Sur "Aimée", Julien Doré change de registre avec le même savoir-faire pop

Ne pas se fier au titre du cinquième album studio de Julien Doré, Aimée. Car d’histoires d’amour et d’affres sentimentales il n’est pas question dans ce cinquième album studio du chanteur à la crinière de lion. « Je ne veux plus écrire les peines que le féminin m’a fait« , sont d’ailleurs les premiers mots de cet album qui nous soient parvenus, via La Fièvre, premier single parti en éclaireur dès le 25 juin. En réalité, Aimée, c’est le prénom de sa grand-mère âgée de 99 ans et de sa mère aussi, deux femmes fortes qui ont beaucoup compté.

Ne pas se fier non plus à la couleur rose tendre de la pochette. Car Julien Doré ne voit pas la vie en rose sur ce disque au ton ironique et désabusé. Ayant exploré l’amour en long et en large sur ses deux précédents opus, Love et &, Julien Doré tourne la page et change de registre avec Aimée. Il y expose comme jamais sa vérité d’homme, dévoilant ce faisant de nouvelles facettes de sa personnalité.

Retour aux sources, dans ses Cévennes natales

Il y a deux ans, c’est avec la ville, son hyperactivité et son clignotement permanents que le natif d’Alès a rompu, quittant Paris et le bruit médiatique pour s’installer dans son fief des Cévennes. Là, il a renoué avec le silence et la nature, réapprivoisant le travail manuel (le potager, le bricolage), retrouvant les siens et sa terre d’enfance, quittée brusquement à l’âge de 24 ans avec le succès que l’on sait.

Pour dire ses préoccupations sur l’état du monde, en particulier la crise climatique, et son opinion sur la société des hommes telle qu’elle va (à vau-l’eau), Julien Doré s’était juré cette fois d’être plus direct, en abandonnant les allusions et autres métaphores alambiquées. Mais on ne se refait pas : s’il renouvelle la thématique de ses textes sur Aimée, il cultive toujours la subtilité. Par exemple, sur les deux versions du très beau titre Barracuda, dans lequel il résume son sentiment d’un trait d’esprit bien senti : « Tout le monde a quelque chose à dire sur mes cheveux ou le climat, bien que les deux aillent vers le pire, personne ne se battra pour ça. » 

Il se montre plus rarement frontal. Mais c’est le cas face à l’inconscience des vedettes sur La Fièvre : « L’enfer, c’est pas les autres / C’est ceux qui te font rêver / Et qui vendent leur culotte / pour un peu de télé / Et toute ma grande famille / A le cœur tout chamboulé / Tant qu’il y a quelques partages / Et du vide à écouler / Ils iront sur la banquise / Passer quelques mois d’été / Photographier quelques plages / Pour un peu de monnaie. »

Un album entre deux eaux, à la fois enjoué et mélo

Plus souvent, dans ce disque, Julien Doré mêle autodérision et ironie pour exprimer sa vision, en se gardant bien de donner des leçons. Tout du long, il oscille entre pessimisme et optimisme, espérance et abattement. Le tout sur des ritournelles pop dont il a le secret, plus ou moins sautillantes ou mélancoliques, régulièrement illuminées de chœurs d’enfants, symboles d’innocence et d’espoir.

En dépit de son rythme enjoué, La Fièvre est ainsi une chanson plutôt accablée sur l’état de la planète et du climat. Barracuda, déjà citée, est un commentaire désabusé sur la société mais on y entrevoit la lumière puisque, assure-t-il, « tout est encore possible« . Cependant « tout ça ne sert à rien » répète-t-il en duo avec Clara Luciani sur L’île au lendemain, une chanson aux notes de synthé liquides et au tempo très ralenti.

Sur la poignante Kiki, il s’adresse à un enfant, celui qu’il aura peut-être un jour. Et il a cette phrase terrible : « j’ai dessiné ta tombe avant même de te bercer« , pour dire « la honte » de sa génération et de celles qui l’ont précédée. « Tout ça ne tient qu’à un fil qu’on a mal déroulé« , s’excuse-t-il, imaginant le monde dénaturé qui lui sera laissé.

La pochette de « Aimée », le cinquième album studio de Julien Doré. (COLUMBIA / SONY)
La Bise, écrite et terminée avant le Covid-19, prend une nouvelle signification dans un monde masqué – « pourquoi tu m’fais la bise, moi je voulais t’embrasser, toi t’as penché comme à Pise, gauche ou droite t’as hésité/ Pourquoi tu m’fais la bise, le fond de l’air m’effraie« . On retient aussi la délicate Ami, un hommage aux chers disparus, dont son héros et ami Christophe, – « Tout ce qui me blesse c’est la présence des absents / Ceux dont la faiblesse est de dormir à présent » – ainsi que la douce plainte Lampedusa, qui offre une voix aux réfugiés continuant d’échouer sur l’île italienne dans l’indifférence générale.

La plus curieuse Blablabla, avec son autotune et ses échos caribéens, a été réalisée en une journée avec les deux rappeurs belges Caballero & JeanJass, dont Julien Doré avait adoré le clip de Dégueulasse qui retournait justement avec génie la situation des réfugiés – la plage vers laquelle des réfugiés s’apprêtaient à accoster prenant feu, les estivants voulaient tous soudain s’accrocher à l’embarcation de fortune pour échapper au brasier et prendre le large avec eux… S’il n’avait pas déjà été réalisé pour d’autres, ce clip aurait pu résumer à lui seul la teneur de cet album : sans illusions, inquiet et un poil en colère, tout en étant drôle, ironique et donnant à penser.

Aimée de Julien Doré (Sony/Columbia) sort vendredi 4 septembre 2020
Julien Doré sera l’invité de Laurent Delahousse dimanche 13 septembre à 20h30 sur France 2.

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