Certaines sont passées de la mode à la déco, d’autres ont fait le chemin inverse, toutes s’épanouissent désormais dans un univers sans frontières, où couleurs, formes et matières habillent aussi bien une silhouette qu’un intérieur. Certes, elles ne sont pas les seules à s’être lancées dans cette aventure stylistique : Giorgio Armani, Kenzo Takada, Ann Demeulemeester, Vanessa Bruno, Serge Bensimon, Maurizio Galante, Alexis Mabille, et d’autres encore s’y exercent avec succès. Nous avons choisi de mettre à l’honneur ces dix talents car elles incarnent chacune à leur manière et avec leur style propre un état d’esprit bien dans l’air du temps et qui nous ressemble. Nous vous invitons donc à les rencontrer chez elles, dans leurs studios de création, leurs bureaux, leurs showrooms et leurs concept-stores. En mode déco !
Sarah Poniatowski, l’accomplie
C’est l’une des rares à avoir suivi le chemin à contresens. Si les créatrices de mode élargissent leur horizon en lorgnant vers l’art de vivre, c’est de son ADN déco que Sarah Poniatowski est partie pour imaginer sa ligne de prêt-à-porter Maison Sarah Lavoine : “Ce n’est ni le même métier ni les mêmes circuits ou fournisseurs, mais ça me faisait envie.” Dans sa nouvelle boutique, rue des Archives à Paris (3e ), elle décline tout son univers, des couleurs imaginées pour Ressource aux coussins reconnaissables entre mille en passant par les miroirs, les fauteuils, les tapis. Et rares sont les clients repartant sans un T-shirt, un pantalon ou une paire de K.Jacques co-créée avec le chausseur tropézien. “Ça a été une vraie surprise de voir les gens adhérer aussi vite à cette nouvelle proposition !” Lookée en “elle-même” du costume impeccablement coupé à ses baskets, elle voit dans la rigueur et le dialogue entre mode et déco le succès de cette diversification. “J’applique la même exigence aux deux univers ! Mon idée pour la mode, c’était de concevoir des pièces qui ne se démodent pas : un jean qui fait de belles fesses, une veste qui va avec tout. Du coloré, simple et bien taillé, pour tous les âges. Ma fille a posé pour les photos, mais ma mère aurait tout aussi bien pu le faire !” Et elle veut aller au-delà de ses propres goûts. “Je suis du genre garçon en journée et plus sexy-girly en soirée, mais pas trop robe à froufrous. Pour sortir de ma zone de confort, je fais confiance au goût de mon équipe, pas qu’au mien !” La prochaine étape ? “On réfléchit à une offre maroquinerie et beauté. En prendre notre temps pour proposer quelque chose qui nous ressemble vraiment.”
J.J. Martin, l’ardente
On ne sait, de son sourire ou du tissu tendu aux murs, ce qui illumine le plus son showroom milanais… L’univers de J. J. Martin se confond tellement avec sa personnalité qu’on serait tenté de répondre “les deux !” Espiègle, la styliste américaine s’amuse d’avoir décliné ce textile qui attire l’œil en vase, en nappe, en coussin et même en… pyjama !“ J’aime jouer avec les imprimés et les mettre en scène dans des contextes différents”, explique cette Américaine au parcours atypique : d’abord journaliste à New York – elle a notamment écrit pour “Wallpaper”, “The Wall Street Journal” et le “Harper’s Bazaar” – avant de s’installer à Milan, où elle a rencontré son époux et fondé la Double J en 2015. Outre son style bohème et son don pour associer les couleurs, la success story de sa marque vient de sa collection de tissus aux imprimés vintage avec lesquels sont confectionnés les vêtements vendus sur son site. Dans la foulée, J. J. crée sa ligne de prêt-à-porter en association avec le fabricant de soie Mantero à Côme, puisant dans les archives de la maison et remettant des motifs anciens au goût du jour. La ligne pour la maison suit naturellement, avec des coussins, de l’art de la table, des bougies et du linge de lit. “Tout est dans la continuité et le reflet de ma mode.” Un art de vivre “drôle et optimiste” qui rend le quotidien aussi joyeux que J. J. ¦
Elsa Poux, l’inspirée
Cette année, Ma Poésie fête ses 10 ans ! Une décennie déjà que sa créatrice Elsa Poux nous enchante avec ses imprimés graphiques et sa palette chromatique singulière. Entre mode et déco, Elsa n’a pas eu à choisir, les deux l’inspirent et l’épanouissent, tout naturellement. J’ai grandi dans une famille de tricoteuses, entourée de pelotes Anny Blatt dont je récupérais les fils pour broder des tenues de soirée à mes poupées mannequins.” La fibre créatrice, Elsa Poux l’a donc depuis toujours, mais c’est à l’issue de son cursus en design textile aux Arts déco, à l’occasion d’un voyage d’études en Inde, que la fascination pour la broderie s’empare d’elle. Pour ne plus la lâcher. Aujourd’hui, sa maison de création Ma Poésie souffle ses dix bougies et navigue sans frontière entre la mode et la déco, avec en fil d’Ariane les motifs et les couleurs qu’elle interprète selon une partition à nulle autre pareille. “Les roses poudrés, ce sont mes gris. J’aime les contrastes, les inspirations ethniques et les savoir-faire.” Elle aime aussi inviter d’autres créatifs dans son monde de couleurs. Des étoles et des tapis, des coussins, des cabas, des pochettes, puis les essentiels de la plage qui l’ont conduite vers le prêt-à-porter, de beaux basiques à découvrir l’hiver prochain. Et pour ouvrir un nouveau chapitre déco, des objets en céramique en collaboration avec Jan Vier, disponible depuis février, et une collection de mobilier d’extérieur en rotin avec le designer Bruno Moretti. Un anniversaire décidément très joyeux !
Morgane Sézalory, la chaleureuse
Le nom de sa première boutique “physique”, L’Appartement, était un indice en soi. Même si Morgane Sézalory a construit le succès de Sézane, la première marque de mode française née en ligne dans le secteur du vêtement, l’évidence de soigner la déco était présente dès le début. “Aujourd’hui, nous avons une petite dizaine de lieux atypiques, entre Paris, Aix, Londres, New York, et bientôt Lille et San Francisco. Ce sont des endroits où la déco apporte de l’humain, de la chaleur, des yeux qui brillent, mais surtout le sentiment qu’on peut vivre un joli moment sans forcément avoir à acheter. C’est aussi un moyen d’accompagner nos collections, au fil des thématiques.” Au Libre Service, une ancienne pharmacie baignée de lumière où elle nous accueille, le thème “Poesia Italiana” se décline effectivement en robes, gilets, chaussures et autres jeans écoresponsables, mais également en bougies, savons, vaisselle de la marque Popolo et même en mini-panettone qui, pour Morgane, “donnent du sens à l’histoire de la collection, tout en restant des achats cadeaux”. Si, côté mode, elle aime imaginer des pièces à transmettre à ses deux filles, avec une histoire, “comme un bon livre ou un récit de voyage qu’on partage”, c’est la même chose pour ses boutiques, où elle privilégie du mobilier qu’elle chine dans les brocantes, les vide-greniers et en ligne. “Les matières, les couleurs, la technique sont autant de ponts entre la mode et la déco, et mes sources d’inspiration sont les mêmes dans les deux domaines : un film, une couleur de velours, un cuir de voiture vintage, et je suis transportée.” Et nous avec.
Jeanne Damas, l’instinctive
Quand j’ai commencé à poster des photos sur mon blog, c’était surtout un jeu avec mes amies. J’étais loin de m’imaginer que j’aurais autant de vues !” Son style naturel, chic et sans effort, lui vaut très vite une réputation de jeune Parisienne à suivre. Les marques la sollicitent pour des collaborations, des collections capsules. “Tout s’est alors enchaîné très vite.” En avril 2016, elle lance sa propre ligne de vêtements et accessoires, Rouje, en binôme avec Jérôme Basselier (cofondateur de Swildens), un ami de la famille. “Grâce à lui, j’ai rencontré Marie-France Cohen (à la tête du studio Démodé, NDLR), pour qui j’ai eu un coup de foudre amical !” C’est à elle qu’elle confie sa première boutique, quartier Montorgueil. “Je voulais recréer un appartement au décor simple et chaleureux. Je rêvais même d’y installer des chats…” Canapés, fauteuils, tables basses, livres, tapis : ce doit être un lieu de vie, où l’on a envie de se poser. C’est dans cette même idée que Jeanne fait installer un piano dans le restaurant qu’elle a ouvert juste à côté fin 2019. Une ambiance “comme à la maison” qu’elle reproduit et même amplifie à l’occasion de la récente extension de la boutique au sous-sol, aménagé comme un boudoir intime avec l’aide du duo de l’atelier JEM. Prélude à sa prochaine adresse new-yorkaise, à l’esprit frenchie, of course…
Camille Omerin, l’enracinée
Camille Omerin aime rendre grâce. À son père et à son grand-père, figures tutélaires qui lui ont transmis l’esprit d’entreprendre. À sa mère qui lui a insufflé son sens esthétique et son goût. Aux maisons de luxe où elle a appris à développer. “C’était ancré en moi, j’ai toujours su que je devais créer, le nom Maison Père s’est imposé, et je me suis lancée.” D’abord avec des collections de mode en 2015, ultra-féminines, rehaussées de plumes et de fil lurex doré, ses signes distinctifs. Puis, rapidement, des propositions déco à travers des collab’ avec La Redoute Intérieurs et l’éditeur de papiers peints Ananbô, avant de déployer désormais elle-même un art de vivre global. Quelques pièces insolites et nomades, et bientôt du linge, de la céramique, des bougies… “La mode, la déco, c’est instinctif : ce sont des matières, des couleurs, des formes, des détails.” Nourrie de culture et d’éclectisme, Maison Père affirme son caractère, intemporel mais ni basique ni classique. Et des choix engagés : des collections courtes, préférant la responsabilité et la qualité à la quantité, et des actions auprès d’associations qui éveillent les enfants à la culture. Un esprit et un regard grands ouverts.
Emma François, l’authentique
Alma est finalement un projet naturel”, explique Emma François dans la cantine de ce nouveau concept-store marseillais ouvert fin 2019. Avec la maison de mode Sessùn, la décoration a toujours été intrinsèquement liée, d’abord aux boutiques – puisque chacune est différente avec des objets chinés spécialement –, puis au savoir-faire. “Il y a six ans, on a créé des pop-up d’objets en série limitée. Toujours dans cet esprit de rareté non standardisée”, insiste la créatrice, adepte des matières organiques et des couleurs douces. Ce cocon méridional, pensé avec l’aide du studio d’architecture Marion Bernard et l’agence créative Flirt studio, est une page blanche, un souffle de liberté face aux contraintes des saisons dans le secteur de la mode. Ici, “il n’y a pas de règle”, se réjouit l’équipe. Pour la sélection, Emma François a fait appel à la curatrice Emmanuelle Oddo, “la partenaire idéale”. Entre elles s’établit“un échange permanent”. Beaucoup de bois et de céramique, de matières brutes, sublimées par le geste de la main de l’artiste ou l’artisan, mais toujours des objets utilitaires. “Nous sommes revendeurs d’artisanats, pas une galerie d’art contemporain”, précise Emma François. Elle projette d’éditer ses pièces de mobilier, d’accueillir des tables rondes, de recevoir des concerts au sous-sol, et d’initier des collaborations… L’âme de Sessùn est bouillonnante.
Valentine Gauthier, l’idéaliste
Père pilote d’essai de Formule 1, mère formatrice de coureurs automobiles… Comment s’étonner que Valentine Gauthier vive pied au plancher avec des projets plein la tête ? “Je pense trop”, confesse la lauréate du Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinard de 2006. Solitaire de nature, Valentine aime le cadre brut et désert de sa garrigue natale. Créer, pour elle, c’est faire l’effort d’aller vers les autres, d’entamer un dialogue, de partager et transmettre des émotions. C’est dans cet esprit qu’elle lance en 2007 la marque qui porte son nom, mélange de matières brutes naturelles et de détails ultra-féminins. En 2009, Valentine ouvre sa première boutique, qu’elle agrémente de pièces de mobilier chinées pour apporter une âme au lieu. “Très vite, on m’a demandé de les vendre.” Et voilà comment celle qui aime confronter sa vision de la société avec d’autres créateurs a développé une collection déco. Jusqu’à ouvrir une adresse dédiée en 2019, au nom d’Holism. Vaisselle, vases, jarres, tables en bois… Derrière chaque objet, il y a une rencontre avec un artiste, une démarche créative qui a ému Valentine. “Je ne pense jamais aux vêtements et objets comme à des produits à vendre. Ce qui m’intéresse, c’est le partage et l’émotion.” Son rêve ? Ouvrir un lieu où l’on pourrait aussi venir se restaurer, pour prolonger l’échange.
Laurence Mahéo, l’amoureuse
C’est en cherchant à faire publier son manuscrit chez différents éditeurs qu’elle s’est rendue à l’évidence : elle ne serait jamais totalement libre d’en choisir le contenu, encore moins la couleur du contenant. Son “Chabadabada”, elle le rêvait rose pétard, avec une tranche dorée, et le texte sur son histoire d’amour entièrement conservé. Elle a donc créé les éditions ElleAime (reprenant phonétiquement ses initiales), en parallèle de La Prestic Ouiston. Et pourquoi ne pas produire également quelques artistes indépendantes ? Une sorte de “galerie germanopratine où ces femmes auraient de l’espace et une carte blanche”, explique Laurence Mahéo. Elles sont pour l’instant trois à se réunir autour d’elle : les mots en couleurs sur céramique de Stéphanie Bonvicini, impertinents ; les tableaux brodés d’Audrey Demarre, touchants ; et les dessins de Laurence Kiberlain, qui l’accompagne déjà depuis 12 ans sur les motifs de La Prestic Ouiston. De la création irrévérencieuse qui file l’histoire qu’a toujours racontée cette maison de mode. “J’ai besoin de couleur depuis l’enfance”, explique Laurence Mahéo. Que ce soit sur une robe, une lampe ou un livre. “Nous créons depuis le début des luminaires, des coussins, du linge de lit ou des plaids, ajoute-t-elle. Et j’aimerais créer aussi du mobilier.” Un électron libre.
India Mahdavi, la conteuse
Accoudée au tabouret “Pico” créé pour cette nouvelle collaboration, India Mahdavi a des airs de reine. Normal pour celle qui fête les 20 ans de création de sa maison. Vingt ans à s’amuser avec la palette chromatique. C’est d’ailleurs ce qui l’a convaincue de repartir dans l’aventure : “Avec la force de frappe de Monoprix, je peux partager la couleur avec le plus grand nombre.” Mais aussi le partenariat de Monoprix avec Creative Handicrafts, une entreprise sociale qui forme les femmes des bidonvilles de Bombay à la fabrication de produits textiles. Chaque saison, une collection leur est confiée et, pour l’été 2020, c’est celle de cette collaboration, en vente le 18 mai. “On neu peut pas porter mon prénom sans avoir une forte attache à ce pays, sourit la designer. L’Inde m’émerveille. Et j’ai pensé à elle lorsque j’ai dessiné les motifs de cette collection.” En réfléchissant à “l’été”, India Mahdavi a immédiatement pensé aux rayures. “Je suis venue donner des distorsions à ces lignes pour les rendre pop” explique-t-elle. Des vagues ondulatoires qui déferlent sur les kaftans, les chemises, mais aussi la vaisselle et les chaussures : “Tout est parti de ce motif et les pièces de la maison ont suivi celles de mode.” Ambiance de l’Inde glamour des années 70 avec des robes amples qui ne touchent pas la peau et des turbans pour y enfermer ses cheveux, “des vêtements confortables pour faciliter la vie des femmes” conclut-elle. Si on rêvait tous de posséder son sens du style, il sera désormais possible de sortir habillée en India Mahdavi.
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