Rire au temps du coronavirus, un salvateur défi face à l’épidémie

Alors que le confinement se poursuit, nous sommes bombardés de photomontages, vidéos et parodies hilarantes via les réseaux sociaux. Tous « MDR » pour dédramatiser la situation ?

Qui n’a pas vu ou reçu le photomontage de ce chien épuisé qui dit : « La vache ! Tout le quartier m’a promené. C’est qui ce putain de Covid ? » Ou la photo d’Emmanuel Macron vieilli de 20 ans, grâce à Photoshop : « Mes chers compatriotes, vous pouvez maintenant sortir ». Les Français se marrent. Malgré la peur d’être contaminé et de contaminer, l’assignation à domicile, et les polémiques sur les mesures prises – ou pas – par les pouvoirs publics pour lutter contre le coronavirus.

Des anonymes qui ont le sens de la punchline mettent les rieurs de leur côté: « C’est bien la 1ère fois qu’un truc made in China dure aussi longtemps ! ». Les récalcitrants qui refusent de rester chez eux sont épinglés dans des photomontages moqueurs.

Avant le confinement : une famille banale, chacun sur son ordinateur, son smartphone ou sa tablette… Après : la même famille au parc, qui s’est découvert une passion subite pour le jogging et la balade en famille.

Les internautes ont du talent, et les enfants ne sont pas épargnés. Ainsi, on ironise sur ces géniteurs qui découvrent en vase clos, qui sont vraiment leurs enfants : « Une petite pensée pour tous les parents qui sont en train de se rendre compte que finalement, le problème, c’était peut-être pas le prof ».

Un peu de légèreté dans un quotidien oppressant

Depuis le début du confinement ce 17 mars, nous sommes bombardés de videos, photos, dessins, messages parodiques. Des moments de franche rigolade que nous renvoyons nous-même à vitesse grand V à nos proches via Facebook, Messenger, WhatsApp… Parce qu’il vaut mieux en rire, pour garder un peu de légèreté, pour maintenir le lien avec toutes nos tribus, – famille, amis, collègues etc, – à défaut d’avoir du neuf à raconter sur nos journées qui commencent à se ressembler toutes.

Après tout, ne dit-on pas que « l’humour est la politesse du désespoir », même si la majorité d’entre nous n’a pas perdu un proche, fauché par le Covid-19.

Le journal de confinement lui-même est un exercice à haut risque parodique, quand l’auteur s’y révèle involontairement plus privilégié que la majorité des reclus. Comme celui de l’écrivaine Leila Slimani, publié dans Le Monde, de sa maison de campagne en Normandie, et qui a inspiré « le récit sans fard »  de « Pepette Andrieu », alias le journaliste belge Christophe Bourdon.

Extrait choisi : « Jour 1. Bernard et nos deux enfants, Glycine et Citronnelle, dorment encore du sommeil des braves. Seule dans ma cuisine, désemparée depuis que notre chère gouvernante Fatou m’a annoncé qu’elle devait rester auprès de son mari et de leurs cinq enfants dans leur HLM, je prépare moi-même un jus d’oranges sanguines pressées en regardant les clématites fleurir sous notre tonnelle au fond du jardin. » On vous laisse découvrir la fin.

Alors que dit de nous, cette épidémie de fous rires en tant de pandémie ? Les éclairages de Marie-France Patti, psychothérapeute, auteure de L’humour, un défi aux certitudes (1)

Marie Claire : Que vous inspire ce déferlement d’humour, à un moment où il n’y a pas vraiment de quoi rigoler ?

Marie-France Patti On se fait du bien. L’humour est l’une des façons d’éviter le malheur : on perçoit bien la réalité telle qu’elle est, (contrairement à la névrose, où on la déforme) mais on s’en amuse, on joue avec, on la triture, on la pousse dans ses conséquences les plus absurdes, pour éviter d’en souffrir. Selon la définition de Freud, « l’humour est le dépassement du sens tragique de la réalité »

On voit beaucoup d’humour noir

Parce que nous sommes dans une situation inédite, extrême. On l’a d’ailleurs comparée à la guerre, et en effet, même si la majorité des testés positifs au covid-19 et des malades s’en sortent, la mort rôde.

Faire de l’humour est un acte de survie salvateur dans ces situations anxiogènes où nous entendons, rivés aux chaînes d’info, des nouvelles terribles, le bilan des victimes qui s’alourdit, le manque de masques pour tout le monde, et la peur de perdre son travail, son emploi…

Faire de l’humour est un acte de survie salvateur dans ces situations anxiogènes

L’humour, c’est notre bol d’air, cela nous permet de dédramatiser la situation, nous donne le sentiment qu’on la contrôle un peu, plutôt que de la subir complètement, donc de nous sentir un peu plus fort. C’est un mécanisme de défense pour continuer à se sentir exister. En témoigne, dans les situations les plus extrêmes, l’humour dont faisaient parfois preuve les soldats de la première guerre mondiale ou les prisonniers des camps de concentration.

Il y a eu énormément de posts humoristiques à propos des stockages de paquets de pâtes et de papier toilette, et leur détournement (le #PQ challenge : réussir à jongler avec un rouleau de papier toilette comme avec un ballon de foot dans son salon)…

C’est de l’autodérision. On se moque de soi-même, de nos habitudes chamboulées, pour mettre à distance notre peur de manquer, parfois transmise par nos parents et grands-parents. On est dans une situation d’angoisse, on ressent un vide, qu’on cherche à combler en bourrant ses placards de pâtes, alors qu’il n’y a pas de pénurie dans les magasins d’alimentation.

L’humour souligne nos propres défauts ou ceux d’autrui, mais l’intention est de s’en amuser, pas de blesser des individus ou des groupes ou des communautés.

Il y a beaucoup de post sur le thème « restez chez vous ». On se filme pomponnée pour sortir, bière en main, visitant sa cuisine, son salon… : « Je fais la tournée des bars ». Une fausse couverture du guide du Routard propose la nouvelle destination 2020 : « Votre appartement ».

Oui, l’humour nous permet de transformer une réalité en la regardant différemment. En la sublimant. L’humour crée un décalage surprenant avec la réalité. C’est une disposition d’esprit, une façon de se situer dans la vie et d’interpréter le monde dans lequel on évolue (le confinement).

On y trouve aussi beaucoup de jeu, d’imagination langagière, de jeux de mots une créativité élaborée. Comme chez ce bluffant faux Georges Brassens, qui parodie la célèbre chanson, Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, devenue , « On a pu faire notre concert mais sans public, sans public, sans public… »

Aux cinq motifs de sortie hors de chez soi autorisés, un 6ème a été ajouté sur une fausse attestation qui a beaucoup circulé : « Ma femme me fait ch…. »  

Oui, il y a toutes sortes d’humour, y compris l’humour beauf, lourd, qui ne fait pas rire tout le monde. Des clichés misogynes qui insinuent que – seules les femmes seraient invivables en confinement.

L’humour est un phénomène social et culturel lié à des habitudes, des valeurs, des codes et des idéaux communs. On ne rit pas des mêmes choses d’une communauté ou d’un groupe à l’autre. Ainsi il n’est pas sûr que faire de l’humour sur ceux qui sont confrontés à des situations dangereuses (médecins, policiers, infirmières…) fasse rire les concernés.

Il y a toutes sortes d’humour, y compris l’humour beauf qui ne fait pas rire tout le monde. Des clichés misogynes qui insinuent que – seules les femmes seraient invivables en confinement.

Notre sens de l’humour, au temps du coronavirus est-il lié à notre éducation ?

À l’environnement familial plus qu’à l’éducation.

Quand on se sent suffisamment fort, avec une bonne estime de soi, une bonne assise narcissique, on encaisse mieux l’angoisse que quelqu’un d’un peu fragile, qui ne supporte pas le manque, la séparation, qui a des failles dû à son passé. Une bonne assise narcissique, c’est avoir eu un environnement sécurisant dans son enfance, ce qui n’a rien à voir avec le milieu social ou culturel. C’est avoir eu de l’amour, des soins, ce qui va permettre de grandir et de se sentir fort.e.

Sans cet entourage, les susceptibles inaptes à l’autodérision, les hermétiques au second degré, peuvent être déstabilisés par un post humoristique. De même, celles et ceux qui campent sur des positions idéologiques, ou religieuses très fortes, peuvent être souvent trop rigides pour rire de posts sur la pandémie ou le confinement.

1) Editions In press.

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