Le mathématicien Poincaré, les philosophes Pascal et Nietzsche, les scientifiques Newton et Einstein, les artistes Michel-Ange et Léonard de Vinci, ou, plus proche de nous, le geek entrepreneur Mark Zuckerberg.
Comme l’Histoire en témoigne, les neuroatypiques ne sont pas nés avec ce drôle de vocable qui pointe à l’avant-garde de l’univers psy et des professions de l’éducation. Que désigne au juste ce terme qui veut tordre le cou au neuro conformisme ?
Une notion en cours de définition
Neuroatypicité, neuroatypie ou neurodivergence définissent un fonctionnement cognitif qui diffère de la norme. Le terme rassemble pêle-mêle les TSA (Troubles du Spectre de l’Autisme, qui incluent le syndrome Asperger), la constellation des « Dys » (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie etc.) et les TDAH (troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité).
Certains professionnels incluent dans cette grande famille les syndromes liés à la précocité et à la douance (autrement dit les surdoués, aussi dits hauts potentiels intellectuels ou HPI), l’hypersensibilité et parfois même la bipolarité ou certains TOC. A en croire l’ONG Dyslexia and Literacy International, le phénomène concernerait près de 20% de la population.
« Ce mot est plus facile à dire que normal et anormal. Être Neuroatypique ne veut pas forcément dire que l’on est mieux ou moins bien, juste qu’on a des compétences cérébrales différentes », précise la psychologue clinicienne Séverine Leduc.
Spécialisée dans les bilans de diagnostic du TSA et du TDAH, la professionnelle a co-écrit avec le médecin psychiatre David Gourion l’excellent ouvrage Eloge des intelligences atypiques (Odile Jacob). Leur thèse fait écho à celle en vogue depuis quelques années dans une frange du milieu psy : les neuroatypiques auraient une façon bien à eux de penser et d’envisager le monde qui les entoure. Ils manquent parfois d’intelligence relationnelle et de sens d’autrui, mais quand on les aide à s’épanouir, ils peuvent exprimer leurs talents secrets et leur potentialité.
Maladie ou spécificité neuro fonctionnelle ?
« Les avancées en matière d’imagerie cérébrale ont permis de montrer qu’un cerveau de neuroatypique traite l’information différemment, via un câblage neuronal alternatif. Le cerveau des autistes présente aussi un nombre supérieur de connexions neuronales que celui de l’individu lambda. Ils font plus de liens, plus de traitement d’information », décrit Séverine Leduc.
Un virage a alors été pris de la part de certains professionnels qui ont cessé de considérer ces particularités comme des symptômes d’un dysfonctionnement cérébral. Une petite révolution !
Un concept qui déchaîne les passions
« Nous sommes une petite proportion de psys à nous interroger sur la pertinence du mot « trouble » associé au cerveau neuroatypique. Convient-il vraiment à toutes les particularités neuro fonctionnelles ? », questionne Séverine Leduc. « La nomenclature changera peut-être un jour ».
Cette dernière se réjouit de l’évolution rapide de la science et du nombre croissant de jeunes psychiatres ou psychologues qui se forment à des prises en charge différentes. « Les mentalités changent, mais il y a encore du travail. En France, le sujet reste miné ».
Le terme est controversé car nous ne nous plaçons ni sur le versant psychanalytique, ni sur le versant médical. La neuroatypie ne se diagnostique pas comme une maladie. L’autisme même reste un sujet sensible. « Pour beaucoup de neuroatypiques – ainsi que leurs proches -, la première souffrance est de ne pas être pris au sérieux », expose Claire Stride, auteure de Ingérable ou atypique ; accepter et accompagner les enfants différents (Ed. Desclée de Brower). L’ouvrage partage des méthodes salutaires pour aider l’enfant neuroatypique à « devenir lui-même et décharger l’entourage ».
On ne ressent pas le monde de la même façon, on n’apprend pas pareil non plus, d’où les difficultés rencontrées dans le cursus scolaire classique
Claire Stride alerte sur les risques liés à l’utilisation de ce terme à la mode. « Comme toute nouvelle idée, elle peut être mal comprise, voire détournée. Dès que l’on décèle chez son enfant un comportement surprenant, on veut lui coller l’étiquette atypique ; le fantasme d’avoir un enfant plus doué que les autres est humain », analyse-t-elle.
Or, la grande capacité des cerveaux neuroatypiques à gérer les données rend souvent les choses très compliquées. « On ne ressent pas le monde de la même façon, on n’apprend pas pareil non plus, d’où les difficultés rencontrées dans le cursus scolaire classique », pointe cette dyslexique, dyscalculique et haut potentiel formée en neurosciences. « Les neuroatypiques qui réussissent le font souvent en faisant de leur atypicité une compétence », constate la coach et conférencière très impliquée dans les questions de pédagogie innovante.
Un terme inventé par les autistes pour les autistes
Le monde de la neuroatypie est né du développement des neurosciences mais aussi d’une prise de pouvoir de la part des autistes à haut potentiel. Le terme de « neurodiversité » a d’abord été utilisé dans les années 90 par une chercheuse australienne en sciences sociales, Judy Singer, dont la fille était autiste.
Il a ensuite été propagé par des autistes à haut potentiel via leurs échanges internet. Les réseaux sociaux constituent un medium de communication plus confortable pour les neuratypiques car ils n’y ont pas besoin de décoder les nuances relationnelles comme dans « la vraie vie ».
La crème des autistes a ainsi pris la parole pour expliquer leur manière de fonctionner, à l’exemple du Français Josef Schovanec, Asperger, docteur en philosophie et polyglotte. « Cela nous a permis par ricochet de mieux comprendre comment fonctionnent des enfants autistes à difficulté et d’adapter nos manières de les accompagner », explique Séverine Leduc.
Une culture de la neurodiversité à construire
« Je préfère le terme de neurodiversité car il ne pose pas de frontières entre des catégories d’individus. Elle représente la diversité des intelligences humaines. On en fait tous partie », nuance Juliette Speranza.
Cette chercheuse en philosophie et professeure en classes prépa est l’auteur de l’étonnant ouvrage L’échec scolaire n’existe pas (Ed. Albin Michel). « Si Les choses évoluent bien, nous vivons dans un système encore très normatif où la neurodiversité fait débat ; il faut informer les gens à grande échelle et former à la différence le monde de l’éducation mais aussi celui du travail », propose la jeune femme qui milite pour de nouvelles approches d’enseignement à destination des neuroatypiques.
Dans cette logique, Juliette Speranza a cofondé la Neurodiversité France. Petite sœur du mouvement québécois (les Etats-Unis, l’Australie et le Canada ont une longueur d’avance), l’association rassemble des enseignants, des artistes, auteurs, professions socio médicales, et autres personnalités étiquetées neuroatypiques. « Notre but est de promouvoir ce concept neuf, organiser des actions de sensibilisations en milieux scolaire et professionnel. Nous souhaitons aider les familles ou particuliers qui souffriraient de discriminations liées à leur statut de ‘neuro divergent' », pose la militante. Informer pour éviter les dérives !
La folie des surdiagnotics
Diagnostics abusifs, autodiagnostics, tendances hypocondriaques… sur un marché de l’atypicité en plein essor, penseurs, spécialistes et enseignants déplorent que n’importe quel quidam puisse aujourd’hui prétendre au statut de haut potentiel, d’autiste, de TDAH.
Sans parler de la confusion entre hypersensibilité, haut potentiel, surefficience, intelligence émotionnelle. « En l’absence d’une prise en considération sérieuse de la diversité cognitive, nous risquons de voir proliférer toutes sortes de spécialistes, de coachs ou de promoteurs de gadgets numériques s’abreuvant de la détresse des familles et des individus marginalisés », prévient Juliette Speranza. Claire Stride alerte quant à elle sur les tests en ligne.
« Certains peuvent mettre la puce à l’oreille mais ensuite, il vaut mieux voir un professionnel formé à ces spécificités (psychiatre ou psychologue clinicien formé) pour confirmer les choses », abonde Séverine Leduc. « Les tests officiels ne sont pas mathématiques. Il faut un diagnostic clinique, qui se fait à partir de symptômes, de manifestations particulières ».
Diagnostiquer, c’est bien, mais après ? L’enjeu des prochaines années est d’aller vers une plus grande acceptation de la neurodiversité
Aux autistes, la psychologue clinicienne conseille de se diriger vers les « centres de ressources autisme ». Les TDAH se rapprocheront de l’association Hypersupers tdah france, forte avec d’une base scientifique solide et d’un carnet d’adresses fourni. Les dys consulteront un orthophoniste.
« Diagnostiquer, c’est bien, mais après ? L’enjeu des prochaines années est d’aller vers une plus grande acceptation de la neurodiversité », ouvre Séverine Leduc.
Avancée sociétale ou utopie ?
Aujourd’hui, la neurodiversité revendique ses stars, ses artistes, sa journée mondiale, ses colloques et festival. La chercheuse en sociologie et histoire des sciences Brigitte Chamak s’est penchée sur ce véritable phénomène dans Le concept de neurodiversité ou l’éloge de la différence, une analyse très instructive disponible sur la toile.
D’après elle, le parti pris positif sur cette condition a bouleversé les représentations et le diagnostic d’autisme. Il a permis à des adultes qui présentaient des caractéristiques autistiques sans savoir à quoi elles correspondaient de mieux comprendre les sources d’anxiété qui avaient marqué leur vie jusque-là et pourquoi ils avaient été victimes de rejet social.
Toutefois, la chercheuse prévient que cette redéfinition de l’autisme comme une « manière d’être, de penser, de sentir, de percevoir » peut desservir les cas les plus lourds (épilepsie, déficience intellectuelle, problèmes métaboliques).
« Nous ne nions pas la difficulté de certains individus qui ont parfois besoin de dispositif d’aide, de traitements », évoque Juliette Speranza. « Nous soutenons une éducation à la neurodiversité nécessaire pour permettre à la société de lire les comportements de ceux qui ont le plus grand mal à intégrer les codes sociaux ».
Une culture de la neurodiversité nous apprendra par exemple qu’une personne qui ne nous regarde pas dans les yeux ne nous méprise pas forcément ou qu’un enfant qui a la bougeotte en classe n’est pas automatiquement un provocateur. « En plus de l’éclairage scientifique, nous désirons apporter une réflexion philosophique et une éthique du vivre ensemble ».
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