The Dissident : c'est quoi ce documentaire glaçant signé par le réalisateur oscarisé Bryan Fogel ?

Disponible ce 15 mars en E-Cinema, signé par le réalisateur oscarisé Bryan Fogel, qui avait frappé très fort en 2017 avec son documentaire « Icare », « The Dissident » est une plongée glaçante et vertigineuse dans les coulisses d’un crime d’Etat.

De quoi ça parle ?

En 2018, le journaliste du Washington Post, Jamal Khashoggi, disparaît au consulat saoudien d’Istanbul. Qui se cache derrière ce crime ? Appuyé de preuves, d’images inédites et d’intervenants comme la fiancée de Jamal, Hatice Cengiz, la police et les procureurs turcs, tout désigne le prince héritier Mohammed Ben Salmane. The Dissident illustre qu’une personne allant à l’encontre de forces puissantes n’est jamais en sécurité…

Une enquête accablante, capitale et nécessaire

Singulier parcours que celui du réalisateur Bryan Fogel. Débutant sa carrière par le Stand-up et le théâtre, pour lequel il écrivit une pièce au succès colossal (et adaptée par ses soins en film en 2012), Jewtopia; activiste et militant pour les Droits de l’Homme, il a frappé très fort en 2017 avec son documentaire Icare.

Une hallucinante et vertigineuse plongée dans les coulisses du dopage dans le monde du sport, née d’une rencontre fortuite avec un scientifique russe, le docteur Grigory Rodchenkov, dont le témoignage sera capital pour le bannissement de la Russie aux JO d’hiver de 2018. Entre les contrôles d’urine positifs, mort inexpliquée et médailles d’or olympiques, le tableau, apocalyptique, avait la vigueur d’un uppercut. Couvert de prix à travers le monde dont le Prix spécial du Jury au Festival de Sundance, et surtout l’Oscar du Meilleur documentaire, Icare fut d’ailleurs acheté 5 millions $ par Netflix au terme d’enchères frénétiques; un record pour un documentaire.

C’est fort de ce pedigree que l’on découvre son nouveau documentaire, The Dissident. Une enquête absolument glaçante et montée comme un Thriller, aux effets parfois un peu trop appuyés d’ailleurs, alors que la puissance du propos et du sujet n’en ont pas besoin. Fruit de mois de travail et d’enquête, appuyé par des images saisissantes et inédites, le documentaire tire sa grande force des témoignages qui irriguent son implacable démonstration.

A commencer par celui, bouleversant, de la fiancée du journaliste assassiné, Hatice Cengiz. Mais aussi des intervenants de premier plan, comme Agnès Callamard, rapporteur spécial de l’ONU; un responsable de la Police scientifique d’Istanbul; le responsable de la communication du gouvernement Turc; le procureur en chef du pays; John Q. Brennan, l’ancien directeur de la CIA de 2013 à 2017, pour n’en citer qu’une poignée.

Au-delà du très émouvant portrait d’un homme jadis proche du pouvoir avant d’en devenir son ennemi le plus intime au point d’y laisser la vie dans des conditions particulièrement atroces, The Dissident est tout autant un requiem à la mémoire d’un journaliste épris de justice et de liberté, un vibrant plaidoyer pour la liberté de la Presse, qui paye régulièrement celle-ci au prix du sang; qu’un tableau en creux et sans concession de celui qui a commandité cet assassinat : le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed ben Salmane al Saoud.

Surnommé MBS, devenu le véritable homme fort du royaume depuis une purge anti-corruption qui a vu le limogeage ou l’arrestation de dizaines de princes, ministres et d’hommes d’affaires, fin 2017, lui assurant le contrôle des principaux leviers du pouvoir, MBS soufflait régulièrement le chaud et le froid. Mais s’était engagé aux yeux de la communauté internationale à renouer avec « un islam modéré », à « éradiquer l’extrémisme », et, in fine, donner des signes tangibles d’ouverture du pays…

Les Autorités du pays ont eu beau nier jusqu’à l’absurde, malgré les preuves accablantes, être derrière l’assassinat de Jamal Khashoggi, l’actualité s’est tout récemment et brutalement chargée de rappeler les faits. L’actuel locataire de la Maison Blanche, Joe Biden, a autorisé le 26 février dernier la déclassification d’un rapport de la CIA accusant nommément Mohamed Ben Salmane d’avoir « approuvé » l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018.

De quoi sérieusement écorner un peu plus et à l’international la figure de MBS, mais aussi au sein de son propre pays. « Malgré les soupçons depuis l’assassinat de Khashoggi et la reconnaissance à demi-mot de Riyad, «MBS» était présenté comme un réformateur. Mais ses méthodes brutales révélées au grand jour s’inscrivent finalement dans la continuité » commentait dans un article de TV5 monde Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense et grand spécialiste de la région.

« Grâce à ce film, nous partageons la vérité. Le fait est que le film peut atteindre bien plus de personnes qu’un rapport de l’ONU ou une enquête gouvernementale censurée et classifiée. J’espère que lorsque les gens verront The Dissident , ils sentiront une responsabilité personnelle d’agir, comme l’a fait Khashoggi » explique Bryan Fogel. Et d’ajouter : « Des citoyens informés peuvent peut-être mieux pousser leur gouvernement démocratique à faire des droits de l’Homme une priorité absolue. En fin de compte, les élus doivent répondre de leurs actes devant l’électorat et les campagnes réussies ont entraîné des changements politiques. Cela commence par le renforcement de la sensibilisation ». The Dissident, une oeuvre d’utilité publique ? Parfaitement.

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VIDÉO SUIVANTE

Cinq questions à Bryan Fogel…

AlloCiné : Quand avez-vous décidé de vous pencher sur la tragique histoire de Jamal Khashoggi ?

Bryan Fogel : Très peu de temps après son assassinat en fait. Dans les semaines suivant son meurtre, j’ai décidé de travailler dessus.

Comment avez-vous convaincu Hatice Cengiz, la fiancée du défunt journaliste, et l’activiste / dissident Omar Abdulaziz, qui a une part importante dans le récit, de témoigner dans votre documentaire ?

En fait je suis d’abord allé à Istanbul, dès la semaine suivant l’assassinat de Jamal. J’y ai passé cinq semaines avec Hatice Cengiz, pour gagner sa confiance. Même chose avec Omar. J’ai passé des semaines, des mois, pour gagner leur confiance et les convaincre de témoigner dans mon documentaire. Le processus a été identique vis-à-vis des autorités turcs.

Justement, celles-ci sont à l’épicentre des révélations et dans votre documentaire, fournissant des vidéos et images jamais vues jusque-là de l’intérieur du consulat, les transcriptions des échanges entre les bourreaux et leur victime… Etant donné la nature très sensible du sujet et des éléments montrés, comment avez-vous travaillé avec les autorités du pays ?

Je pense que nos buts étaient vraiment alignés. A nouveau, il s’agissait vraiment de gagner leur confiance. De leur côté, ils voulaient s’assurer que je n’étais pas là pour dénigrer la Turquie, mais justement pour raconter de manière honnête comment le pays avait géré cette affaire, et fait tout ce qui était en son pouvoir pour faire justice sur ce crime, indépendamment du fait qu’ils n’y sont pas parvenu immédiatement. Ce processus a pris des mois et des mois, c’est quelque chose qui s’est construit petit à petit, patiemment.

Avez-vous montré votre documentaire à des personnalités politiques américaines ?

Beaucoup d’entre elles ne l’ont pas encore vu. Mais j’ai entendu de très bonnes choses, dont j’aimerai croire qu’elles ont eu un impact sur le choix de Joe Biden d’autoriser la diffusion du rapport [NDR : de la CIA, rédigé six semaines après la mort de Khashoggi. Donald Trump avait refusé de rendre ce rapport publique]. On travaille justement beaucoup aux Etats-Unis, pour faire en sorte qu’un maximum d’hommes et femmes politiques voient ce film.

Hubert Sauper, le réalisateur des documentaires « Le Cauchemar de Darwin » et « Nous venons en amis », me disait au cours d’une interview voir le documentaire comme l’une des dernières formes de la liberté d’expression. Qu’en pensez-vous ?

Je crois fermement que le documentaire a cette capacité à dire ou révéler la vérité au Pouvoir. Il y a certes dans cette histoire de très nombreux éléments touchant à la liberté d’expression, la liberté de la Presse. Mais il devient de plus en plus difficile de raconter ce genre d’histoire, en sachant que cela peut toucher une audience très importante dans le monde globalisé où nous nous trouvons. Je suis donc d’accord avec lui. J’espère aussi qu’à mesure que les grandes entreprises médiatiques mondiales continueront de croître, elles ne craindront pas de raconter justement ces histoires, et n’aient pas peur de dire la vérité au Pouvoir en place.

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