Pourquoi la chanson italienne boude la France (et inversement)

  • Des années 1960 à 1990, les chansons italiennes étaient nombreuses à s’imposer dans le Top 50 français.
  • Ce n’est plus le cas depuis le début des années 2000. « Les médias français donnent un peu d’espace mais pas tellement à la musique italienne. Il est donc plus compliqué d’en faire écouter au public français », estime le compositeur Davide Esposito, originaire de Naples.
  • Il faut aussi signaler que les interactions entre les artistes français et italiens ne sont plus aussi fréquentes que durant les années 1960 et 1970 où ils avaient tendance à s’inspirer les uns les autres.

Volare, Ti Amo, Caruso, Come Prima… Ces chansons italiennes sont des tubes. Elles figurent toutes sur Penso A Te, l’album de reprises
avec lequel Claudio Capéo fait son retour. La plus récente de la liste, Se bastasse una canzone, fête cette année ses trente ans. Le concept du disque étant de rendre hommage aux morceaux que le chanteur écoutait gamin avec ses parents originaires d’Italie, il n’y a rien d’étonnant. Il n’empêche, ce projet nous rappelle qu’à une époque pas si lointaine, bon nombre de chansons traversaient les Alpes pour se classer dans les hauteurs de notre Top 50.

Gloria, Sarà perché ti amo, Felicità, L’Italiano ont marqué les années « boum » des Français qui sont encore aujourd’hui capables de les fredonner. Au cours de la décennie 1990, Laura Pausini, Eros Ramazotti et autres Nek se sont imposés chez nous avec leurs ballades. Mais, depuis une quinzaine d’années, plus rien, comme si le On n’oublie jamais rien, on vit avec, récit d’une séparation chanté en duo par Hélène Ségara et Laura Pausini qui se sont classées troisièmes du Top 50, avait prophétisé ce désamour.

Pourquoi les stars de la chanson italienne ont-elles déserté le paysage musical français ? On pose la question à Claudio Capéo qui sèche : « Je n’en ai aucune idée, je ne veux pas raconter de bêtises. Peut-être qu’il n’y a pas eu d’étincelles, que les planètes ne se sont pas alignées ou que personne n’avait envie de percer en France avec de l’italien. Ça reste un mystère. »

« Faire un tube en France, c’est un privilège »

« C’est difficile à comprendre », confirme Davide Esposito. Le compositeur et interprète originaire de Naples a tout de même une hypothèse : « Les médias français donnent un peu d’espace mais pas tellement à la musique italienne. Il est donc plus compliqué d’en faire écouter au public français dans l’imaginaire duquel les souvenirs restent liés à Ramazotti ou Pausini… »

Ou à Tiziano Ferro, qui a classé en 2002 son Perdono à la quatrième place du Top français. « Quand on arrive à faire un tube en France, on sait que c’est un privilège, glisse le chanteur à 20 Minutes. Le marché français est complexe. Il y a tellement de diversité musicale qu’il n’y a pas besoin d’importer quoi que ce soit. » Selon Tiziano Ferro cette question n’est pas propre à l’Hexagone : « Le streaming a rendu tant de musiques disponibles en permanence qu’il n’y a plus de limites. Il n’y a plus de fascination pour l’étranger, parce que l’étranger n’existe plus. »

Paradoxe : avec Deezer, Spotify et autres Apple Music, on a accès à Paris, Rennes ou Point-à-Pitre à la même offre musicale qu’à Rome, Turin ou Palerme. Mais ce n’est pas pour autant que les voix italiennes atteignent en masse nos oreilles.

L’exemple de Soldi est parlant. Ce titre de Mahmood sorti l’an passé est le morceau transalpin le plus écouté sur Spotify de toute l’histoire de la plateforme. Il s’est classé dans les Tops autrichien (12e), suédois (10e), suisse et espagnol (5e) mais pas dans leur équivalent français, malgré ses quelques passages en radio, sur NRJ notamment. Soldi avait par ailleurs bénéficié d’une super vitrine en finissant deuxième de l’Eurovision 2019 après avoir remporté le Festival de Sanremo, le rendez-vous phare de la chanson italienne qui a révélé dans le passé des tubes parmi lesquels… Sarà perché ti amo, Felicità, L’Italiano ou La Solitudine.

Des chansons françaises originaires d’Italie

Il faut chercher ailleurs les raisons de la prise de distance entre le grand public français et les artistes italiens. Et commencer par remonter au temps où les deux côtés des Alpes étaient au diapason. Retournons en 1951, année de la création du Festival de Sanremo. L’événement voit le jour dans l’Italie exsangue de l’après-guerre avec l’ambition, entre autres, de stimuler la création musicale locale et d’apporter de nouveaux airs sur les ondes radios. Il a joué un rôle considérable dans le rayonnement de la musique italienne à l’international.

Dans les années 1960, le règlement a permis à des artistes étrangers de pousser la chansonnette sur des titres en lice. On a ainsi vu Dalida, Antoine, Nino Ferrer ou encore Salvatore Adamo sur la scène du concours – le fait que plusieurs de ces personnalités soient issues de la diaspora italienne n’est pas anodin. Dans sa thèse Selling Italy by The Sound, Paolo Prato note que les artistes ayant émigré ou étant nés de parents italiens hors d’Italie « représentent une part importante des dynamiques interculturelles », qu’ils aient repris des chansons italiennes ou adapté leurs titres en italien, mais surtout en étant « les premiers ambassadeurs de la culture musicale ». Quoi qu’il en soit, l’opportunité était parfaite pour nouer des liens entre vedettes francophones et stars italiennes, d’autant qu’à l’époque il était fréquent d’adapter des succès étrangers dans la langue locale.

A ce jeu-là, les chansons transalpines reprises en français sont nombreuses. France Gall a ainsi ajouté à son répertoire L’Orage, adaptation de La Pioggia de Gigliola Cinquetti avec laquelle elle a participé au Festival de Sanremo en 1969. Bien plus connu, Bambino, premier triomphe de Dalida est une version francophone d’une chanson napolitaine, Guaglione.

Joe Dassin peut lui aussi dire « grazie mille » : Siffler sur la colline, L’été indien, Et si tu n’existais pas, Il était une fois nous deux – soit un paquet des sommets de sa discographie – sont tous signés par le vainqeur du Festival de Sanremo 1980 : Toto Cutugno. Ce dernier, particulièrement connu pour son tube L’Italiano – qu’Hervé Villard a repris sous le titre Méditerranéenne – n’a pas chômé dans les années 1970 et 1980 pour servir la variété française. Beaucoup ignorent que des classiques tels que Laissez-moi danser de Dalida, Derrière l’amour de Johnny Hallyday, Voici les clés de Gérard Lenorman ou En chantant de Michel Sardou n’auraient pas vu le jour sans cet Italien.

Des duos franco-italiens pour « ouvrir des portes »

Difficile de trouver plus prolifique que Toto Cutugno à part peut être Davide Esposito. En 2005, le Napolitain a traduit sa chanson Io so ché tu qui est devenue Ecris l’histoire, plus grand succès de Grégory Lemarchal. Il a composé pour Johnny Hallyday, Céline Dion, Sylvie Vartan, Kendji Girac, Florent Pagny, Patricia Kaas, Amir, Garou, Nolwenn Leroy, M. Pokora… Et il a travaillé sur la réalisation du dernier album de Claudio Capéo. Le salut de la chanson italienne en France reposerait-il entre ses mains ?

« Il y a un duo avec Gianna Nannini [n°2 du Top 50 français en 1988 avec I Maschi], mais la bonne idée serait d’en faire d’autres, avance Davide Esposito. Ce projet pourrait être une sorte de volume 1 pour éventuellement enchaîner sur un projet avec des propositions plus proches de la nouvelle scène italienne. On a tenté d’impliquer certains de ces artistes, comme Elodie, mais, pour une question de timing, c’était compliqué de les avoir. » De telles collaborations pourraient « ouvrir des portes » d’un côté comme de l’autre de la frontière, reconnaît Claudio Capéo. Tout sourire, il ajoute : « Si on peut s’entraider entre Français et Italiens ça peut être sympa ! »

Il y a assurément une dynamique à réactiver. Mi-novembre Sfera Ebbasta confiait à 20 Minutes
ses rêves de gloire internationale. Le plus grand rappeur italien actuel, qui vient de sortir son quatrième album, Famoso, a acquis ces cinq dernières années une petite notoriété en France au gré de ses collaborations avec SCH (Cartine Cartier) ou, dernièrement, Lacrim (Dracula). Il est dans les radars des médias spécialisés et/ou à l’audience jeune. Dans le même temps, Laura Pausini sortait Moi si, la version francophone de Io si, extraite de la bande originale de la nouvelle adaptation de La vie devant soi, dans l’indifférence générale et, surtout, sans aucune promotion. Bella ciao.

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