des profils est large.
Dufresne, ex-directeur général d’Andros et père de l’un d’entre eux, est à l’initiative du projet : « Le foyer d’accueil spécialisé était le seul horizon de notre fils à l’âge adulte. J’étais convaincu que ses copains et lui pouvaient travailler, qu’ils gagneraient en autonomie et en estime de soi. »
A l’usine, les postes n’ont pas été adaptés mais découpés en microtâches détaillées visuellement. Après le travail, ces salariés rejoignent la Maison du parc4 . Huit accompagnants leur apprennent à faire les courses, la cuisine, etc. Le résultat ? « Tout le monde y gagne : l’entreprise, car ce sont des ouvriers fiables – ils détestent se tromper ! –, méticuleux, que la répétitivité des gestes rassure ; les salariés autistes eux-mêmes, qui ont droit ainsi à une vie digne, comme celle de tout le monde. Et les autres salariés sont fiers de ce dispositif. Cela change également le regard sur l’autisme porté par la société, et revient moins cher que le système “occupationnel” », affrme Jean-François Dufresne. Son modèle, unique en France, a essaimé : sous son impulsion, douze projets de ce type sont en cours.
Ils disent tout haut ce que les autres pensent tout bas
La bonne nouvelle ? Outre l’aide humaine, parfois nécessaire, « les aménagements ne sont ni coûteux ni complexes, contrairement à ce que craint l’employeur, assure Margaux Wofsy, psychoéducatrice qui accompagne des adultes autistes1 . Expliciter une fiche de poste ou les règles de vie au travail, organiser des réunions en petit comité, établir un planning pour l’achat du café ou les pauses en open space favorisent le bien-être des salariés autistes mais aussi des autres ! » Stéf Bonnot-Briey ajoute : « Les agressions sonores et visuelles pompent notre énergie. Ce qui nous est utile l’est pour tous : préférer une lampe d’appoint au néon qui éblouit ou s’équiper d’un casque réducteur de bruit dans le métro. » Grâce à ces outils, chacun profite des atouts de ce collègue pas tout à fait comme nous, dont le regard décalé et la franchise sont précieux. « On dit tout haut ce que les autres pensent tout bas. Au bout d’une heure de réunion, quand on lance : “Bon, je m’ennuie. De quoi on était censé parler, là ?”, d’accord, on ne met pas les formes. Mais c’est qu’il y a sûrement une chose à retenir. »
Un ange va passer… mais la réunion suivante sera mieux préparée. Une preuve parmi d’autres qu’un salarié autiste peut être apprécié non pas en dépit mais pour sa différence.
1. Au sein, entre autres, d’Autisme emploi, première plate-forme d’évaluation de l’employabilité des personnes du TSA. autisme-emploi.fr. 2. Une exposition, des brochures, des clips sur les codes sociaux en entreprise et un film, le Barrage, ont été conçus par EDF pour mieux faire comprendre les TSA dans le monde professionnel. 3. A l’Institut Marie-Thérèse-Solacroup, à Dinard. 4. L’association Vivre et travailler autrement a monté ce projet. vivreettravaillerautrement.org.
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