Grenelle des violences conjugales : "Le gouvernement a manqué le virage"

Après trois mois de travail, le Grenelle des violences conjugales a enfin rendu son verdict, ce lundi 25 novembre. Mais les mesures annoncées par le gouvernement ne convainquent pas les associations. Décryptage avec Marie Cervetti, directrice de l’association FIT Une femme, Un toit.

Après presque trois mois de travail, le Grenelle des violences conjugales touche à sa fin. Ce lundi 25 novembre, le premier ministre Édouard Philippe a annoncé la quarantaine de mesures retenues par le gouvernement. Nous les avons analysées avec Marie Cervetti, directrice de l’association FIT Une femme, Un toit.

Un budget constant

361 millions d’euros. C’est le budget que le gouvernement prévoit d’allouer aux violences faites aux femmes en 2020. «Il est quasiment identique à celui débloqué en 2019», indique Marie Cervetti. Pour autant, la militante féministe n’est pas surprise. «Dès le départ, le gouvernement avait annoncé la couleur : le budget serait constant, tout en prévenant ne pas être fétichiste des chiffres. Mais les associations non plus ! La différence, c’est qu’on est sur le terrain et qu’on observe qu’il y a de réels besoins. Or, ceux-ci vont forcément augmenter au regard des mesures annoncées.» En effet, lors de son discours, Édouard Philippe a notamment assuré vouloir mettre en place «le plus haut degré de protection aux victimes et à leurs enfants». Pour cela, le 3919 (numéro gratuit d’appel d’urgence, NDLR) sera bientôt disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Aujourd’hui, les appels sont assurés de 9 à 22 heures du lundi au vendredi et de 9 à 18 heures le week-end et les jours fériés. «L’ouverture plus ample de ce numéro va avoir un impact : le flux d’appels risque de créer de l’embouteillage. On voit déjà des incidences dans certaines régions. Résultat : il y a des délais, on demande à certaines femmes d’attendre plusieurs jours», précise Marie Cervetti.

«Le gouvernement veut vraiment s’attaquer aux violences faites aux femmes, c’est indéniable. Le problème, c’est qu’il n’arrive pas à décoller de cet empilement de mesures. Quand le premier ministre parle d’une « faillite collective », très bien, mais on fait quoi alors ? La réponse est pourtant simple : il faut plus de monde, plus de formation, plus de sensibilisation et tout cela a un coût. L’argent, c’est le nerf de la guerre. Donc, si on veut mener une réelle guerre contre les violences faites aux femmes, il faut des moyens. De la même manière que Jacques Chirac a pris à bras le corps la question de la sécurité routière.»

En vidéo, le résumé de la marche contre les violences sexistes et sexuelles

Des mesures qui ne sont pas neuves

Édouard Philippe et Marlène Schiappa rendent les conclusions du Grenelle des violences conjugales. (Paris, le 25 novembre 2019.)

Édouard Philippe l’a rappelé : l’éducation est primordiale pour éradiquer les violences faites aux femmes. Ainsi, désormais, les enseignants recevront une formation sur l’égalité entre les filles et les garçons. Chaque année, un conseil de la vie collégienne et lycéenne sera organisé. Le bémol ? Ces mesures sont déjà prévues depuis 2010. Marie Cervetti décrypte : «Le gouvernement a, ce matin, fait tout un tas d’annonces qui existent déjà : la grille d’évaluation pour les forces de l’ordre, le bracelet anti-rapprochement, la sensibilisation dans les établissements scolaires.… Au fond, cette idée de former les professeurs est une très bonne chose. Seulement, si on ne dit pas techniquement comment procéder, cela tombe à l’eau.» Pour la membre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), il s’agirait d’évaluer l’impact des politiques publiques. «Bien sûr, cela nécessite des moyens, mais sans cela, on n’avance pas. C’est le serpent qui se mord la queue.»

Zéro formation, zéro changement

«Il faut former. C’est la première marche pour fabriquer du changement», certifie Marie Cervetti, dont l’expertise des violences faites aux jeunes femmes l’a conduite à devenir personnalité associée du Conseil économique, social et environnemental (CESE). «Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs majeurs n’ont jamais été formés à faire face aux violences faites aux femmes. C’est le cas des forces de l’ordre, des médecins, des magistrats, des dentistes, des travailleurs sociaux…» Pour la directrice d’association, qu’importe les outils développés : sans formation, il y a peu de chance que ceux-ci soient mis en pratique. Par exemple, à l’issue du Grenelle, il a été décidé que les armes à feu et les armes blanches pourront désormais être saisies dès lors qu’une enquête sera ouverte. «Cela va dans le bon sens, mais comment les policiers identifieront-ils les cas d’urgence sans réelle formation ?», s’interroge encore Marie Cervetti.

Décalage

Avec le Grenelle des violences conjugales, c’est la première fois qu’un gouvernement français s’attaque de manière si frontale aux drames qui se répètent chaque année. En moyenne, entre 130 et 150 femmes sont tuées chaque année par leurs (ex-)conjoints dans l’Hexagone. Or, un décalage se fait de plus en plus ressentir. «La société est bien plus en avance que les gouvernements sur la question des violences faites aux femmes. En témoigne la marche historique du 23 novembre. Le gouvernement a manqué le virage», considère Marie Cervetti. Et de conclure : «Aujourd’hui, quand on construit un immeuble, on veille à ce que l’environnement soit respecté. Et c’est comme cela que j’avais imaginé ce Grenelle. À mon sens, il allait répondre à cette même exigence et les violences allaient enfin être prises en compte dans toutes les politiques publiques». Visiblement, la déception est grande.

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