Décapant historien de la mode, autrefois à la tête du musée Galliera et désormais directeur artistique de la maison Weston, Olivier Saillard nous livre ses réflexions en marge de son brillant dictionnaire.
On a longtemps catalogué la mode comme industrie du futile et par conséquent, on l’a envisagée comme accessoire à ce qui se passe dans le monde. Mais les choses ont changé. Aujourd’hui, le monde réalise que la mode a un véritable impact sur nos sociétés, qu’elle dit quelque chose de qui nous sommes et de ce que nous tolérons, de nos évolutions esthétiques, de notre histoire… C’est ce que raconte avec brio Le Bouquin de la mode piloté par l’historien des modes et actuel directeur artistique de la maison Weston, Olivier Saillard.
Celui qui a été à la tête du musée de la mode de Paris s’est entouré pour ce livre d’une dizaine de collaborateurs, chercheurs, historiens et conservateurs. Ensemble, ils racontent et analysent l’histoire du vêtement des premières lois somptuaires – réglementation des habitudes de consommation au Moyen-Âge- à l’invention de la haute couture par Charles Frederick Worth en passant par l’avènement du prêt-à-porter et à la création des grands groupes de luxe et des nouveaux diktats de l’industrie.
Une anthologie nécessaire
Ce qui fait du Bouquin de la mode un ouvrage d’exception, c’est qu’il aborde des thèmes indispensables à la compréhension de l’histoire de la mode. Si la figure du grand couturier y trouve évidemment sa place, tout comme celle du mannequin qui est passée de simple sosie sans personnalité à figure tutélaire, on retrouve également un texte sur le vêtement de voyage et son évolution en fonction de celle des moyens de transport, viennent également les tissus et leur vocabulaire poétique, la photographie intime, mais aussi celle des magazines… Mais les textes les plus marquants sont les inédits comme celui indispensable sur « la mode au musée », un sujet important quand on voit l’intérêt du grand public pour les grandes expositions de mode, en France comme à l’étranger.
« Il existe une généalogie de couturiers architectes qui savent couper, assembler, monter – Vionnet, Grès, Balenciaga, Alaïa, Cardin. Et une lignée passant par la technique du dessin, comme Christian Dior, meilleur dessinateur que couturier. Je suis surpris qu’à ce très beau mot, la jeune génération préfère ceux de designer, de directeur artistique… Cela dit, je ne vois pas qui, aujourd’hui, pourrait le revendiquer. Plus personne ne sait coudre ou dessiner. »
« Le mot le plus proche de mode, c’est le mot mort. La mode est éminemment morbide, avec l’idée de la disparition à chaque collection, et donc de morts renouvelées. Souvenez-vous du mot de Cocteau : “La mode meurt jeune”, condition nécessaire à sa renaissance. »
« Un défilé chez Dior dans les années 50 durait deux heures et demie. Courrèges le réduit à 40 min à la fin des années 60 (…). Aujourd’hui, aucun défilé ne dépasse 11 min, à part chez Chanel Haute Couture. Au-delà, on considère que l’attention n’est plus là. C’est le paradoxe : toujours plus de vêtements présentés dans un laps de temps de plus en plus court. Le concept de défilé est usé ; il faut réinventer autre chose. »
“Vêtement” est un terme oublié. On parle tout le temps de mode, de style, d’allure, mais plus jamais de vêtement. Celui-ci est quand même la base de la mode ! Les acteurs de la mode n’ont que le mot de marque à la bouche
« Il y a beaucoup de créatifs, très peu de créateurs. Il y a des idées, mais pas de pensées. Il m’arrive d’être emporté par un défilé surtout quand la musique est bien choisie et de me dire, le lendemain matin, en fait, c’était rien du tout ! »
« L’uniforme aujourd’hui est celui de la diversité rebelle. Tout le monde est différent mais par là même obéit à l’injonction de faire comme tout le monde. Ma caissière a les cheveux rouges et des piercings, ma banquière est tatouée. Je ne vois pas comment être transgressif aujourd’hui. Il n’y a plus de frontière d’hostilité possible ».
« Les couturiers ont un peu tous la même vision du corps féminin. Balenciaga avait dessiné une veste inspirée de la scoliose de son mannequin favori. Il naît davantage de choses sublimes de la singularité du corps que du sentiment de sa perfection. »
Le naturel est le grand absent de l’époque. Martin Margiela disait à ses mannequins : “Ne vous lavez pas les cheveux deux jours avant le défilé parce qu’ils seront beaucoup mieux comme ça sur le podium.” Et il ne les coiffait pas. (…) Aujourd’hui, la représentation de la mode est trop investie, trop maquillée, trop outrée. Je sens venir en réaction une vague minimaliste.
« J’ai une passion pour les mannequins. J’ai beaucoup été aux défilés pour ce que dégageaient les filles. Kirsten Owen dans le Marie Claire des années 80 reste pour moi un modèle extraordinaire. Je défie le public de citer un nom de mannequin aujourd’hui, à part celui de Kate Moss. »
« Il faut s’en méfier. C’est souvent la convention d’une époque. Certaines filles possèdent un mauvais goût très sûr, ce qui peut être intéressant. Le bon goût d’aujourd’hui, c’est de ne pas avoir une silhouette qui affiche le prix du vêtement ou le nom de la marque ».
Le bouquin de la mode,
sous la direction d’Olivier Saillard
collection Bouquins/Robert Laffont
32 €
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