Infirmières, assistantes maternelles, caissières : ces travailleuses rendues visibles par la crise du Covid-19

Des infirmières aux caissières, les femmes tiennent les avant-postes en cette période de crise sanitaire. L’occasion de se pencher sur ces métiers féminins, souvent méprisés et mal payés, pourtant indispensables à notre quotidien, encore plus en ces temps de confinement.

Infirmières, aides à domicile, aides soignantes, assistantes maternelle, auxiliaires de vie, caissières, femmes de ménage… Face au nouveau coronavirus, les femmes tiennent le premier rôle pour accompagner les Français dans la crise.

Pourtant, la plupart de ces professionnelles occupent des emplois rarement considérés, souvent mal payés, habituellement dénigrés. Et s’il fallait trouver une qualité à ce virus qui nous confine, c’est bien d’avoir montré à quel point elles étaient essentielles à notre quotidien.

Des métiers invisibilisés et mal rémunérés

« Sociologiquement, dans leur écrasante majorité, tous les métiers de service à la personne sont réalisés par des femmes. Ils constituent une continuité de ce qu’elles faisaient déjà dans l’espace domestique, puisque traditionnellement elles s’occupent des malades, des personnes âgées, des tâches ménagères. Donc, quand ça s’est professionnalisé, on a estimé que ce serait des emplois pour les femmes. D’autant qu’on considère que le dévouement et l’attention à l’autre sont des qualités ‘naturellement’ féminines« , décrit Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à l’université Paris 13 et autrice de Le travail du care (La Dispute).

« Ce sont des boulots mal payés pour les mêmes raisons« , continue-t-elle. En effet, les salaires dans les métiers du care sont loin d’être mirobolants, justement car ils ont longtemps été réalisés gratuitement au sein du foyer par les mères, les sœurs ou les épouses et aussi car ils sont confondus avec des qualités innées ne nécessitant donc pas de talent particulier.

« Depuis toujours, les femmes assurent ces tâches sans rémunération, alors l’idée de les payer correctement pour ça devient inimaginable. On s’imagine que ce travail doit être fourni ‘par amour’« , décrypte Sandra Laugier, professeure de philosophie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, co-autrice de Le souci des autres, éthique et politique du care (avec P. Paperman, éditions EHESS) et autrice de Tous vulnérables ? (Payot).

Le paradoxe se trouve surtout dans le mépris dont elles sont habituellement victimes

Or, comme le constate la philosophe : « En pleine crise, toute cette armée de travailleuses du care s’avère absolument essentielle, c’est massif. Le paradoxe se trouve surtout dans le mépris dont elles sont habituellement victimes et avec lequel on considère des tâches fondamentales à la vie quotidienne. Le travail de soin, de ménage, celui dans les hôpitaux restent absolument centraux mais on les voit pas, ils sont invisibilisés. Là, d’un coup, on s’aperçoit à quel point ils sont nécessaires. »

Leur importance révélée par la crise

À tel point que les Français applaudissent aujourd’hui le personnel soignant chaque soir à leur fenêtre et que des pétitions ont été lancées pour que les caissières reçoivent primes et protection. L’une d’entre elles, intitulée « Des gants et des sous pour nos caissières ! » a notamment recueilli près de 50.000 signatures sur Change.org.

Notre autonomie n’existe que parce qu’on dépend de plein de gens, très souvent des femmes

« On commence à reconnaître l’importance des caissières, alors qu’on attribue rarement les habits de l’héroïsme, là ça change. Le personnel soignant, lui, sauve des vies en prenant des risques extrêmes. Cette crise a mis au jour l’importance de ces professions. Jusqu’à présent, la société refusait de voir celles grâce à qui on vit en temps normal. Tout ça constitue l’éthique du care : ce qui rend la fil de la vie ordinaire tangible et possible. Notre autonomie n’existe que parce qu’on dépend de plein de gens, très souvent des femmes », analyse Sandra Laugier.

S’il est encore trop tôt pour savoir quelles leçons seront tirées de cette crise sanitaire, « on peut espérer que ces métiers, qui se révèlent bien plus indispensables que ceux des ‘premiers de cordée’, cessent d’être dénigrés », imagine Pascale Molinier.

En attendant l’issue, Emmanuel Macron l’a répété : « Nous sommes en guerre ». Un vocabulaire martial, bien loin de la réalité de celles qui prennent soin. Pourquoi un tel besoin de virilité, quand au plus fort de la crise, ce sont en majorité les femmes qui assurent le gros de l’effort ?

On ne sait pas mettre en valeur des tâches autrement qu’en les trouvant viriles

« Dès lors qu’on veut valoriser un travail, lui donner de l’importance, on va le viriliser, affirme Sandra Laugier. C’est une façon de retourner toute cette reconnaissance du travail mené par les femmes en direction d’une forme de domination masculine. Ça montre qu’on ne sait pas mettre en valeur des tâches autrement qu’en les trouvant viriles. On est aveugles à la quantité des femmes en première ligne. »

Pourtant ce sont bien elles qui continuent à assurer le soin des plus vulnérables d’entre nous. Elles aussi qui continuent de rendre plus doux le quotidien de nos anciens. Et elles encore qui, souvent sans aucune protection, nous permettent tout simplement de continuer à manger. Pas des soldates, non, mais des professionnelles du care, qui méritent une véritable reconnaissance.

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