Que fait une artiste quand son album, prévu le 14 février, voit la crise sanitaire déferler, avec confinement à la clé et tout s’arrêter ? Comment vit-on quand on a la musique dans la peau et qu’on est privé de concert ? De répétitions ? Lea Deman, formidable chanteuse de jazz, qui a commencé à chanter à l’âge de 13 ans, répond, avec son sourire et son énergie indomptables, au moment où sort (enfin) son album : BlackRain.
« Quand mon label et moi même avons pris la décision de reporter la date d’un album, qui nous avait demandé deux ans de travail, nous nous sommes sentis, avec mes musiciens, amputés, frustrés, explique Lea Deman. On a vu tout se fermer au fur et à mesure. Les concerts prévus, les salles les clubs … Et on était tous, musiciens de jazz, de rock, de pop ou lyrique, dans la même galère ! Heureusement, le monde de la musique est solidaire ; on s’est beaucoup appelé, on a parlé sur Zoom… »
Le confinement : une étrange parenthèse
Le confinement est une étrange parenthèse dans la vie de la musicienne. « J’ai chanté pour moi seule, au piano, j’ai échangé avec des amis des musiques que j’aimais « . Elle compose aussi, environ un thème par jour, qu’elle met de côté pour plus tard, « comme dans une boite fermée à clé, pour un futur album… «
BlackRain vient enfin de sortir, mais reste une difficulté majeure : où jouer ? « Les lieux sont pris d’assaut, il y a au moins 40 groupes sur liste d’attente au Sunset ou au Duc des Lombards –célèbres club de jazz parisiens. » Lea a envie de tester sur le public son One More dance (une composition de Claude Barthélemy, qui joue avec elle) : « c’est une danse de séparation, à la fois triste et gaie, un peu comme quand on se dit « C’était bien, mais c’est fini… « ; sa Berceuse Bleue aussi, sur une femme qui berce un homme -et se berce aussi d’illusions… BlackRain, qui donne son titre à l’album, c’est la pluie noire de la pollution sur le monde, une chanson qui a « une étrange résonance avec la crise sanitaire actuelle, ce virus qui potentiellement peut tous nous attaquer… » Quant à Mama, elle raconte comment la relation parentale s’inverse parfois, avec l’âge, et que notre mère devient notre fille : « J’aime me servir du second degré pour faire passer des choses difficiles… «
Chet Baker par la voix d’une femme
Lea Deman aime les défis : son précédent disque Sings Chet Baker, est une réinterprétation des standards du célèbre trompettiste de jazz : « J’avais envie de montrer qu’une femme pouvait s’approprier son univers. » Elle se met à écrire, des petits thèmes, comme elle dit, et à les distiller lors de ses concerts « pour voir si ça marchait… « . Ca a marché, le public a aimé, et Lea s’est attelée à la composition et l’écriture d’un album complet. En anglais, car elle, est, selon ses mots « issue des langues « : (elle a passé son enfance à Conakry, aime la musicalité des dialectes africains, et celle de l’arabe ou de l’hébreu qu’elle parle couramment…). L’anglais est la langue de l’écriture : « Il est plus évident pour moi, il me sert à exprimer des sentiments, des sensations ; c’est comme un masque, un déguisement, à travers lequel je peux raconter les choses les plus fortes. »
De Myriam Makéba à Daniel Balavoine
Lea Deman, c’est d’abord une voix. Petite fille, à Conakry, elle est fascinée par celle de la voisine, qui chante tout le temps : C’est Myriam Makéba ! Premier contrat à 13 ans lors d’une audition pour un disque de chants folkloriques. Elle est l’élève de Christiane Legrand – la soeur de Michel – dans l’unique école de jazz parisienne d’alors ; à 19 ans elle a croisé la route de Daniel Balavoine. Elle monte ensuite Yona, le groupe gagne la première édition du concours des Francofolies et parcourt le monde. Elle et ses deux soeurs chantent en arabe, en hébreu, en Ladino. Des thèmes kabyles, gnawas, algérois ou encore le Cantique des cantiques.
Et puis le jazz, bien sûr, dans lequel Lea baigne depuis l’âge de 17 ans, son « élément naturel « ..
Autant dire que ce n’est pas la covid 19 qui va lui faire aujourd’hui lâcher le micro. « Je suis une incorrigible optimiste; récemment de retour d’ Israël et j’ai été frappée de l’intensité avec laquelle les gens vivaient. Cette crise va être l’occasion de se réinventer. Après la pluie noire, l’éclat du bleu ! «
Album BLACKRAIN Avec Claude Barthélemy & Stéphane Guéry : guitares, Jean-Luc Ponthieu : basse & contrebasse, Éric Groleau : batterie. (Label 3=Tomato / Urban Noisy).
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