Cyberpunk 2077 montre encore une fois le savoir-faire de CD Projekt en matière de RPG. Mais entre la hype monumentale, la communication massive autour du jeu et les attentes aussi grandes que différentes parmi tous les joueurs, Cyberpunk 2077 va-t-il satisfaire tout le monde ?
Le talent de CD Projekt n’est plus à prouver en matière de jeu de rôle et The Witcher 3 reste encore aujourd’hui une référence dans le domaine, que ça soit dans la conception de son open world, l’écriture de ses quêtes ou son aspect technique. Il y a 8 ans (ça fait loin hein ?), le studio polonais annonçait que son prochain projet serait une adaptation du jeu de rôle papier “Cyberpunk” écrit par Michael Pondsmith, et cette fois-ci il ne va pas faire la même erreur qu’avec Andrzej Sapkowski concernant les droits d’adaptation qui entraîneront des années de litiges judiciaires. Viennent ensuite de longues années de développement marquées par une hype grandissante, des joueurs pleins d’espoir et d’autres qui commencent à imaginer un pétard mouillé. C’est forcément regrettable de se dire que Cyberpunk est né dans la douleur, avec ses nombreux reports et un crunch abyssal pour son équipe de développement, alors que la direction du studio avait annoncé que le jeu se ferait sans cette pratique, mais après tout ce parcours du combattant, nous y sommes enfin.
Jeu vidéo… mais RPG avant tout.
Cyberpunk 2077 est avant tout un RPG. C’est quelque chose d’important à préciser parce qu’avec la vue à la première personne associée à la communication et les pubs autour du jeu très axées sur le combat et les explosions, on pourrait croire que c’est presque plus un jeu d’action. On ressent dès la création de personnage son côté jeu de rôle, avec le choix d’une origine (Nomade, Enfant des Rues ou Corpo), qui vont par la suite débloquer des dialogues spécifiques et enfin des statistiques réparties en 5 catégories qui vont déjà plus ou moins définir notre style de jeu. Mais Cyberpunk, c’est aussi beaucoup de dialogues, de temps morts, de choix de ne pas sortir son arme à chaque occasion. Vous voilà prévenus et ceux qui attendaient autre chose qu’un jeu de rôle papier transposé en jeu vidéo ne trouveront pas leur bonheur à chaque instant.
Un jeu du papier à l’écran
Pour les autres, Cyberpunk 2077 est un excellent RPG et je n’avais pas plongé de manière aussi intense dans un univers depuis Mass Effect. La vue à la première personne aide beaucoup à l’immersion mais c’est surtout la multitude de petits détails qui rendent Night City vivante qui va venir renforcer l’ensemble, mais on y reviendra plus tard. Dans ses mécaniques de role play, Cyberpunk 2077 propose quelque chose d’au final assez classique, mais très solide, comme les choix de dialogues dont certains sont bloqués par des stats ou par son origine, des actions disponibles uniquement selon sa force ou son intelligence. La progression est très riche puisqu’en plus d’améliorer ses stats, il va falloir choisir entre les différents attributs, et il y en a beaucoup.
Côté inventaire, on passe beaucoup de temps à regarder les nouvelles armes que l’on trouve et à comparer les stats de chacune pour voir si elle vaut le coup. Un processus un peu laborieux, mais qui est compensé par un système de crafting très simple dans lequel on peut améliorer son arme contre des ressources, ou la faire changer de catégorie (de bleu à violet par exemple) pour augmenter son potentiel. Bien sûr, Cyberpunk 2077 propose tout de même quelques originalités côté RPG avec le cyberdeck, aka les améliorations technologiques, allant des jambes qui permettent de faire un double saut ou un œil bionique qui va permettre de repérer les ennemis autour de nous en passant par un bras blindé pour avoir un bonus d’armure. Les possibilités sont encore une fois nombreuses et on n’en attendait pas moins.
L’épopée du futur
Au-delà de ses mécaniques, ce qui va faire de Cyberpunk 2077 un excellent RPG, c’est son écriture. On incarne donc V, un mercenaire qui est chargé de voler quelque chose à Arasaka, l’une des plus grosses entreprises de Night City. Après cette mission, le destin de V se trouve lié à celui de Johnny Silverhand et une course contre la montre se lance. On ne vous donnera pas plus de détails mais cette mission principale est très bien rythmée, n’hésite pas à s’offrir des temps morts par moment et va aussi être marquante grâce à une galerie de personnages secondaires absolument mémorable et on s’attend à voir les fan-arts de Jackie, Takemura, Rogue, Judie, Panam, et bien évidemment Johnny Silverhand arriver par centaines à la sortie du jeu.
La relation avec le personnage de Keanu Reeves est bien sûr la plus intéressante et complexe. On ne sait jamais vraiment sur quel pied danser avec Johnny et il y a un esprit de méfiance et de camaraderie avec lui qui fonctionne très bien. Le point important concernant cette quête principale, c’est qu’elle peut se finir très vite puisqu’il nous a fallu à peine 25 heures pour en venir à bout (en faisant aussi quelques quêtes secondaires pour rester au niveau), avec quatre fins différentes selon ses choix. On est bien loin des 140h qui avaient ému pas mal de monde il y a quelques semaines, mais c’est selon moi un bon choix de la part de CD Projekt. Ceux qui veulent faire l’histoire principale n’auront pas besoin d’y passer des semaines et pour les autres, Night City a bien d’autres choses à offrir.
On regrette cependant que certaines choses soient sous-exploitées au fil de l’histoire. La braindance, un dispositif qui permet de voir les souvenirs de quelqu’un d’autre, et qui va servir pour les phases d’enquête est très peu utilisée dans le jeu et c’est dommage d’avoir développé un concept aussi génial pour le laisser prendre la poussière. Le même constat peut-être fait avec le réseau des net-runners, un monde virtuel lui aussi très peu exploité et que l’on aurait aimé voir d’avantage. Ça n’empêche absolument pas l’intrigue d’être excellente mais on espère que les DLCs exploiteront davantage ces aspects oubliés trop vite.
Night City la généreuse
Quand il s’agit de quêtes secondaires, on peut faire confiance au studio polonais pour proposer quelque chose d’exemplaire et Cyberpunk 2077 n’échappe pas à la règle, même s’il y a une certaine hiérarchie d’intérêt dans ce que l’on peut faire. Les missions les plus intéressantes vont être celles liées aux personnages secondaires que j’ai mentionnés plus haut. Puis viennent ensuite des missions que l’on débloque avec notre niveau de “street cred”, un système de renommée que l’on gagne à chaque mission comme de l’expérience. Et enfin, les missions que l’on trouve sur la map de Night City, qui vont être un peu plus anecdotiques et avec une scénarisation moins poussée, même si on a parfois droit à d’excellentes surprises. Ajoutons à ça les différents véhicules à acheter, les cartes de tarot à trouver, les différents ripperdocs qui proposent chacun des améliorations cybernétiques différentes à visiter et on a de quoi explorer Night City pendant plus d’une centaine d’heures. Surtout avec des références dans tous les sens à Portal, Akira ou Hideo Kojima par exemple.
Et ça va être un vrai plaisir puisque Cyberpunk 2077 est un jeu magnifique avec un sens du détail chirurgical. Que ça soit de nuit avec toutes les publicités en néon ou de jour quand la ville grouille de monde, difficile de ne pas plonger tête la première dans cet univers. Entre les affiches un peu partout, les ruelles sombres avec des prostitués/es ou des criminels, les petits boui-bouis qui vendent de la street food, les styles vestimentaires ou les voitures, se balader dans les rues est un pur bonheur et on sent que l’équipe de développement a mis toute son âme pour leur donner vie. Des mécaniques du jeu toutes simples mais très efficaces vont venir renforcer l’immersion, comme le fait que notre caméra bouge un peu quand on court et qu’on croise des PNJs comme pour donner l’impression qu’on l’évite, ou que l’on va se faire rouler dessus par une voiture si on traverse n’importe où et n’importe comment.
Côté sonore, il y a également un sacré travail pour rendre harmonieux le bruit constant et le brouhaha d’une grande ville, entre les publicités, les gens qui parlent, les bruits de moteur, mais également le calme et la nature une fois sorti de la ville. Un travail qui passe inaperçu mais qui est lui aussi inestimable pour l’immersion. Pour la bande son, la musique est au final très discrète à part dans les moments déterminants, à l’exception de la radio quand on conduit. Très variée dans les genres, difficile d’écouter tout ce qu’elle a à proposer. En parlant de véhicule, la conduite est assez particulière dans Cyberpunk 2077 et il va falloir un petit temps d’adaptation pour maîtriser et dompter ces petits savons sur roues et profiter pleinement des rues de Night City.
Cyberpunk fonctionne aussi très bien quand il s’agit de nous en apprendre plus sur son univers. Plutôt que de nous bourrer d’informations, le jeu va trouver des moyens subtils de nous expliquer à quoi ressemble la société de cet univers, les pouvoirs en place, les gangs de différents quartiers à travers des missions ou des extraits de journal TV qui tournent en fond quand on se balade. Au-delà de sa beauté et son immersion, Night City est une merveille de level design et on s’en rend compte à chaque mission. Le moindre bâtiment peut être abordé de tellement de façons et chaque situation peut se résoudre différemment en fonction de ses statistiques, aussi bien dans l’histoire principale que dans un petit boulot de mercenaire.
Cyberpunk 2077 n’est pas cyberpunk ?
Cyberpunk 2077 a beau être un excellent RPG avec des bases solides, un univers très beau et très immersif, il est au final moyennement représentatif du genre littéraire dont il porte le nom. William Gibson, le principal représentant du genre avait, déclaré en 2018 que le jeu n’était “pas assez cyberpunk” avant de finalement revenir sur ses propos quelques mois plus tard. On retrouve bien le côté rocker et anti-héros, avec un perso principal en bas de l’échelle, des personnages à la morale discutable ainsi qu’un univers de science-fiction dystopique très sombre et déprimant avec des méga-corporations qui ont pris le contrôle du monde. Le jeu est aussi relativement vulgaire dans ses dialogues et ne cache pas son rapport au sexe avec des affiches plus qu’explicites et des godes trouvables dans pas mal d’endroits de Night City. Une surenchère qui n’est pas gênante et qui participe beaucoup à donner un côté brut et provocateur à l’univers du jeu. Bref, un univers punk.
Le jeu coche donc toutes les cases d’une œuvre que l’on peut considérer comme appartenant au mouvement cyberpunk. Le problème, c’est qu’il se base sur des standards établis il y a plus de 20 ans et va s’y tenir sans jamais essayer de les moderniser ou proposer une critique directe de notre société actuelle, qui est (j’ai pas besoin de vous l’expliquer) totalement différente aujourd’hui. Je disais au début de ce test que Cyberpunk 2077 était un JdR papier bien transposé en jeu vidéo et si c’est une bonne chose pour le gameplay, c’est moins vrai pour cet aspect là. On retrouve l’aspect rébellion contre le système à travers l’histoire principale, mais on aurait aimé que CD Projekt s’approprie davantage les codes du genre et s’éloigne de l’œuvre originale de Michael Pondsmith pour apporter quelque chose de nouveau et plus proche de notre réalité.
L’arsenal du futur
Bon avec tout ça, on a toujours pas parlé des combats et des armes. C’était ma grosse crainte quand j’avais testé Cyberpunk 2077 pendant quelques heures il y a trois mois avec des sensations de gun fight un peu molles. Au final, les premiers combats sont un peu difficiles et manquent de lisibilité mais on s’y fait assez rapidement, au fur et à mesure que l’on découvre les nouvelles armes. Entre les katanas, les armes avec balles auto-guidées ou celles qui passent à travers les murs, on peut avoir un arsenal assez varié et plutôt fun à utiliser. Le jeu nous force de toute façon à changer régulièrement d’armes et d’armures puisqu’on passe constamment notre temps à looter des nouveaux objets et à checker notre inventaire. Quand on sort d’un Assassin’s Creed Valhalla qui a enfin réussi à gommer cet aspect, c’est rude.
Les quelques boss du jeu sont très sympas à combattre et l’occasion d’avoir un challenge supplémentaire. L’IA des ennemis normaux est tout à fait correcte en combat et il va falloir bien se mettre à couvert et profiter des hacks pour avoir l’avantage. Au-delà des armes, l’originalité dans les combats de Cyberpunk vient de ses hacks. On peut seulement en équiper quelques uns mais ils vont s’avérer très utiles, entre celui qui permet de court-circuiter quelqu’un, désactiver ses yeux cybernétiques pour le rendre aveugle, ou même carrément retourner son bras contre lui, les possibilités sont nombreuses au delà des armes et donnent un gros plus au combat.
Cyber-ninja contre IA aveugle
Cette mécanique va également être très utile et originale en infiltration pour distraire des ennemis en activant des appareils à proximité ou encore reset un ennemi qui nous avait repéré avant qu’il nous attaque. De manière générale, l’IA est beaucoup plus idiote quand on joue en mode infiltration qu’en combat direct. On peut parfois passer à côté d’elle sans qu’elle ne voit rien et rien que le fait d’être accroupi suffit à être un vrai ninja. On aurait aimé une difficulté un peu plus élevée de ce côté-là, surtout que le level design et ses nombreux choix de parcours permettent souvent d’éviter pas mal d’obstacles. D’un autre côté, le système de checkpoint n’est pas aussi bien fait que celui de TLOU Part 2, qui permettait de reprendre à l’action précédente si on se faisait repérer. Dans Cyberpunk 2077, se faire repérer signifie parfois qu’il va falloir refaire toute une section.
Ça vaut quoi ?
Cyberpunk 2077 est un excellent RPG qui va ravir les rôlistes et réussir à convaincre pas mal de monde. Mais avec la hype qu’a connu le jeu et sa communication, on va se retrouver également avec pas mal de déçus qui ne s’attendaient peut-être pas à un jeu qui s’autorise par moment beaucoup de dialogues et de prendre son temps. Si l’ensemble repose sur une structure solide héritée de The Witcher 3 et va proposer peu de révolutions dans ses mécaniques de jeu, ça reste une valeur très sûre pour proposer une belle expérience, avec un bon scénario et des personnages hyper attachants et très bien écrits. On aurait aimé passer moins de temps dans son inventaire, ou retrouver plus souvent des choses originales comme la brain dance mais le dernier né de CD Projekt reste une œuvre qui marque.
Il faut la dompter, aussi bien dans ses gun fights que dans la conduite, mais on se fait au final très facilement happer par Night City, sa beauté graphique, son ambiance, ses sons et l’amour du détail de CD Projekt. Et si on a rencontré quelques bugs pendant le test, c’est nettement moins critique que Valhalla à ce niveau. La conclusion du jeu arrive rapidement, ce qui devrait plaire à ceux qui ne veulent pas passer 100h dessus et le jeu est suffisamment riche pour les plus fervents joueurs mais dans tous les cas, elle ne laisse pas indifférent et j’ai dû attendre quelques heures après avoir terminé le jeu pour assimiler totalement l’expérience que je venais de vivre. Est-ce que Cyberpunk 2077 est vraiment une œuvre cyberpunk ? Le débat ne va pas captiver le grand public et va animer les fans de littérature sans les empêcher d’apprécier le jeu pour ce qu’il est : une expérience très immersive dans laquelle il est très difficile de s’arrêter une fois lancé, et qu’on a envie de refaire avec une autre origine pour prolonger encore le plaisir.
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