”Quand j’ai commencé, on était rarement plus d’une femme par groupe”, se souvient Eléonore Corroy*, monitrice de survie. Longtemps mises à l’écart de l’univers survivaliste, les femmes sont elles aussi de plus en plus nombreuses à se confronter aux milieux hostiles et aux conditions de survie. “Mais depuis plus d’un an maintenant, le nombre de femmes qui viennent participer à des stages à exploser”, ajoute-t-elle.
Depuis que les milieux hostiles sont devenus des décors privilégiés pour tourner des programmes télévisés, nombreux sont celles et ceux qui veulent repousser leurs limites et partir à l’aventure. “Depuis 5 ou 6 ans, on observe un vrai engouement pour les stages et ce besoin de se retrouver dans la nature avec presque rien”, note ainsi Eléonore. Après s’être intéressée rapidement au courant survivaliste, cette infirmière de formation adepte du sport outdoor est vite venue à la survie. “J’ai fait un premier stage, puis un second … et après ma troisième expérience, j’ai tellement accroché que j’ai voulu me former auprès de spécialistes, pour devenir à mon tour accompagnatrice de groupe”, raconte-t-elle.
Survie et survivalisme : un retour aux sources
Les stages de survie – qu’ils soient mixtes ou entièrement féminin – découlent du mouvement survivaliste. Loin de l’image du paranoïaque xénophobe et armé qui vit cloîtré dans un bunker au fond de son jardin, dans un désir de catastrophe – comme le qualifiait le sociologue Bertrand Vidal au micro de France Culture en mars 2018 -, les nouveaux adeptes de la survie en milieu hostile pensent moins à la fin du monde qu’à l’épanouissement personnel et à la reconnexion avec la nature.
Et cette philosophie dépasse depuis plusieurs années le cercle des aventuriers émérites : des guides et des manuels en tous genres envahissent les rayons des librairies, des programmes TV envoient régulièrement des apprentis-survivants tester leurs limites sur des îles désertes et de plus en plus de voyagistes spécialisés proposent des séjours 100% milieux hostiles.
De l’air, de l’air, c’est juste une question de survie
Cheffe d’entreprise sportive et passionnée d’aventures, Isabelle Fleschen** a décidé à 40 ans de lancer sa propre société, “Terres Infinies”. La survie ? Elle est tombée dedans il y a huit ans. Pour elle, “les femmes qui partent en stages cherchent à aller au bout d’elles-mêmes. Plus que la survie pure, c’est la connexion à la nature qui marque et qui produit souvenirs et émotions”, explique-t-elle, avant de préciser que l’on trouve des stages pour tous les niveaux et toutes les envies.
Une vision partagée par Eleonore Corroy qui renchérit, “ce qui pousse généralement ces personnes à partir, c’est un mélange parfait de retour aux sources, d’amour de la nature et de recherche de simplicité dans la vie”. C’est l’occasion pour tout un chacun d’apprendre à pêcher avec un bâton, chasser le caïman à mains nues ou dormir dans un hamac en pleine jungle tropicale. “La plupart de mes stagiaires viennent acquérir des techniques pour pouvoir par la suite partir avec des amis en en solo en pleine nature, sans se mettre en danger. Du pur Bushcraft***”, ajoute-t-elle.
Être une femme en milieu hostile
S’il existe des stages 100% femmes, l’experte en survie reste hésitante. “Je pense que ce type d’offres est important pour toutes celles qui préfèrent ne pas se soumettre au regard masculin dans ce type d’efforts ou bien, pour les EVJF. Mais généralement, ils sont un peu plus chers que la moyenne, du coup la plupart des femmes optent pour les stages mixtes. D’autant plus que le guide est une femme”, rationalise Eléonore.
I’m a survivor, I’m not gon’ give up, I’m not gon’ stop, I’m gon’ work harder
Qu’est-ce qui différencie les aventurières des aventuriers ? Pas grand chose si l’on en croit les expertes du genre. “Physiologiquement, on n’est pas tout à fait pareil mais en survie, ça n’a pas vraiment d’importance”, explique ainsi Eléonore. Le sexisme en milieu hostile ? “Pas plus qu’ailleurs”, rétorque Eléonore qui admet avoir dû répondre parfois à certaines interrogations machistes au cours de ces nombreux stages mais sans pour autant se sentir jugée ou ostracisée du fait d’être une femme.
Si elle n’a pas fait de “stage de survie”, Stéphanie Gicquel**** a connu la survie. Exploratrice, détentrice du “record du monde de la plus longue expédition en Antarctique à ski et sans voile de traction” , elle vient de publier son livre “On naît tous aventurier” (Ed. Ramsay). “Qu’on soit un homme ou une femme, en situation de survie, on est tous égaux”, explique-t-elle. Pour elle, le regard de certains hommes a parfois été lourd à porter, “en tant que femme, on a peut-être plus de difficultés à trouver des partenaires et on doit parfois rassurer sur ses capacités”, se désole-t-elle, avant d’ajouter que “comme pour les menstruations, on apprend à gérer”.
Prise de conscience et clé du bonheur
Une chose est sûre, homme ou femme : les envies d’ailleurs sont les mêmes, tout comme le souhait primaire de se reconnecter à la nature, de vivre dans la simplicité avec le moins de choses possibles. Désormais, les adeptes des stages de survie veulent de l’émotion, de la vérité, du naturel. L’idée – comme pour ceux qui partent en retraites spirituelles – est de partir à la découverte de soi-même. “Au bord de l’océan, face à l’immensité, je suis bien. A l’écart des autoroutes de l’information, je ressens cette force étrange qu’exerce la nature lorsque l’homme s’avance vers elle, seul et nu. L’éveil des sens. Une forme de renaissance à un soi plus animal”, écrit ainsi Stéphanie Gicquel dans son livre. “J’ai éprouvé cette sensation au milieu des déserts, du coeur rouge australien, autour d’Uluru, à la calotte du Groenland et, plus fortement encore, aux extrémités de la terre”, poursuit-elle.
En apprenant à se mesurer à la nature, les baroudeurs 2.0 ont l’impression de revenir aux sources même de l’humanité, à s’approcher toujours plus près de l’essence même de la vie. “Ici, ce n’est pas la survie, c’est la vie”, déclarait par exemple Mike Horn aux célébrités venues tenter l’aventure dans la saison 3 de The Island, sur M6. Même son de cloche pour Stéphanie Gicquel, pour qui le sport extrême est seulement un moyen d’atteindre des lieux préservés, presque magiques. “Ce qui me fascine vraiment, c’est le corps à corps avec la nature”, confie-t-elle.
Des envies d’ailleurs qui poussent ensuite à une prise de conscience, celle de changer sa façon de vivre, de consommer voire même de penser. “Quand on est sur une île déserte par exemple, une fois qu’on a trouvé de l’eau et de la nourriture, on n’a plus besoin de rien. On est hyper heureux. Du coup, quand on rentre chez nous, c’est pareil, on revoit nos besoins et on se laisse moins toucher par le stress ambiant. Globalement, on peut le dire : ça rend heureux”, conclut Eléonore le sourire aux lèvres.
*Eléonore Corroy, monitrice de survie et Directrice générale de Time on Target (société spécialisée dans les expéditions et les stages en survie)
** Terres Infinies, l’aventure en mode survie
***Bushcraft, mot anglais signifiant littéralement artisanat de la brousse
***”On naît tous aventurier” de Stéphanie Gicquel, Ed. Ramsay, 19 euros
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