La plupart des coureurs ne dépasseront jamais la barre des 42 kilomètres. Mais pour l’ultra-marathonien espagnol Kilian Jornet, il s’agit en quelque sorte d’une distance intermédiaire. Il fait partie des tout meilleurs du monde en ce qui concerne les courses de plus de 160 kilomètres et a dominé des courses de montagne dans le Colorado et dans les Alpes. Il a gravi en courant la plupart des sommets auxquels vous pouvez penser (le Denali en Alaska, le Mont Cervin dans les Alpes ou encore l’Everest) et établi des temps records sur des distances qui prennent à la plupart des alpinistes des jours et des jours. Tout ça en s’entraînant seul, comme un grand.
Sans grande surprise, courir un ultra-marathon ou se préparer à battre un record de vitesse sur le Mont Everest exige un niveau de préparation incroyable, une force mentale à toute épreuve et des prouesses physiques sans précédent. Mais quand Jornet parle de son rythme de vie, celui qui habite aujourd’hui en Norvège expose des principes simples : suivre un régime riche en glucides, manger quand vous avez faim, boire quand vous avez soif, se reposer suffisamment. Ça aurait presque l’air facile. Mais évidemment, ça ne l’est pas.
Jornet arrive à suivre une routine d’entraînement intense et trouve également du temps pour écrire. Il va d’ailleurs sortir son prochain livre, Above the Clouds, le 25 août prochain, dans lequel il évoque ses exploits athlétiques et son rapport particulier à l’Everest.
Pour GQ, Jornet revient sur ses prouesses et sur son quotidien depuis le début de la pandémie de coronavirus. Il nous dévoile ses trucs et astuces pour se maintenir dans une forme surhumaine.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Ecrire permet de prendre du recul par rapport à ce que vous faites et aide à trouver du sens. J’espère que mon livre incitera les gens à sortir au grand air et à se préoccuper davantage de la nature mais aussi de leur propre santé. Je crois que si on s’aventure de plus en plus dans la nature, on peut développer une relation particulière avec elle qui nous fait comprendre que nous devons en prendre plus soin. J’ai toujours un carnet sur moi pendant mes expéditions. J’écris ce qui se passe, mes impressions, tout ça. A la maison, c’est plus compliqué car on trouve toujours des occupations. Mais quand je pars en expédition pour disons un mois, sans le moindre contact, j’ai le temps de vraiment me focaliser sur mes pensées et de pratiquer l’introspection.
En pleine pandémie, comment passez-vous le temps, à part en écrivant ?
Mon quotidien n’a pas vraiment changé. Alors les courses sont annulées mais l’entraînement reste le même. D’habitude, c’est la période de l’année où l’on voyage beaucoup donc c’est plutôt plaisant de rester à la maison pour une fois, de s’entraîner et d’en profiter pour passer du temps avec les enfants. Je m’entraîne le matin et l’après-midi.
A quoi ressemble une de vos séances d’entraînement classique ?
Je me lève à 6 ou 7 heures le matin, je prends un petit déjeuner et ensuite je débute une longue séance d’entraînement. Ça peut soit être une longue journée en montagne (6 ou 7 heures) ou alors 2 heures sur du plat en essayant d’aller vite. Ensuite, le soir je vais courir une heure ou faire une heure de vélo.
Comment choisissez-vous les exercices à faire chaque jour ?
Je suis mon propre coach depuis 12 ou 13 ans maintenant alors je suis habitué à trouver ce qui me convient. Je prépare un programme en fonction de mes objectifs, qui peuvent être soit une course de longue distance soit une expédition. Puis je me tiens à ce programme toute la semaine. Une course tranquille le lundi, entraînement par intervalles courts le mardi, tranquille le mercredi, je travaille la force le jeudi, entraînement par intervalles longs le vendredi, longue course le samedi et longue journée en montagne le dimanche. Après évidemment, le programme peut changer en fonction de la météo. S’il fait super beau le jeudi, j’irai en montagne à ce moment et je changerai le programme.
Les équipes de sport disposent de beaucoup de coachs pour guider les athlètes et s’assurer qu’ils ne s’entraînent pas trop par exemple. Comment faites-vous ne pas aller trop loin ?
Je pense que les athlètes d’élite sont mauvais pour ça. Si vous devenez un athlète de haut niveau, vous êtes habitué à accepter la douleur. Le problème est ailleurs. Quand la douleur finit par laisser place à une certaine forme de confort qui s’installe longtemps, c’est là qu’on peut ne pas détecter les signaux du corps. Si par exemple je pars pour une longue course et que je me dis ‘là je me sens vraiment fatigué’. Eh bien, si la motivation n’est pas là, ça veut dire beaucoup. Si vous manquez de motivation pendant plusieurs jours, votre corps veut vous dire quelque chose. Pareil pour les douleurs musculaires. Quand vous en arrivez là, il est temps de changer votre programme et peut-être de relâcher un peu. Mais on va souvent trop loin.
Dans votre livre, vous parlez de tous les efforts que font les gens pour perfectionner leur régime alimentaire, et de pourquoi cela peut être néfaste. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?
Pour progresser, on ne suit pas une trajectoire rectiligne. Il y a des hauts et des bas. Parfois vous vous entraînez très dur, vous ne progressez pas et c’est frustrant. Dans ces cas-là, vous vous dites ‘ok, qu’est-ce que je dois faire ?’ et vous commencez à réfléchir à des raccourcis. Ce n’est pas le bon état d’esprit. On peut être amener à penser au dopage ou bien à être obséder par son poids. Evidemment, plus on est léger, moins on a besoin d’énergie pour bouger. Et la façon la plus facile d’être plus léger c’est de manger moins. Ce n’est pas la bonne solution à long terme. Si vous engranger moins d’énergie, vos muscles ne se forment pas et votre squelette se fragilise. Même si ça fonctionne pendant un court laps de temps, cela va devenir un gros problème à long terme, physiquement et psychologiquement.
J’ai lu que vous ne comptiez pas les calories. A quoi faites-vous attention ?
Je ne compte pas ce que je mange, je mange quand j’ai faim. Notre corps communique et il ne faut pas l’ignorer. Alors pendant les courses, c’est différent, je compte mes calories. Mais dans la vie, non. Habituellement je mange beaucoup de glucides car j’en ai besoin pour l’entraînement. Des pâtes, du riz, mais aussi des pommes de terre et du pain. Egalement des légumes de toutes sortes. J’essaie juste de manger de bonnes choses qui ne sont pas transformées. Je me tiens à une alimentation simple.
Comment ajustez-vous votre régime dans les jours précédents une grosse course ou l’ascension d’une montagne ?
Je dirais qu’il est important de ne pas changer trop de choses. Certaines personnes disent qu’il faut manger beaucoup de glucides avant une course, mais si vous n’y êtes pas habitués, votre estomac va le ressentir. Votre organisme s’habituent à certaines choses et a besoin de stabilité. Je fais des choses simples, des pâtes ou des pommes de terre sans trop de sauce. Ce sont les choses qui me donnent l’énergie que je veux et dont j’ai besoin, et qui ne vont pas me causer des problèmes de digestion.
Dans Above the Clouds, on lit que vous consommez beaucoup de gels et de barres protéinées lors d’ascensions et de descentes de montagnes. Mangez-vous d’autres choses ?
Tout dépend de combien de temps dure le projet. Pour une course, j’essaie de me tenir à 300 calories par heure. Mais bien évidemment, quand vous partez longtemps en montagne, vous ne pouvez pas portez des quantités énormes de nourriture. Alors vous essayez de vous limiter au strict minimum pour survivre.
Quand vous pratiquez une activité physique, votre corps ne va pas absorber tous les nutriments qui procurent de l’énergie. Donc je me contente de consommer des glucides que le corps peut brûler rapidement. Et c’est quand je rentre à la maison ou dans ma hutte que je reprends vraiment la dose de nutriments dont j’ai besoin.
Quand buvez-vous de l’eau lors de ces expéditions ? A chaque fois que vous avez soif ? Y-a-t-il des façons précises de déterminer les prises d’eau ?
La soif est en général un bon indicateur. Quand vous avez soif, ça veut juste dire que vous avez besoin de boire. Mais en vérité si vous voulez des mesures précises vous pouvez calculer un ratio de transpiration. Vous vous pesez avant la course et après la course. Disons que vous perdez un kilo et qu’il fait 20 degrés dehors, vous savez combien de millimètres vous perdez par heure. Vous savez ce qu’il vous manque et quel pourcentage de perte vous pouvez envisager. Mais lors d’une expédition, vous ne pouvez pas transporter des litres d’eau. Il faut trouver le bon équilibre entre ce que vous pouvez transportez et ce que vous pouvez boire. Ça tourne souvent autour de deux litres.
Est-ce que vous suivez précisément vos cycles de sommeil ?
Les athlètes ont besoin de temps pour se reposer. Mais ce n’est pas facile de concilier le sommeil pour les gens qui ont en travail en plus de l’entraînement. Il faut y penser quand on s’entraîne. On a besoin de se reposer, de récupérer et de s’améliorer. Si le manque de sommeil provoque du stress pour le corps lors de l’entraînement, alors on va avoir besoin de davantage de récupération. Je dors à peu près sept heures par nuit mais ce n’est pas assez pour moi. Récupérer ça veut dire se reposer, et pas passer du temps à travailler sur son ordi…
Cet entretien a été édité et condensé pour plus de clarté.
Les rythmes d’entraînement, les régimes alimentaires et les méthodes de récupération évoqués par les athlètes dans cette série de GQ leurs sont propres et ont le plus souvent été pensés par une équipe médicale dédiée. Il ne convient pas de pratiquer la même activité sportive ni d’adopter les mêmes habitudes alimentaires, parfois radicales, de ces derniers sans l’avis préalable d’un professionnel de santé.
Via GQ US
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