La mode devient-elle vraiment inclusive ?

En couverture des magazines, sur les podiums, dans les campagnes de pub… La diversité n’a jamais été autant louée. Les marques de luxe font désormais appel à des mannequins de tous âges, tailles, genres et couleurs de peau. La mode est-elle vraiment plus inclusive ou est-ce une « tendance » ?

Depuis quelques années, la mode mise sur la diversité. Exit les mannequins clonés, désormais la représentation des corps, des couleurs de peau et des genres différents bouscule cette industrie si conformiste. Résultat, la Fashion Week printemps-été 2020 a été la plus inclusive que la mode ait connue. Qu’en est-il de celle qui vient de s’écouler ?

Révolution sur les podiums

La mode s’émancipe peu à peu des normes établies. Depuis quelques années, le luxe convoite des mannequins de toutes origines dont la beauté défie les standards : Adut Akech, le top soudanais, domine les podiums, Ashley Graham pose en couverture de Vogue, l’américano-somalienne Halima Aden défilé en hijab pour Alberta Ferretti et Max Mara.

Cette saison, Paloma Elsesser a marqué la Fashion Week de Milan le 20 février en défilant pour Fendi. Avec sa taille 46, elle est le premier mannequin « plus size » à défiler pour la griffe italienne. A Paris, le top a également été aperçu sur les podiums d’Alexander McQueen et de Lanvin, dont elle était aussi le premier mannequin grande taille à défiler.

En matière de diversité, New York fait figure de modèle. D’après le site The Fashion Spot, c’est Christian Siriano qui a fait appel à le plus de mannequins ronds lors de la Fashion Week automne-hiver 2020 : Marquita Pring, Precious Lee, Seynabou Cissé, Candice Huffine ou encore Chloé Véro. Connu pour son engagement en faveur de la diversité et de l’inclusivité, le jeune créateur n’a pas failli à sa réputation en engageant des modèles aux différentes couleurs de peau et tailles.

Toujours à New York, Alexis Ruby défilait pour Marc Jacobs pour la 2e fois, après avoir fait ses débuts pour la marque en septembre 2019. Repéré sur Instagram, le mannequin de 23 ans a également défilé pour Tommy Hilfiger à Londres le 16 février.

Enfin, avec près de 40 shows au compteur, le mannequin américain Achenrin Madit, né de parents soudanais a dominé les podiums de la Fashion Week automne-hiver 2020-2021. Et pas des moindres puisqu’elle compte essentiellement des pointures parmi les griffes qui font appel à elle. Stelle McCartney, Miu Miu, Fendi et Valentino pour n’en citer que quelques-unes.

Le casting se diversifie en coulisse

Aujourd’hui, cette diversité s’immisce également jusque dans les coulisses de la mode. Avec la nomination de Virgil Abloh aux rênes de Louis Vuitton, seul créateur noir jusqu’ici à la tête d’une marque de luxe mondiale, LVMH avait déjà fait un pas en faveur de l’inclusion et de l’ouverture. Avec Fenty, la maison créée avec Rihanna, le groupe va encore plus loin. Non seulement elle est la première femme, noire de surcroît, à y lancer sa marque, mais elle y est à la fois PDG et directrice artistique, un cumul de rôles assez rare dans les grands groupes de luxe pour être souligné. Même son de cloche outre-manche avec l’arrivée d’Edward Enninful, premier homme noir et homosexuel, à la tête du Vogue Britannique.

En janvier 2019, le conseil de la mode américaine (CFDA) publiait le rapport « Insider / Outsider » soulignant l’importance de la diversité aux postes clefs des entreprises pour que cette dernière puisse à la fois être plus effective et pérennisée. « Sans une diversité appliquée dans les studios les tentatives de représentation paraîtront sans saveur, sans réel ancrage » avance Dinah Sultan, styliste au bureau de tendance Peclers Paris. « L’arrivée d’Edward Enninful arrive 20 ans après qu’il ait bougé les lignes avec i-D, cela prend donc du temps. Quand il appelle Rihanna pour faire la couverture du September Issue, cela prend plus de sens car c’est un cri de la communauté, une communauté qui montre sincèrement qu’elle a réussi et non une histoire de quota de visages noirs. On commence à voir ces changements grâce à des créateurs qui portent naturellement cette diversité à la fois dans le luxe (Virgil Abloh, Olivier Roustaing,…) mais surtout dans la nouvelle garde (Telfar Global, Marine Serres…) qui apporte une vision disruptive de la mode et des personnes qui l’incarnent » ajoute-t-elle.

Début 2019, Gucci a ainsi été la première maison de luxe européenne à vouloir combler son manque de diversité en recrutant un directeur monde pour la diversité et l’inclusion. La marque a également lancé un programme de bourse d’études à New York, Pékin ou encore Nairobi pour engager des personnes aux parcours plus éclectiques. Après Gucci, Prada a annoncé le lancement de son conseil de la diversité et de l’inclusion, dirigé par la réalisatrice Ava DuVernay et l’artiste Theaster Gates. Son but : « Élever les voix de personnes couleur au sein de l’entreprise et de l’industrie de la mode en général ». De quoi inspirer d’autres griffes, qui n’ont pas tardé à suivre l’exemple telles que Burberry ou Chanel.

Sincérité ou tendance marketing ?

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Shift into neutrals.

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Une publication partagée par Victoria's Secret (@victoriassecret) le 23 Janv. 2020 à 9 :10 PST

Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, la mode n’a plus d’autre choix que de prendre en compte les revendications d’une clientèle qui demande à être représentée. Dernier exemple en date : la marque Victoria’s Secret revoit sa communication à l’ère du boom de la lingerie inclusive. Pourtant, en novembre 2018, lorsque Ed Razek, directeur marketing de la marque est interrogé dans les colonnes de Vogue sur une possible intégration de modèles transsexuels et/ou grandes tailles, il répond : « Non, je ne pense pas que nous devrions le faire. Pourquoi ? Parce que le défilé est un fantasme. C’est une émission spéciale de 42 minutes et c’est le seul du genre au monde. »

N’ayant pas réussi à prendre le train en marche de la diversité et face à un concurrent de taille comme Savage x Fenty dont le succès a été immédiat, le géant américain a vu ses ventes dégringoler. Et si Victoria’s Secret tente tant bien que mal de se débarrasser de ses polémiques avec un casting plus inclusif, cet intérêt soudain semble trop calculé pour être honnête. « A l’heure des réseaux et des compte comme Diet Prada qui scannent et dénoncent sans arrêt les bad practices, il sera difficile d’effacer des paroles discriminantes avec seulement une campagne de pub » note Dinah Sultan. Et de rappeler que « le modèle Victoria Secret est aussi à regarder dans son global. Les magasins, le marketing, les produits répondent à une vision complètement archaïque de la féminité. Il ne s’agit pas que de physique mais aussi de discours ». Une vision mysogine et hypersexualisée façonnée par Ed Razek depuis son arrivée en 1983 et qui a fini par jouer des tours à la marque. Preuve donc que la diversité doit être pensée de l’intérieur. « Quand Rihanna crée Savage x Fenty, elle place au cœur de son action le body positivisme, mais aussi elle ancre une action féministe et engagée. Quand Victoria Secret fait une pub dite « inclusive » elle prend garde à ne caster que des « hors normes » lissées : métisse, plus size taille 40. On voit là qu’elle n’est pas prête à s’engager totalement ».

Encore du chemin à faire pour une mode inclusive

Si la mode se montre, dans son ensemble, plus inclusive, le chemin est encore long et toutes les causes n’avancent pas au même rythme. Alors que la représentativité ethnique sur les podiums augmentait saison après saison, les chiffres accusent une petite baisse pour l’automne 2020. Les tops non-blanches sont passées de 41,5% au printemps-été 2020 à 40,6% cette saison.

Le nombre de mannequins plus size a, quant à lui, considérablement diminué sur les podiums. Pour la saison SS 20, le rapport comptait 86 modèles grande taille, pour l’automne 2020-2021, ils n’étaient plus que 46. Même constat pour les mannequins trans dont le nombre est passé de 46 à 21. Des chiffres qui montrent que si des progrès sont faits, ils ne sont pas synonymes de constance. Peclers Paris explique : « L’inclusivité est parue cette année comme une « tendance », parler à toutes femmes, les représenter semblaient être pour les marques un nouveau tremplin. Une fois le public conquis et la consommateur convaincu, il n’est pas surprenant que les marques fassent marche arrière pour revenir à des représentations plus classiques de la féminité ». Récemment, Naomi Campbell rappelait « Nous [les mannequins noirs] ne sommes pas une tendance ».

Une avancée à noter cependant : les mannequins âgés de plus de 50 ans étaient plus nombreux sur le catwalk, passant de 39 pour le printemps à 44 cette saison. C’est Paris qui détient le record de modèles plus âgés. En revanche, la Ville des Lumières semble plus réfractaire au changement lorsque l’on parle de kilos. « La France a beaucoup de mal à accepter la grosseur car elle est complètement bloquée dans son archétype de la Parisienne mince et naturelle (l’éternelle Inès de La Fressange), même si des journalistes comme Alice Pfeiffer ont tenté d’exprimer qu’une autre femme française existe, il reste encore compliqué de l’exprimer » la styliste du bureau Peclers.

Au Grand Palais, Chanel a fait parler d’elle en faisant défiler pour la première fois depuis 10 ans un mannequin dit « plus size », Jill Kortleve, la dernière étant Crystal Renn en 2010. Virginie Viard serait-elle en train de faire bouger les lignes ? Dinah Sultan précise : « Karl Lagerfeld était connu comme étant un grossophobe notable. Virginie Viard a probablement compris qu’il fallait ouvrir le podium à plus de représentations féminines, par instinct mais aussi par simple analyse des ventes, le 40/42 étant probablement une des meilleures ». S’il s’agit d’une avancée notable pour la maison traditionnelle, le fait que Jill Kortleve, taille 40, soit présentée comme un « mannequin grande taille » pose problème quand on sait que la taille moyenne des femmes françaises est le 42. Pour Dinah Sultan, « il existe une réelle omerta concernant les grandes tailles dans le luxe, même si l’on voit des mannequins comme Paloma Elsesser chez Fendi et Alexander McQueen, cela reste une figure d’exception ». Et de conclure : « Comme Christian Siriano à Ashley Graham, ouvrir les tailles est faisable il suffit juste de s’y mettre et d’en faire une habitude ».

Une publication partagée par A S H L E Y G R A H A M (@ashleygraham) le 28 Janv. 2020 à 8 :48 PST

Voir aussi : Ces mannequins révolutionnent le monde de la mode avec leurs formes


Stéphanie Zwicky nous présente sa collection inclusive pour toutes les tailles

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