VEJA : ce qui se cache dessous les baskets

Fondée en 2003 par deux amis d’enfance, Veja fait partie de ces enseignes engagées dans le commerce durable. Aujourd’hui la marque de baskets française au nom lusophone fait le tour du monde. Rencontre avec l’un de ses co-fondateur, François-Ghislain Morillion.

Dans un immeuble du Haut Marais se tient, discret, le siège social de VEJA. Cette marque de baskets qui a fait de la « sustainability » son fer de lance, est aussi une success story internationale avec 3 millions de paires vendues et le lancement de leur running ce 20 septembre 2019. En cette fin d’été, François-Ghislain Morillion, l’un des deux fondateurs de la marque, nous reçoit : t-shirt gris, petites lunettes rondes et (bien sûr) Veja au pied. Et nous invite à regarder de plus près ce qui se cache dessous ses baskets. Interview.

Sébastien Kopp (à droite) et François-Ghislain Morillion (à gauche, co-fondateurs de VEJA, dans la forêt Amazonienne. © Veja/ Ludovic Careme

Marie Claire : comment est née VEJA ?

François-Ghislain Morillion : En 2003, avec Sébastien (Kopp, le deuxième co-fondateur), nous avons décidé de faire un grand voyage, de mener une réflexion sur comment concilier économie et préoccupations sociales et environnementales. À l’époque, pour une marque de commerce équitable, on avait audité la production de cœurs de palmiers en Amazonie et découvert la manière de travailler en direct avec les petits producteurs. On avait observé que par le biais de l’économie on pouvait préserver la forêt. Nous avons alors choisi de lancer des baskets parce que c’est un produit symbolique de notre génération et de notre époque. Veja veut dire « regarde » en brésilien : il y a quelque chose de démonstratif, cela veut dire qu’il est possible de faire autrement.

Les baskets Veja se définissent par leur « sustainibility » ?

Le premier pied de Veja repose sur deux filières. La première est celle du son le coton agro-écologique du nord-est du Brésil. Nous travaillons maintenant avec presque 1000 familles : dans notre contrat, il est mentionné que nous achetons du coton uniquement s’il est cultivé en association avec d’autres cultures. La seconde est le caoutchouc sauvage des seringueiros : on a commencé avec 16 familles et aujourd’hui elles sont plus de 300. Le deuxième pied est le design : tout aussi important. Nous sommes persuadés qu’il y a plein de clients qui achètent nos chaussures sans savoir qu’elles sont éthiques.

Dans l’Etat brésilien de Acre, les « seringueiros » récoltent le caoutchouc utilisé pour les semelles VEJA. © Veja/ Ludovic Careme

Veja est particulièrement liée au Brésil. Les feux en Amazonie ont fait la Une internationale cet été et on a beaucoup parlé de déforestation. Avez-vous senti une différence sous le gouvernement de Bolsonaro ?

Avec le changement de gouvernement on a senti grandir une totale tolérance envers la déforestation, mais on s’était déjà prémuni. Car déjà, depuis 2015, la  déforestation s’accélère. Cela fait plusieurs années qu’on s’en rend compte, grâce à du monitoring par satellite. C’est pourquoi nous avons conclu un accord avec nos producteurs afin qu’ils s’engagent à ne pas déforester. Et on rémunère ce service. Dans les faits, on paie le kilo de caoutchouc et pour chaque kilo acheté nous payons en supplément la même valeur en prestation de service. En échange, les producteurs s’engagent, conformément à la loi en vigueur d’ailleurs, à ne pas déforester plus de 20% de leur terre en Amazonie.

Mais vos acteurs locaux on-t-ils conscience de cela ?

C’est compliqué, les gens veulent s’en sortir. Ce n’est pas forcément une volonté de déforester. Le seul moyen de contrer ça, c’est de valoriser autrement et beaucoup… Aujourd’hui nous achetons le caoutchouc à 2 euros/kilo. Il faut que les ressources naturelles soient considérées comme du capital. Un capital doit être rémunéré par des acteurs économiques qui le reconnaissent, ce qui est notre cas. Nous pensons fortement que la forêt sur pied a plus de valeur que de la forêt par terre. Parce qu’elle nous rend des services, notamment l’oxygène, l’eau. Et que cela, ça se paie. 

Mais économiquement parlant, comment vous pouvez financer tout cela ?

Puisque nous n’investissons aucun euro en publicité ou en sponsoring, nous pouvons payer plus cher nos matières et notre fabrication. Nous n’avons même pas de département marketing ! On a totalement éliminé ce coût. Et ce dernier représente 50 à 70% du prix des baskets de la concurrence. C’est toute une économie qui arrive après la fabrication du produit et à laquelle on ne participe pas. Ce qui nous permet de faire des économies colossales. Tout en gardant une basket à un prix accessible.

François-Ghislain Morillion (à droite) avec les « seringueiros ». © Veja/ Ludovic Careme

D’ailleurs, Veja dispose d’une collection bien fournie, avec ses nouveautés. Les dernières en date ?

The condor, notre running (dans les boutiques dès le 20 septembre, ndr). Il y a trois ans, nous avons décidé d’investir en recherche et en développement. Ce projet nous a fait rentrer dans une nouvelle ère : celle des polymères. Nous voulions trouver une alternative au pétrole : 99 % des running vendues sur le marché sont composées de plastique dérivé du pétrole. Nous pensions pouvoir faire des baskets 100% sans pétrole mais on est très content de lancer notre basket à 53% biosourcée et recyclée. On met à peine un pied dans l’univers du sport mais on en rêvait depuis longtemps…

Vous pensez à toute une collection de chaussures de sport ?

C’est vous qui le dites… [rires] Mais, oui, on a envie de développer cela. Disons que nous avons plein de choses dans les tiroirs…

Avec 34 millions de chiffre d’affaire la marque a le vent en poupe. Quand avez-vous senti qu’une autre vitesse s’était enclenchée ?

Cela a été un chemin de réflexion plus qu’un turning point. L’ouverture de Centre Commercial (leur concept store parisien, ndr) nous a permis de rencontrer des marques telle que Patagonia qui nous a beaucoup ouvert l’esprit, notamment sur les polymères. Mais quand en 2015 le Dover Street Market à Londres nous a contacté pour nous dire « on veut VEJA parce que c’est écologique » on a pensé qu’il y avait un déclic. Parfois on me dit «  Meghan Markle a fait le succès [des Veja au UK ] » mais c’est simplement que Meghan Markle fait partie d’une nouvelle génération qui porte du VEJA depuis pas très longtemps. C’est arrivé avec la prise de conscience planétaire du réchauffement climatique.

Pensez-vous que votre business modèle rentable et « sustainable » pourrait être implanté sur les grandes marques de baskets ?

Oui, je le pense ! Et aussi sur d’autres biens. Quand je vois la gare Saint-Lazare à Paris tapissée de pubs du dernier portable, je me dis que quand j’achète ce produit, je paie ça aussi. C’est une répartition de la valeur qui est différente.

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