La bonne question.- Riche en fibres, en vitamines et minéraux, le fruit n’est pas toujours le bienvenu à table. Certaines fourchettes le jugeraient indigeste au point de le consommer à distance des repas. Vraiment ? On fait le point avec trois spécialistes.
En fin de repas, entre le fromage et le café, il est d’usage de prendre un dessert. Et pour prendre soin de son organisme, les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) nous incitent à attraper une mandarine plutôt qu’un cornet de glace choco-vanille. Même si l’effort est louable, est-ce vraiment une bonne idée en termes de digestion ? Le fruit devient-il défendu lorsqu’il se trouve dans l’assiette ? Explications.
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Une question qui divise
Fraise, grenade, pomme… Sur le papier, toutes les études scientifiques démontrent que les fruits sont essentiels à une bonne santé générale, et en particulier sur le plan cardio-vasculaire et neurocognitif. Des bénéfices tirés de leur richesse en vitamines C, E, B9 et en nutriments antioxydants. Leur teneur en fibres participe également au bon fonctionnement du transit intestinal. Seulement selon le naturopathe Olivier Panisset, «si le fruit est mélangé au reste du repas composé de protéines et de féculents, il devra attendre dans le tube digestif que l’ensemble soit digéré, soit 2 à 4 heures au lieu des 15 à 20 minutes dont il a en réalité besoin pour être assimilé. Durant ce laps de temps, il risque de fermenter et de provoquer des ballonnements».
Une théorie loin d’être partagée par la communauté scientifique. «Tout ceci ne repose sur aucune étude, la digestion est globale et il n’y a aucun problème de fermentation qui explique des problèmes digestifs», assure Serge Hercberg, épidémiologiste, professeur de nutrition à la faculté de médecine de Paris XIII et président du PNNS. «L’estomac est un broyeur où tout est mélangé et dont le contenu se vide petit à petit pendant 6 heures», précise de son côté le Dr Jean-Michel Lecerf (1), médecin nutritionniste à l’Institut Pasteur à Lille.
Les deux médecins sont unanimes : il n’y a aucun avantage particulier à consommer les fruits indépendamment des repas. Au contraire, ces aliments associés à d’autres faciliteraient l’assimilation des nutriments. «Les tomates contiennent des caroténoïdes (un nutriment antioxydant, NDLR) qui sont mieux absorbés par le corps s’ils sont mélangés avec des lipides comme de l’huile d’olive», note le médecin nutritionniste. Par ici la salade tomate-mozza !
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Écouter ses sensations et agir en conséquence
Pour autant, nutritionnistes comme naturopathes ont déjà été confrontés dans leur cabinet à certains patients leur décrivant des manifestations digestives inconfortables après avoir ingéré un fruit pendant le repas : gaz, ballonnements, sentiment de pesanteur ou encore accélération excessive du transit intestinal. «Il existe de vraies pathologies digestives, tel que le syndrome du côlon irritable ou une hernie hiatale (remontée d’une partie de l’estomac par l’orifice du diaphragme, NDLR) qui occasionnent ces symptômes après le repas», observe le Dr Jean-Michel Lecerf. Pour le naturopathe Olivier Panisset, une trop grande quantité de fibres, contenue dans les fruits, accentuerait cette fragilité.
Et quand la pathologie n’est pas détectée, ces symptômes surprennent les médecins. «On a des patients qui décrivent des choses incompréhensibles et on n’arrive pas à l’expliquer», rapporte l’épidémiologiste Serge Hercberg. Peut-être que leurs sensations ont été influencées par le psychisme. C’est ce qu’avance Dr Jean Michel Lecerf : «Quand on a un discours négatif sur quoi que ce soit, cela peut conduire à des manifestations négatives, c’est ce qu’on appelle un effet nocebo». Pas question pour autant d’ignorer le ressenti des plaignants. «Tout ce que l’on peut faire c’est les écouter et leur conseiller de s’adapter en conséquence, explique le professeur de nutrition. En clair, tester un fruit puis un autre jusqu’à trouver celui qui convient à chacun.»
Attention à l’hyperconsommation
Si une pomme chaque matin éloigne du médecin, selon le dicton anglais, attention cependant à ne pas avoir la main trop lourde sur la corbeille à fruits, surtout pendant le repas. «Les personnes sujettes aux reflux gastriques doivent limiter les quantités d’aliments avalés, sans quoi elles risquent d’augmenter le passage de l’acide gastrique de l’estomac à l’œsophage», conseille le médecin nutritionniste. Le PNNS recommande de consommer au moins 5 portions de fruits et légumes par jour de 80 g à 100 g. Seulement une grosse pomme pouvant peser jusqu’à 400 g, on peut facilement dépasser la recommandation. Surtout si on décide de la mixer au blender avec d’autres fruits pour en faire un jus. «C’est une bombe de sucre, à laquelle on enlève des fibres et cela empêche ainsi de réguler le taux de sucre dans le sang», met en garde le naturopathe.
Afin d’éviter cette hyperconsommation, la solution serait peut-être finalement de déguster sa pomme ou son pamplemousse en entrée. «Les fruits ont un effet satiétogène qui peut atténuer ce phénomène de remplissage», fait remarquer Dr Jean-Michel Lecerf. Mais culturellement, au pays du fraisier et de la tarte Tatin, il peut être difficile de commencer son repas par une salade de fraises et de mirabelles. «La population ne consomme pas assez de fruits donc peu importe qu’elle en mange avant, pendant ou après, l’objectif principal c’est qu’elle se fasse plaisir en le mangeant», conclut le président du PNNS, Serge Hercberg.
(1) Le Dr Jean-Michel Lecerf est l’auteur de Connaître son cerveau pour mieux manger, 192 pages, 18 €, éditions Belin.
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