Maïmouna Doucouré : "Je m'attache à raconter la France plurielle"

Les acteurs du changements – 5/6. Dans la droite ligne du mouvement Black Lives Matter, la mobilisation se poursuit en France pour combattre le racisme. Comme cinq autres personnalités la réalisatrice Maïmouna Doucouré s’engage. Elle raconte les discriminations et l’urgence d’en sortir.

C’est l’une des nouvelles sensations fortes du cinéma. Rien ne peut entamer l’assurance de petit «tanagra» de 35 ans, qui trace sa route perchée sur ses stilettos avec l’énergie des conquérants. La cinéaste franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré a marqué les esprits dès son premier film, Mignonnes, sorti en salles le 19 août et distribué aussi sur Netflix partout dans le monde. Bardé de prix (Meilleur réalisation au Festival du film indépendant de Sundance, Mention spéciale du jury à la Berlinale), il raconte les 400 coups d’Amy, 11 ans, une préadolescente tiraillée entre une éducation rigoriste et une envie de liberté, qui intègre le groupe de danse sexy d’une bande de filles délurées. Le film questionne l’hypersexualisation des jeunes filles mais aussi leur difficulté à grandir et à trouver leur place dans la société actuelle. À travers son œuvre, Maïmouna Doucouré fait entendre sa voix, puissante et féministe. Pour Madame Figaro, la réalisatrice évoque les discriminations qu’elle affronte parfois, la nécessité d’une inclusion sociale forte. Son militantisme passe par la création.

Madame Figaro -. Avez-vous déjà été confronté au racisme ?
Maïmouna Doucouré -. J’avais 6 ans. Nous étions dans la cour de récréation. Louise, avec qui j’avais l’habitude de jouer, a refusé de me donner la main et m’a lancé : «Tu es noire». Plus que les paroles, c’est le mépris et le dégoût qu’il y avait derrière ces mots qui m’ont blessée. Plus tard, adulte, une femme qui pensait me faire un compliment me dit : «Tu es jolie parce que tu n’as pas les traits négroïdes». Cela m’a mise en rage. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il faut avoir les traits fins pour être beau ? Être proche du caucasien pour être apprécié ? Trop de gens ont souffert et souffrent encore de ce diktat de la beauté. On se regarde dans le miroir et on ne s’aime pas. L’estime de soi se disperse comme une traînée de poudre.

En vidéo, « Mignonnes », la bande-annonce

Quel impact cela a-t-il eu dans votre construction ?
Sur les bancs de l’école, on apprend que la colonisation n’est qu’une mission civilisatrice, sous-entendu, un service rendu à ces «pauvres» Noirs culturellement et intellectuellement inférieurs. Croyez-moi, quand le professeur nous enseignait cela, j’avais envie de partir pour ne pas avoir à affronter ces regards de pitié sur la pauvre négresse, sans ancêtre héroïque, que j’étais. Avant d’en apprendre un peu plus par moi-même sur l’histoire africaine, sa grandeur, sa philosophie, sa science, ses arts, ses civilisations, ses figures marquantes, la vraie histoire de l’esclavage et de la colonisation. Je savais que je ne pouvais pas compter sur le système éducatif pour transposer cette intégrité historique.

« Un manque de rôles modèles criant dans les médias et au cinéma »

Quels freins avez-vous rencontrés dans votre vie ?
Un des plus grands freins? Le manque de rôles modèles criant dans les médias et les représentations cinématographiques et audiovisuelles. Ou seulement des modèles très stéréotypés du type «Ya bon Banania» ou bourrés de clichés (nounou, femme de ménage, prostituée…). Tout cela est très violent parce que c’est dire à l’autre qu’il ne compte pas dans la société ou qu’il existe mais seulement en tant qu’individu subordonné. Ça crée des barrières solides, des croyances limitantes qui nous arrêtent aux portes de nos rêves. J’ai, tout de même, conscience d’arriver au bon moment car il y a une réelle volonté de changement. Un travail de fond qui s’opère pour plus d’inclusion.

Ce qui vous a guidé pour vous accepter ?
Mes parents. Ils ont travaillé dur pendant plus de 40 ans. Mon père s’est levé toute sa vie à 4 heures du matin pour balayer les rues de Paris, pendant que ma mère faisait des ménages dans des centres. Chez nous, on ne rêve pas, on travaille pour vivre et c’est déjà ça. Parce que, comme disait mon père, pouvoir travailler, c’est la plus grande chance de notre vie. Mes parents nous ont transmis la dignité, l’honneur, la fierté d’être qui nous sommes. Eux, n’ont pas eu de rêves, alors le moins que l’on puisse faire pour leur rendre hommage, c’est de réaliser les nôtres !

Ressentez-vous un changement depuis le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, et l’onde de choc que cela a généré en France ?
Le 13 juin 2020, j’étais dans la manifestation organisé par le collectif «Justice pour Adama Traoré». Avec les 120 000 personnes présentes, des barrages de police nous ont empêchés de marcher, empêcher de manifester, dans le pays de la République. À ce moment-là, j’ai eu peur et compris à quel point la liberté pouvait être fragile. Mais ça ne nous a pas arrêtés. Nos voix se sont élevées à l’unisson pour la justice ! C’était grand, c’était beau, c’était précieux et plein d’espoir. Tout ce mouvement qui vibre aux États-Unis et dans le monde depuis la mort de George Floyd, victime de violences policières à Minneapolis le 25 mai dernier, marquera l’histoire. Je pense qu’il y aura un avant et un après. Je suis de nature optimiste, nous avançons dans la bonne direction.

Comment, selon vous, œuvrer pour une société plus égalitaire ?
Aucun enfant de la République ne doit se sentir mis au ban de la société. L’inclusion sociale est une nécessité absolue pour panser nos maux. Je pense que pour embrasser pleinement sa diversité, la France doit commencer par regarder en face son histoire et ne pas en avoir peur. Une grande nation est une nation qui célèbre son histoire héroïque et c’est aussi celle qui regarde en face ces zones d’ombre. Arrêtons d’imaginer que l’esclavage et la colonisation ne font pas intrinsèquement partie de notre construction. Arrêtons d’essayer de travestir ou d’enjoliver le passé, ça nous permettra de mieux construire l’avenir. En France nous arrivons à voir avec tellement de lucidité le problème du racisme structurel aux États-Unis mais nous refusons catégoriquement de voir que nous avons également un problème chez nous. Certes, nous n’avons pas la même histoire ni le même système. Mais l’impunité policière est réelle. Ce n’est pas un fantasme, la France a été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits à cause de sa discrimination et de la violence de sa police.

En quoi êtes-vous actrice du changement ?
Quand on est Noir, le combat contre la discrimination et la stigmatisation est intrinsèquement lié à nos vies et à notre quotidien. Cela fait partie de nous. Aussi, on est dans une perpétuelle transmission de valeurs fortes auprès des plus jeunes qui nous entourent afin que l’estime de soi deviennent une arme redoutable déjouant tout plafond de verre. En tant que réalisatrice, je m’attache à raconter cette France plurielle et à faire exister des héros différents qui permettent d’ouvrir les imaginaires et d’élargir le champ des possibles. J’ai l’opportunité de faire entendre ma voix à travers ce précieux art qu’est le cinéma, alors «action !».

Source: Lire L’Article Complet