L’arrivée du diabète dans ma vie a été un véritable bouleversement. Annonce, gestion, acceptation… Je reviens sur mon histoire avec cette maladie et tout ce qu’elle implique dans mon quotidien depuis près de vingt ans.
Selon une étude publiée en novembre 2018*, 43% des personnes qui apprennent être atteintes d’un diabète de type 1 sont partagées entre les sentiments de peur, de tristesse, d’injustice, d’incompréhension et éprouvent un certain désarroi lors de l’annonce de la maladie.
Et il y a de quoi lorsque l’on sait ce qu’il nous attend ! Pour la plupart, c’est un long chemin semé d’embûches qui commence. Bien sûr, tous les diabétiques ne sont pas les mêmes et ce serait une erreur de faire des généralités, mais seule une minorité peut se vanter de suivre à la lettre les recommandations médicales qui vont, dès l’annonce, rythmer leur quotidien. « La perfection ça n’existe pas », m’a dit ma nouvelle diabétologue lors de ma dernière consultation. Ça tombe bien, je suis loin d’être la diabétique modèle.
Un plat de pâtes à 16h, une soif permanente, des envies pressantes
On a découvert mon diabète à l’âge de 14 ans. J’en ai 32 aujourd’hui. À l’époque cela fait des mois que je maigris à vue d’œil alors que par ailleurs je me « gave », comme lors de ces nombreuses fois où en rentrant des cours, je m’enfile un bon plat de pâtes au beurre. À 16H… Bien entendu, comme tout diabétique qui s’ignore je bois des litres d’eau de jour comme de nuit et les toilettes sont ma deuxième maison, mais j’ignore que ce sont là des symptômes de la maladie. La maison est grande, personne ne m’entend me lever la nuit pour faire mes petites affaires. « Elle ne mange pas assez de produits laitiers et de viande c’est pour ça qu’elle perd du poids madame », dit un jour la pédiatre qui me suit depuis la naissance à ma mère. Soit. En attendant, tout le monde commence à se demander si je ne suis pas en train de devenir anorexique, bien que je m’envoie régulièrement des coquillettes en plein après-midi !
Août 1999 : direction l’Île d’Oléron. Mes parents, mon frère et moi cohabitons dans une caravane d’environ 10m2. La promiscuité aidant, ma mère, infirmière, découvre mes envies pressantes nocturnes. Elle commence à s’inquiéter sérieusement et soupçonne alors un diabète. Direction le laboratoire d’analyses. Résultat : présence de sucre et d’acétone dans les urines. Le doute n’est plus vraiment permis. Un médecin généraliste du coin dit à mes parents que ce n’est pas très grave, que j’aurai juste à prendre des cachets. Manifestement cet homme n’a pas assez potassé ce sujet pendant ses études de médecine.
Hospitalisée en urgences car proche du coma diabétique avec une glycémie qui explose tous les compteurs -aux alentours de 6 grammes de glucose par litre de sang si mes souvenirs sont exacts- je me retrouve dans un service de pédiatrie pas vraiment « calé » sur le sujet. De quoi me laisser d’impérissables souvenirs de vacances.
Le choc de l’annonce
« Tu vas devoir te faire des piqûres toute ta vie pour survivre ». Voilà comment on me l’a annoncé, à l’époque, à l’hôpital. Je me souviens avoir fondu en larmes. Ensuite tout s’est enchaîné : on m’a expliqué ce qu’est cette maladie, que je vais devoir effectivement me faire des injections d’insuline et des contrôles de glycémie tous les jours et plusieurs fois, que je dois faire attention à ce que je mange, que je ne peux plus boire un verre de sirop quand ça me chante. C’est d’ailleurs durant cette semaine d’hospitalisation que j’ai découvert celui qui allait devenir mon meilleur ami pour la vie : le Coca Cola Light. Merci à toi, au moins j’ai pu participer à des pots ou des anniversaires sans faire « péter » mon taux de sucre.
Puis vient l’heure de ma première hypoglycémie. Sueurs, tachycardie, brouillard devant les yeux… Je ne comprends pas vraiment ce qui m’arrive même si on m’a briefée là-dessus lors d’ateliers. Je me transforme en Gremlin et je m’énerve contre l’infirmière. C’est normal c’est un des « signes ». Ma mère et mon copain peuvent en témoigner, ils deviendront mes « victimes d’hypo » préférées dans les années qui suivront. Depuis j’en ai fait des milliers -d’hypo, pas de victimes !- et je ne m’y suis toujours pas vraiment habituée.
Une auto-gestion quotidienne difficile à accepter
Au bout d’une semaine, j’arrive à faire mes piqûres toute seule comme une grande (la condition sine qua non pour sortir de l’hôpital). Une nouvelle vie commence pour moi. Tous les six mois je dois consulter une diabétologue pour tenter de trouver ensemble le schéma thérapeutique qui me convient. Au collège je vais à l’infirmerie pour me piquer, je passe en prio à la cantine… C’est compliqué à cet âge de gérer une telle maladie, d’autant plus qu’elle n’est pas toujours comprise et entourée d’un tas de préjugés (« Ah mais tu es diabétique parce que tu as mangé trop de bonbons ? » Euh… Non.). Très souvent je me retrouve à la limite du malaise quand, en hypoglycémie, je n’ose pas demander à sortir de classe ou à manger du sucre en plein cours de peur de me faire « afficher » devant tous mes camarades ou par certains de mes professeurs trop zélés (ou stupides ?) pour comprendre à quel point c’est vital.
Et puis les années passent et là, c’est le drame (je vous rappelle que je suis en pleine adolescence) : je commence à ne plus remplir mon carnet d’auto-surveillance glycémique. J’en fais un « faux » pour la diabétologue histoire de lui faire plaisir. Je m’injecte des doses au hasard, avec une petite préférence pour 16 unités allez savoir pourquoi, je ne sais pas… Je grossis à vue d’œil et je suis de plus en plus mal dans ma peau. Illumination ! Et si j’arrêtais de me faire mes injections ? Pas d’insuline = pas de stockage de graisse et les sucres se feront la malle par les urines ! Vous les femmes diabétiques qui me lisez, vous savez très bien de quoi de je veux parler. Pendant que j’y suis je ne fais plus mes contrôles de glycémie non plus. Loin des yeux… Je me dis, bêtement, que je ne suis en réalité peut-être pas diabétique et qu’on va découvrir que je n’ai plus besoin de traitement. Je suis plus forte que cette maladie, je vais la combattre. M’auto-guérir. Je rentre dans une phase de déni total et de rejet.
Gravissime erreur. Cet arrêt soudain me vaut deux hospitalisations pour acétonémie ; l’une qui me provoque des crampes aux jambes si atroces que je me retrouve clouée au sol en pleine rue un soir ; l’autre parce que je vomis sans interruption un matin et suis obligée d’appeler les pompiers car je risque le coma. A ce point du récit, vous vous demandez certainement « Mais que font ses indignes de parents ? » Je leur cache tout bien sûr. Ils m’ont toujours soutenue dans cette épreuve et ont été affectés tout autant que moi mais après tout c’est MA maladie, il faut que je l’assume SEULE au maximum. On ne peut pas faire porter ce fardeau à son entourage. Surtout lorsque l’on est sur le point de rentrer dans l’âge adulte.
Ces deux hospitalisations et une hémoglobine glyquée à 14% ne me font évidemment pas prendre immédiatement conscience des dangers que mon comportement représente, mais les années suivantes j’essaye de respecter mon traitement du mieux que je peux. Il y a des hauts et des bas. Je me motive quelques mois et puis je recommence à ne plus faire de contrôles mais je fais quand même mes injections. En 2013 je vis une épreuve particulièrement difficile à laquelle le diabète est associé, d’une certaine façon. J’ai alors un déclic : je ne peux plus faire n’importe quoi car je ne veux plus avoir à revivre une situation similaire. Je m’améliore niveau gestion.
Le diabète, une charge mentale à vie
Les nouvelles technologies m’aident beaucoup. Aujourd’hui j’ai un FreestyleLibre pour contrôler mes glycémies (adieu les autopiqueurs qui te flinguent le bout des doigts) et une pompe à insuline, l’Omnipod. Moi qui m’étais toujours refusée à en porter une, comme quoi il ne faut jamais dire jamais ! Ces dispositifs aideront les diabétiques de demain à mieux gérer et accepter plus facilement la maladie je pense… Je n’ai pas eu cette chance il y a vingt ans. J’applique également les principes de l’insulinothérapie fonctionnelle (qui consiste à adapter sa dose d’insuline au nombre de glucides consommées par repas). Un bon moyen d’équilibrer son diabète sans se priver de quoi que soit alors qu’il y a des années en arrière, le discours sur l’alimentation était beaucoup moins souple.
Bien entendu, tout n’est pas rose tous les jours, je suis souvent fatiguée, j’ai du mal à me concentrer la journée, surtout quand je fais des hypoglycémies. Ces maux invisibles me pèsent. Les gens autour de moi ne prennent pas conscience de cela. Je ne parviens pas toujours à consacrer autant de temps à ma maladie qu’il le faudrait, et j’ai peur d’éventuelles complications… Je ne pense pas pouvoir réellement l’accepter un jour. C’est toujours injuste de tomber malade et pour ma part le diabète m’a enlevé une part de liberté qu’on ne pourra jamais me rendre. Je trouve que l’on ne parle pas assez de la « charge mentale » des maladies chroniques. Le diabète, que je le veuille ou non, est tout le temps là, dans un coin de notre tête, à nous rappeler tout un tas de choses à faire.
Bien entendu, tout est une question de personnalité et chacun gère à sa façon. Certains n’en parlent pas et se soignent dans leur coin, d’autres y consacrent une chaîne Youtube ou un Instagram pour encourager les autres (et se motiver eux-mêmes aussi, sans doute). À nous de choisir comment on veut se prendre en main (ou pas). Mais au bout du compte on n’a pas vraiment le choix : c’est pique-toi ou fini amputé, aveugle, ou mort. C’est violent je sais, mais on ne peut pas se voiler la face. Malgré les progrès de la recherche, le diabète (3,5 millions de personnes en sont atteintes en France dont près de 222 500 DT1, ndlr) est encore aujourd’hui une maladie dont on ne guérit pas.
* Roche Diabetes Care France, « Diabète : vers un patient augmenté », en partenariat avec Harris Interactive, novembre 2018.
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