Cancer, mucoviscidose, autisme… Victimes collatérales, les frères et sœurs d’un enfant gravement malade sont souvent les grands oubliés. Comment les aider à trouver leur place ?
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On s’aime, on se déteste. On se dispute, on se réconcilie. C’est le quotidien mouvementé et ordinaire des fratries. Mais quand une maladie grave s’abat sur un des enfants, cet équilibre est rompu. L’attention des parents, la place dans la famille deviennent des questions vitales. Pour les parents, comment continuer à prendre soin des autres enfants quand tout tourne autour de celui dont la vie est menacée ?
Dans son livre « Sortir de l’ombre, les frères et sœurs d’enfants gravement malades« , Muriel Scibilia donne la parole à ceux dont on entend rarement la voix, ceux qui mettent leurs besoins entre parenthèses pendant que leur frère ou leur sœur se bat pour la vie. Elle a aussi interviewé des spécialistes confrontés au quotidien à ces situations. Entretien.
Femme Actuelle : Pourquoi la maladie d’un enfant ou d’un adolescent a-t-elle de si grandes répercussions sur la fratrie ?
Muriel Scibilia : C’est valable pour toutes les maladies qui se prolongent dans le temps, du cancer à la mucoviscidose, en passant par l’autisme ou un trouble de la personnalité comme la schizophrénie. Quand un des enfants est dans une terrible souffrance, l’attention se focalise sur lui. Même si les parents font beaucoup d’efforts pour s’occuper de tous leurs enfants, inconsciemment, la priorité reste la guérison ou l’accompagnement du malade. Les fratries se mettent naturellement en retrait et refoulent leurs émotions. Dans un des témoignages, une jeune fille explique qu’elle s’était coupée de ses sensations pendant la maladie de sa sœur car il n’y avait pas de place pour cela. Par la suite, c’est en sautant en parachute qu’elle s’est reconnectée à ses sensations.
Les garçons et les filles réagissent-ils de la même façon ?
Pas toujours. Une fille va souvent avoir un comportement de « suradaptation ». Elle va s’effacer, être gentille, bonne élève, avoir du mal à quitter sa famille. Elle peut aussi se saboter, être en échec scolaire, se faire du mal. Un garçon a tendance à faire du bruit pour montrer qu’il existe, par exemple en adoptant des conduites à risque.
Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les frères et les sœurs ?
La rivalité, la jalousie, l’envie… ces sentiments ordinaires dans une fratrie sont exacerbés et refoulés, ce qui n’est pas sans conséquences. La fratrie est aussi en proie à des sentiments complexes et ambivalents. On peut en vouloir au petit frère d’occuper autant de place, de recevoir autant de cadeaux, de voir les vacances annulées par sa faute. Il est en même temps difficile d’exprimer son agressivité. Beaucoup intègrent l’idée qu’il ne faut pas faire de vagues, même s’ils en veulent à celui qui sème la pagaille et bouleverse leur vie.
Ils sont aussi souvent submergés par un sentiment de culpabilité. Ils peuvent se dire « C’est moi qui aurais dû être malade, car je suis le plus grand ou je suis moins brillant que mon frère« . Il arrive qu’ils soient traversés par l’envie que le malade disparaisse pour que tout redevienne comme avant et qu’ils s’en veuillent d’avoir eu ce genre de pensées. Les plus jeunes peuvent croire que c’est à cause de leurs « mauvaises pensées » que la maladie s’est aggravée. Enfin, du fait des allers-retours quotidiens des parents à l’hôpital, les frères et sœurs souffrent souvent d’un sentiment d’abandon.
Comment parler de la maladie aux frères et sœurs ?
L’important est de dire les choses comme elles sont. L’association suisse Résiliam conseille de « dire la vérité avec des mots gentils ». Il faut bien sûr adapter ce que l’on dit à la capacité de l’enfant à recevoir l’information, selon son âge. Mais dire la vérité est essentiel car c’est ce qui construit la confiance. Même si elle est très dure, la réalité est toujours moins violente que l’imaginaire. Les enfants sont des éponges. Ils captent les émotions. Et il y a toujours un moment où ils vont surprendre un bout de conversation. Si on leur cache la vérité, ils se font leurs propres films. C’est encore plus terrorisant. Une jeune fille que j’ai interviewée a réalisé que pour la protéger, personne ne lui avait dit que son grand frère avait un cancer, ce qui a généré un manque de confiance en elle. Il est préférable que les mauvaises nouvelles soient annoncées par le corps médical afin que les parents restent ceux vers qui on se tourne pour être réconforté. Le vocabulaire employé est important. Les médecins par exemple évitent de dire que le jeune patient va « guérir » mais promettent qu’ils vont faire tout ce qu’ils peuvent et mettre tout en place pour qu’il guérisse.
Les parents doivent-ils cacher leur chagrin devant les frères et sœurs ?
Surtout pas. Ils doivent s’autoriser à exprimer leurs émotions. Un papa qui pleure tout d’un coup est révélateur de la gravité de la situation. Il est légitime d’avoir du chagrin. Il ne faut pas pour autant envahir ses enfants avec ses émotions. Une mère qui pleure jour et nuit, c’est très anxiogène. Il faut bien sûr trouver un équilibre. Les parents doivent rester un pilier et montrer qu’ils peuvent continuer à gérer le quotidien. Quand c’est trop lourd, ils ne doivent pas hésiter à demander de l’aide au niveau psychologique ou logistique. Ces soutiens, dispensés par l’entourage ou par des associations, sont d’une immense utilité pour les familles.
Quelle attitude les parents doivent adopter pour que les frères et sœurs trouvent leur place ?
Dans les témoignages que j’ai recueillis, j’ai noté quatre choses importantes. D’abord, préserver un cadre le plus stable possible, par exemple en maintenant les activités de la fratrie comme la musique ou le sport, ce qui permet aux uns et aux autres de « rester vivants ». Autre point essentiel : veiller à ce que chacun puisse exprimer ce qu’il ressent. Troisième élément, quand le malade rentre à la maison, il est préférable qu’il soit traité comme les autres : qu’on lui demande de ranger sa chambre, mettre le couvert… Enfin, ne pas hésiter à solliciter de l’aide, celle des grands-parents, des tantes et des oncles par exemple, ce qui aide les frères et sœurs à préserver leur statut « d’enfant » au sein de la famille.
Faut-il s’inquiéter si l’enfant ne fait pas de vague ?
Oui. C’est ce qui m’a surpris dans les récits des médecins. Quand tout semble tranquille, il faut tendre l’oreille. Or, de nombreux parents sont victimes d’une sorte d’aveuglement. Quand un enfant est gravement malade, l’idée que les autres puissent aussi aller mal est tout simplement insupportable. Et c’est souvent une fois que tout va mieux que des frères et des sœurs s’autorisent à s’effondrer. C’est pourquoi il est important de mettre en place des éléments de prévention afin de limiter la casse. Les signes qui doivent alerter : un changement de comportement, par exemple un ado qui passe ses journées rivé sur son écran, un bon élève qui multiplie les mauvaises notes, un comportement agressif, etc… Chez les plus petits, cela peut s’exprimer par des troubles du sommeil, de l’alimentation, des bobos qui se multiplient.
L’un des spécialistes que j’ai interviewés préconise d’accorder le statut de victime aux fratries marquées à vie par la maladie de l’un des leurs. Or, l’entourage comme la société ne leur reconnaît pas le droit de se plaindre puisqu’ils sont en bonne santé. Ils ne se voient pas non plus comme des victimes. Passer par la case victime permet de vivre sa souffrance, de s’en servir comme tremplin pour se projeter dans l’avenir.
Si l’enfant malade décède, faut-il emmener les frères et sœurs aux funérailles ?
Oui. Ce rituel est nécessaire. C’est un moment de partage qui rassemble une communauté et permet à chacun d’exprimer ses émotions. Plus tard, il est important que les parents n’idéalisent pas le disparu. Des remarques comme « ton frère aurait pu devenir un grand footballeur » ou « ta sœur n’aurait jamais fait cela » pourrissent la vie des fratries.
A lire : Sortir de l’ombre, les frères et sœurs d’enfants gravement malades, Muriel Scibilia, Editions Slatkine. Les droits d’auteure sont reversés à la recherche sur les cancers pédiatriques via l’association franco-suisse Enfance & Cancer
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