“I’ll be there for you, cause you there for me too”! Si à défaut d’être polyglotte, ces quelques mots tirés de la pop mythique des Rembrandts vous disent quelque chose, c’est qu’ils ont rythmé pendant une décennie le générique de l’une des séries les plus regardées de notre époque : Friends.
Et si en apparence elle ne fait que dépeindre le quotidien fun d’une bande de trentenaires aux problèmes peu existentiels, la sitcom de la chaîne américaine NBC s’applique en réalité à décortiquer à travers 236 épisodes, une notion fondamentale et pourtant sous-estimée : l’Amitié.
Amour, gloire et réciprocité.
Et dès le générique, le ton est donné : l’ami.e est celui ou celle qui, dans le fond, sera toujours là pour nous, envers et contre-tout. Mais surtout, c’est celui ou celle pour qui on sera là en retour. Autrement dit, sans qu’on s’en rende compte, ce monument de la pop culture contemporaine a planté dans nos cerveaux une définition plutôt claire et précise de l’amitié, à savoir une forme d’interaction sociale basée sur l’assistance mutuelle et réciproque entre deux personnes.
Un paradigme que confirme l’étude américaine publiée dans le journal Plos One « Êtes-vous l’ami de vos amis”, ses auteurs affirmant que la plupart des individus considèrent une amitié comme étant forte et réelle en fonction du degré de réciprocité existant entre deux personnes. “La valeur que j’attribue à mon ami doit être réciproque. C’est le respect mutuel, tout simplement”, abonde Cyrille Bégorre-Bret, auteur de L’amitié, de Platon à Debray (Eyrolles), dans une interview au magazine Néon.
L’image de l’amitié représentée dans la pop culture est bien souvent celle du groupe d’ami.e.s […] Ce schéma est plutôt représentatif des amitiés adolescentes
Pour le philosophe français, ressentir de l’amitié pour quelqu’un, c’est avant tout vouloir son bien. C’est être heureux de lui rendre un service sans exiger de lui une reconnaissance source de déséquilibre, loin de potentielles sensations d’envie, de jalousie ou encore de ressentiment. Et c’est en substance tout ce que la culture télévisuelle a globalement infusé les trente dernières années, de Desperate Housewives à Big Little Lies en passant par Girls, Sex & The City, How I met your mother ou encore The Big Bang Theory.
“L’image de l’amitié représentée dans la pop culture est bien souvent celle du groupe d’ami.e.s, qui vit ensemble, partage tout ou presque, un peu comme en bande, en meute”, nous confirme Marie Aurélie Druminy, psychologue et hypnothérapeute basée à Istres. “Ce schéma est plutôt représentatif des amitiés adolescentes, au moment où ce qui compte, c’est l’appartenance au groupe.”
Quitte à faire flirter l’amitié avec des notions de sororité et de fraternité, au sens familiale et génétique du terme. Et avec lui, l’idée que les amitiés valides et légitimes sont celles qui durent, un peu comme si l’authenticité d’une relation était proportionnelle à sa longévité. D’ailleurs, un simple tour de table auprès de votre entourage suffira à le confirmer : les meilleur.e.s ami.e.s de vos ami.e.s sont généralement ceux qu’ils connaissent depuis le début de leur vie. “J’ai des ami.e.s de toujours et d’autres rencontrés plus récemment. Je les aime tous de la même manière mais c’est vrai que ceux que je connais depuis l’école primaire occupent une place particulièrement importante dans ma vie, même si on ne se voit pas tous les jours”, nous confirme Marie-Caroline.
Best friends forever
“Il y a cette idée, avec les ami.es, d’avoir des ‘témoins de notre vie’” nous détaillait encore il y a peu la philosophe Marie Robert, dans un article consacré à sa collaboration avec la marque Pandora. “Peu importe ce que l’on traverse, on va pouvoir tisser ensemble dans toutes nos variations », dit-elle, pointant combien l’amitié est devenue un rempart face au chaos dans lequel nous vivons, concurrençant une sphère du couple et de la famille en plein bouleversements.
Résultat ? Que cela soit dans les films, les dessins-animés, les romans ou encore les séries, difficile en effet de trouver dans la pop culture une ode à l’amitié qui ne soit pas teintée de cette infaillibilité temporelle sacralisée, celle qui prend généralement racine dans la pureté dans l’enfance ou la naïveté idéaliste de l’adolescence.
On a tendance à conserver des amis d’enfance comme des bibelots dont on est fier
En bref, le bon ami serait avant tout le vieil ami et, comme le clamaient les Spice Girls en 1996, les véritables amitiés sont celles qui ne se terminent jamais.
Une perception culturellement façonnée et largement intériorisée, qui révélerait en filigrane notre légère incapacité à faire fi du passé et à se complaire dans le fantasme de l’immuabilité. “On a tendance à conserver des amis d’enfance comme des bibelots dont on est fier, comme les traces d’une vie passée, révolue, qu’on ne veut pas effacer”, répond Cyrille Bégorre-Bret dans cette même interview au magazine Néon. “Le fétichisme des amis d’enfance, c’est parfois le culte d’un temps qui ne passe pas et qui nous laisse identiques à nous-mêmes.”
Problème ? Les années filent en réalité à la vitesse de la lumière et notre personnalité, nos modes de vie, nos envies changent généralement à la même vitesse, mettant à rude épreuve ces mêmes amitiés que l’on imaginait éternelles. “Nos amitiés, comme nos amours, évoluent au fil de notre vie, essentiellement parce que nous aussi, nous évoluons. Ce qui est très important pour moi à 5 ans n’est pas la même chose que ce qui est très important pour moi à 20, à 40 ou à 60 ans. Est-ce que cela veut dire que nous changeons d’ami.e.s à chaque étape de notre vie ? Par forcément”, commente Marie-Aurélie Druminy.
Car plus que les personnes, c’est la relation en elle-même, ses paramètres et, grosso modo, ce qu’on y met dedans qui est voué à profondément changer, venant altérer la définition même du bon ami ou de la bonne amie.
“On ne s’investit pas de la même façon dans une amitié selon que l’on soit célibataire, avec la possibilité de se voir tous les soirs après le travail, ou si, au contraire, on est en couple et/ou qu’on a des enfants à gérer le soir”, précise la psychologue, l’arrivée à l’âge adulte tendant à favoriser des relations d’amitié duelle au détriment du groupe, moins façon Sex & The City que Thelma et Louise en somme. “C’est une preuve de maturité dans la relation, bien qu’elle ne soit pas valorisée par la pop culture qui nous entoure”, conclut-elle, appelant à une réappropriation individuelle et personnelle de la notion d’amitié, à contre-courant de ces injonctions à la réciprocité.
Un.e ami.e qui nous veut du bien
“La relation d’amitié n’est pas régie par des règles précises. On peut regarder qui investit du temps, prend les transports pendant une heure pour aller voir l’autre, pose une journée pour aider à un déménagement, lâche tout pour aller écouter l’autre qui est en train de vivre une rupture mais ce n’est pas une question comptable, quelque chose que l’on peut précisément quantifier, auquel on peut arriver à un équilibre parfaitement équitable”, explique l’experte.
Selon elle, l’amitié en tant que telle ne répond à aucune définition : c’est à nous et à nous seul.e.s qu’il revient de la définir. « À la question « Qu’est-ce qu’un.e bon.ne ami.e ? », j’ai envie de répondre « pour qui ? ». Il n’existe pas de définition de l’ami.e idéal.e tout comme il n’existe pas de définition du conjoint ou de la conjointe idéal.e. Est-ce que j’ai besoin de quelqu’un de présent au quotidien ou plutôt d’un.e ami.e qui accepte mes silences ? Il n’y a que moi qui puisse répondre à cette question. Que moi qui puisse définir les qualités requises”, poursuit-elle, nous invitant à prêter attention aux émotions que nous ressentons en présence de tel ou telle ami.e, pour savoir si il ou elle en est vraiment un.e.
On peut par exemple se demander dans quelle mesure on se sent libre dans cette relation, si l’on se sent coupable lorsque l’on fait quelque chose sans l’autre. A-t-on encore un espace secret ? A-t-on l’impression d’étouffer ? Est-ce que l’on meurt de jalousie si notre ami.e rencontre quelqu’un d’autre ? Est-ce que l’on se sent abandonnée si on ne la voit pas pendant plusieurs jours ou si l’on est pas la première personne à qui elle annonce une nouvelle importante ?
Autrement dit, le bon.ne ami.e est celui ou celle qui nous convient, qui nous fait du bien. Celui ou celle qui nous fait sentir libre d’être nous-même ou, du moins, nous donne le courage de l’être. Qu’on l’ait connu le premier jour de son entrée au lycée, au détour d’un CDI mal payé ou pas plus tard que l’été dernier, entre deux avions retardés.
- Je n’aime pas mélanger mes ami(e)s
- J’ai plus d’ex-meilleures amies que d’ex tout court
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