Témoignage : "J'écris la biographie des personnes hospitalisées"

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Se raconter soulage et doit permettre de partir en paix. Forte de cette conviction, Valéria a créé le métier de biographe hospitalier. Elle raconte.

Valéria Milewski, 51 ans, biographe hospitalière.Depuis bientôt 13 ans, Valéria recueille la parole des patients en situation palliative dans le service d’oncologie et d’hématologie de l’hôpital Louis Pasteur de Chartres. A ce jour, elle a rédigé plus de 200 biographies et formé 17 « passeurs de mots » au sein de son association « Passeurs de mots, passeurs d’histoires » *. Son prochain défi ? Faire connaître cette approche comme un nouveau soin de support et créer un diplôme universitaire pour le métier de biographe hospitalier.

* www.passeur-de-mots.fr

Sa vocation a surgi un matin un matin de 2004 alors qu’elle réfléchissait à ce qui la faisait vibrer dans la vie, après un licenciement dans le secteur de la culture. Comment concilier son goût de la rencontre avec l’autre et sa passion de l’écriture ? En écrivant la vie de personnes gravement malades. Ses proches sont perplexes : est-ce vraiment une bonne idée, elle qui est capable de fondre en larmes devant une fleur qui pousse et craint les hôpitaux ? Mais l’idée fait son chemin et devient, chaque jour, plus évidente.

« J’ai construit mon projet pas à pas »

« J’ai alors consulté un psychologue pour m’assurer que ce projet était un vrai désir et n’allait pas mettre les autres en danger. Il m’est apparu évident que cette voie avait du sens pour moi. J’avais cinq ans quand j’ai perdu mon père. Adolescente, j’ai eu un grave accident de ski qui a failli me coûter la vie. Alitée pendant un an, en quête de réponses existentielles, je me suis plongée dans la lecture de Confucius, du Tao. La vie et la mort font partie de mon univers. J’ai donc créé ma micro-entreprise. Pendant un an, j’ai expérimenté la biographie familiale pour des particuliers. C’était assez long et fastidieux. Mais j’ai obtenu la confirmation de ce que je pressentais : j’adorais cela ! Il fallait toutefois que je me forme à l’accompagnement des personnes en fin de vie. Je suis donc entrée comme bénévole à JALMAV (Jusqu’à la mort accompagner la vie). Pour les 20 ans de l’association, je fus invitée à promouvoir mon projet sur un stand. Un médecin de l’hôpital de Chartres s’est arrêté : « Je pense à une équipe qui pourrait être intéressée « . En septembre 2007, je poussais la porte de l’hôpital. D’avoir mûri mon projet pendant trois ans m’a sans doute permis d’en parler avec conviction… et concision. « On ne sait pas encore comment vous rétribuer, mais on va trouver« , m’a assuré la cheffe de service, qui a tout de suite envisagé ma mission dans le cadre d’une offre globale de soins. Il a fallu une sorte de putsch des médecins dans le bureau de la direction pour que j’obtienne, en 2010, mon premier CDI, d’abord à mi-temps, puis à 80%. Aujourd’hui l’administration de l’hôpital est à nos côtés et en est ravie !

« Je ne les vois pas comme des personnes malades »

La personne malade peut me solliciter mais, le plus souvent, c’est un membre de l’équipe qui le propose, lorsqu’il le sent angoissé, dans une grande solitude, ou veut « en finir ». La plupart sont surpris de la proposition. Ils pensent que la biographie est réservée aux gens érudits ou aux stars, comme Johnny, dont beaucoup d’agriculteurs de la Beauce sont fans ! Je rassure la personne, lui propose un essai. Si cela lui plaît, on continue, sinon on arrête. L’entretien est gratuit et confidentiel et sa durée s’adapte à son état physique, à sa fatigue. Je ne porte pas de blouse, d’enregistreur : j’ai juste un crayon et un cahier pour prendre les notes, que je travaille ensuite à l’ordinateur. L’idée est d’oublier la maladie, l’hôpital, d’échanger comme au café ! Puis je lui montre notre prototype, un très beau livre cousu à la main, comme une œuvre d’art reliée par un artisan. Peu refusent, beaucoup acceptent tout de suite, ou prennent le temps de réfléchir…

« Il faut entendre la  » mélodie  » de la personne »

Je ne suis pas une « biographe historienne ». Seule compte sa propre vérité. Je cite souvent cette phrase de Paul Ricoeur : «  Inviter le narrateur à faire le récit de sa vie, c’est l’inviter à donner de la cohérence, de l’unité et du sens à sa vie. » C’est dans cet esprit que je travaille. Je respecte au maximum ses mots, sa façon de parler. S’il m’arrive de tendre des perches à une personne un peu taiseuse, je ne l’oblige à rien, c’est elle le capitaine du bateau. Les personnes gravement malades sont en équilibre sur un fil. Pas question de les faire tomber. Si quelqu’un a un secret, je l’encourage à en parler de son vivant. Je me permets aussi d’atténuer ou d’augmenter certains traits, sans pervertir les propos, pour sublimer ceux qui partent en prenant soin de ceux qui restent. Pour un enfant, c’est terrible d’entendre sa mère parler mal de lui ! Mais si j’apprends qu’un proche est en danger – des enfants qui pourraient être confiés à la garde d’un père violent ou victimes de viol, par exemple – je n’hésite pas à intervenir, en passant le relais à l’assistante sociale.

« Le temps prend une tout autre dimension ici »

Je ne sais jamais à l’avance le nombre de séances. Il arrive qu’il n’y ait qu’un seul entretien ou que l’on n’ait pas le temps de commencer. J’ai fini par comprendre que ce n’est pas si grave, l’idée même d’écrire un livre apaise la personne. Les premières années, je me dépêchais de terminer pour faire relire, j’y consacrais mes nuits. Je me croyais plus forte que le temps, c’était tellement vain ! Un monsieur, lui, est mort juste après le point final. Je me souviens d’un autre qui ne s’autorisait plus à vivre, une fois le livre achevé. Ce fut terrible ! Nous avons finalement trouvé la solution avec mes collègues : rajouter quelques pages blanches à la fin du livre, sur lequel l’auteur peut continuer à écrire, les enfants dessiner… Un jeune homme de 25 ans, très en colère dans un premier temps contre sa mère décédée, qui ne lui avait pas révélé l’identité de son père, a compris qu’il s’agissait d’une déclaration d’amour et a fait suivre le livre aux amis de sa maman. L’ouvrage a ainsi fait le tour du monde ! Au début, je remettais le livre immédiatement à la famille. Il était lu, puis rangé, trop associé à la perte. Aujourd’hui, j’attends un an ou deux, le temps que la douleur s’apaise.

« La biographie hospitalière est thérapeutique »

Entre 2012 et 2017, nous avons mené une recherche qualitative pour mesurer les effets de cette démarche. Il apparaît que les patients qui en bénéficient souffrent moins, physiquement et psychiquement. Les résultats montrent aussi le bénéfice sur les proches, dont le deuil est moins douloureux, ainsi que sur les soignants, qui font moins de burn-out. La biographie hospitalière leur permet de sortir de la technique, de ne pas avoir le sentiment d’abandonner le patient. Partager nos doutes et nos angoisses, réfléchir ensemble sur les questions éthiques avec un collectif de philosophes, d’anthropologues, de théologiens, nous aide beaucoup à ne pas se sentir seul et à faire évoluer notre pratique. On me demande souvent comment je fais pour exercer ce métier. Par chance, je suis une oublieuse. Je reprends mon souffle très rapidement ! Cela me permet de conserver mon élan, ma joie à le retrouver. Parfois, la personne me demande d’assister à ses derniers instants. Chaque rencontre est inoubliable et m’honore. Tous les jours, je remercie la vie d’être à ma place !

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