Nom : Laurence Ruel. Pseudo : Camille Laurens. Personnage central du livre : Laurence.
Points de re-père
Dans ce que l’auteure tient à nommer roman – fût-il très inspiré de sa vie – surgit au début l’image de son père, qui espérait avoir un garçon. Confortée par celle d’une mère, d’une école et d’une société tout entière vouée à l’idolâtrie du masculin.
Vint plus tard un oncle, qui la viola, sans que sa famille réagisse autrement qu’en lui imposant le silence. Puis la découverte du désir, magnifiquement décrite dans ces pages, et d’une sexualité qui dut se développer avec et contre ce qu’elle avait subi.
Ensuite, la maternité. Mais son premier enfant – un garçon – mourut deux heures après sa naissance. Quelques années plus tard naquit sa fille, qui devint un peu garçonne, avant d’assumer son homosexualité.
Camille Laurens évoque ici tour à tour sa mère et sa fille tout en parlant d’elle-même, déroulant le fil d’une féminité en route vers sa liberté. Et relie certains éléments de ses livres précédents, auxquels elle donne un sens puissant : celui de l’éclosion d’une femme, que l’intelligence et la résilience ont aidée à renaître.
Marie Claire : Où en êtes-vous de votre colère contre l’injustice avec laquelle sont traitées les femmes ?
Camille Laurens : Mon indignation est à proportion des injustices et des inégalités que je constate tous les jours, à des degrés divers, dans la vie quotidienne comme dans l’actualité du monde. Je ne suis donc pas près d’être paisible. Très jeune, la narratrice a été violée par son oncle.
Quelles en ont été les conséquences ?
Elles sont parfois souterraines. À court terme, cela la rend malade, c’est son corps qui proteste, qui dit la douleur. Par exemple, elle a un furoncle : son agresseur revient la faire souffrir jusque dans le nom de son mal. À plus long terme, cet abus sexuel ne la détruit pas mais il modifie toute sa vie future, son approche de la sexualité, des rapports entre hommes et femmes, sa confiance.
Ses premiers émois sont masochistes, très sadiens : le rôle de la victime l’attirait ?
La découverte de la sexualité se fait par le prisme de ce viol qui organise la vie fantasmatique de la petite fille dès avant la puberté. Ce n’est pas que le rôle de victime l’attire : elle est victime, ce n’est pas un rôle.
Cet abus sexuel ne la détruit pas mais il modifie toute sa vie future, son approche de la sexualité, des rapports entre hommes et femmes, sa confiance
Certes, elle rejoue la scène traumatique dans ses fantasmes, mais ce n’est pas parce qu’on a un fantasme – de viol, de soumission – qu’on souhaite qu’il se réalise dans la vraie vie.
Part masculine
Que diriez-vous de votre part masculine ?
C’est la part de mon père en moi. Physiquement, d’abord : quand je me regarde dans un miroir, sans maquillage, cheveux plaqués, il m’arrive d’apercevoir mon père. Dans la langue aussi : je m’entends utiliser ses expressions crues. Et plus généralement, ma part masculine, c’est de ne pas me sentir être une femme ! D’échapper ou de souhaiter échapper aux stéréotypes de genre.
Vous parlez souvent de cette dualité. Est-ce un problème ou une satisfaction ?
Je parle de cette dualité parce qu’elle est encombrante. Dans la vie – sociale, professionnelle –, la question du genre ne devrait plus en être une. Ce n’est d’ailleurs plus une dualité, les nuances du genre vont bien au-delà de la bipartition homme-femme. Mais dans ma vie personnelle, au moins jusqu’ici, l’altérité sexuelle a toujours conditionné mon désir : l’autre de mon désir, c’est un homme.
Fille, éd. Gallimard, 19,50 €.
Ce papier a été initialement publié dans le numéro 813 de Marie Claire, daté d’avril 2020.
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