Pour Louis Vuitton Homme, Virgil Abloh a fait appel à un casting 100% asiatique

À cause de la pandémie de coronavirus, les marques sont peu nombreuses à oser défiler physiquement. Louis Vuitton a malgré tout tenu à présenter ses collections, entamant ainsi un voyage de Paris à Shanghai, ville devenue en quelques années l’une des principales capitales de la mode asiatique, avant de finalement accoster à Tokyo, le 2 septembre prochain.

Avec pour fil rouge le concept d’explorations des mers et d’arrêts à bon port, le designer américain a pris une décision que peu de ses confrères et consoeurs avaient pris avant lui : faire défiler des mannequins uniquement asiatiques.

Un casting 100% asiatique : pourquoi ça compte ?

Il est étrange d’écrire en 2020 ce genre d’article. Plusieurs personnes sont d’ailleurs peut-être étonnées par le titre. Utilisé un casting asiatique lorsqu’on est en Asie, une évidence non ? Et bien pas tant que ça. Rares d’ailleurs sont les défilés composés d’un casting uniquement de personnes racisées.

Alors que les consommateurs asiatiques représentent 51% de la clientèle de luxe dans le monde dont 32 % de Chinois, les mannequins restent souvent utilisés comme « token » au sein des défilés, des campagnes publicitaires, et restent rares en couvertures des magazines. Selon l’étude « Magazines et body image » du site médical Zavamed, en 2017, moins 1% des couvertures de magazines aux États-Unis et au Royaume-Uni mettait en avant des femmes asiatiques.

Septembre 2019, lors de la Fashion Week new-yorkaise, la designer Claudia Li a créé l’événement en faisant défiler 35 mannequins, toutes asiatiques. Elle a déclaré avoir voulu montrer « l’incroyable diversité » des personnes issues de ce continent. 

« Les Asiatiques ne sont pas qu’une seule nationalité – ce n’est pas seulement des Chinois, ce n’est pas seulement des Japonais, il y a des filles de partout [sur le podium]. Il est temps de se libérer de cette définition singulière de la beauté asiatique », avait alors déclaré la créatrice au magazine Refinery29 après son défilé.

C’est dans ce souci de « diversité », et sans doute dans l’idée de ne pas prendre la place des habitants de la ville qui accueillait son défilé, qu’Abloh a pris la décision de faire appel à un casting composé uniquement de personnes originaires de Shanghaï et de Tokyo. 

« Sur le voyage Louis Vuitton printemps-été 2021, le casting présente les humanités locales des ports de la collection », lit le communiqué de presse. « Le directeur artistique masculin Virgil Abloh invite les communautés de ses destinations dans le but de mettre en valeur et de partager leurs histoires avec le monde ».

L’appel du multiculturalisme

« Message dans une bouteille », c’est ainsi que le directeur artistique de Louis Vuitton Homme a choisi d’intituler sa collection pour le printemps-été 2021. Une référence également au titre de The Police, écrite par le chanteur Sting en 1979 « qui raconte l’histoire d’un romantique naufragé, qui – dans l’espoir de trouver l’amour – met un message dans une bouteille pour être inondé de ‘cent milliards de bouteilles’ en retour ».

Dévoilée en chapitres durant tous le mois de juillet, cette collection se veut comme un appel à l’unité et à l’inclusivité. Des concepts chers à Virgil Abloh qui trouvent une résonance particulière dans le monde actuel. 

Cette saison, c’est au Ska, genre musical originaire de Jamaïque et adopté par la sous-culture Mods dans le Londres des années 60 qu’il a fait appel. Pour lui, ce genre a créé un « affrontement harmonieux entre la culture jamaïcaine et la sous-culture britannique. Exemple historique d’échanges interculturels et interraciaux ».

Voyager de port en port est aussi une manière pour le créateur de mode d’aller à la rencontre de ceux qui aiment son travail et le patrimoine de la maison française née en 1854. Par ce simple geste, Virgil Abloh change les règles de la mode, ce n’est plus aux adeptes de faire des pieds et des mains pour venir à la mode, mais l’inverse qui s’opère.


Cette collection, dévoilée à Shanghaï, poursuit le thème de l’enfance, le designer continuant à essayer de voir le monde à travers les yeux d’un petit garçon.
 Dans un document explicitant le lexique propre au designer originaire de Chicago, le terme « Boyhood«  (traduit « enfance » en français) est explicité : « L’état physique ou psychologique d’être un garçon. Un leitmotiv employé par Virgil Abloh pour illustrer le temps dans la vie d’un homme pendant lequel il découvre les futurs incontournables de sa garde-robe et développe son sens initial du style. Un adjectif utilisé pour des vêtements ou des accessoires qui emmaillotent et enveloppent le corps ». 

Lors du défilé, ce vestiaire apparaît dans sa simplicité comme sa complexité, reprenant ici les codes traditionnels de Louis Vuitton et là ceux propres à Abloh. Une parade vestimentaire qu’il souhaite sortir de l’idée qu’il existerait une mode « haute » ou « basse », qu’il faut différencier les vêtements « neufs » des « anciens » ou même les idées de « noir » et de « blanc ».

Pour lui, c’est ce que permet l’enfance, stade lors duquel la société n’a pas encore eu le temps d’entacher notre vision du monde. « Laissez libre cours à votre imagination », rappel d’ailleurs Abloh.

Virgil Abloh, qui êtes-vous ?

Cette question, beaucoup se la posent. Sacré comme étant l’un des trop rares designers noirs réputés à travers le monde, Virgil Abloh a quelque part la lourde tâche de porter sa vision de la mode et montrer qu’un designer noir est capable d’atteindre ce niveau d’excellence sans jamais donner l’impression d’oublier d’où il vient ni à quelle communauté le reste du monde ne manque pourtant jamais de le renvoyer. Loin d’excuser toutes les polémiques qu’il a dû essuyer depuis, d’abord la création d’Off-White, son propre label, puis, son arrivée chez Louis Vuitton, il serait injuste de ne pas le relever.

Alors que le mouvement Black Lives Matter continue de faire parler de lui aux États-Unis et que les élections présidentielles du pays approchent à grand pas, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’Abloh s’est fait un tantinet plus discret ses dernières semaines. Il cherchait sans doute à trouver une manière de dire qui il était vraiment sans pour autant être accusé de politiser la maison française.

C’est dans un document de 29 pages intitulé « Le Vocabulaire selon Virgil Abloh » qu’il parvient à le faire. On y trouve des éléments biographiques comme son pays d’origine le « Ghana », le nom de ses deux parents mais aussi la grammaire vestimentaire qu’il développe en tant que designer avec les termes « carreaux », « raphia », « plissé » ou encore « kente », « harnais » et « sacs ».

D’autres termes sont eux plus conceptuels, des idées qu’il invente autant que des références à qui il est en tant qu’homme noir et la manière dont il conçoit la place des personnes racisées au sein des maisons de mode qu’il dirige. « Je ne crois pas à la diversité artificielle. Je crois en l’inclusion naturelle qui accompagne la mise en valeur de l’échelle mondiale de l’humanité et des humanités locales des destinations et des cultures où mon travail m’emmène », déclare-t-il à propos du mot « diversité ».

Plus loin « incluvisualism », mot-valise pour « inclusivity » et « visualism » : « Je réalise mes défilés et mes campagnes à ma propre image: des jeunes hommes de couleur, qui, à l’avenir, pourraient se refléter dans le reflet historique du luxe autant que n’importe quel garçon blanc dans la rue. Je cherche à influencer positivement l’esprit des jeunes hommes de couleur avec des images d’opportunités avant que la société ne les programme pour qu’ils pensent différemment. »

Autre terme qui a son importance « Streetwear ». Abloh avait créé la polémique après avoir annoncée « la mort du streetwear », il répond donc : « Pour rappel : le streetwear est une communauté. Le « streetwear » est une marchandise. Dans mon jeu de guillemets, le streetwear est un terme sociologique fondé sur la sous-culture. Le « streetwear » est un article commercial cultivé par le biais du marketing ».

Ce « vocabulaire selon Virgil Abloh » autant que la collection semblent être « le message en bouteille » que veux porter le designer.

Le défilé Louis Vuitton Homme printemps-été 2021

Le défilé Louis Vuitton Homme printemps-été 2021


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