Du coaching à la scène, ces femmes qui font l’e-sport en France

Noémie, Julie, Angélique… Elles se passionnent pour les jeux vidéos depuis des années. Aujourd’hui, certaines ont intégré les plus grands éditeurs au monde, à l’instar du géant Riot Games. D’autres font peu à peu leur place dans l’e-sport.

L’AccorHotel Arena de Bercy a fait salle comble ce dimanche. Au programme ? La finale du championnat du monde du jeu vidéo League of Legends, ou LoL pour les initiés. Devant près de 20.000 spectateurs originaires du monde entier, l’e-sport a fait son show, rappelant à bien des égards que la discipline n’est plus à prendre à la légère. Pour Noémie, 24 ans, il n’était pas question de rater l’événement. Pour ne pas manquer sa place, la jeune femme s’est mise une alarme sur son smartphone il y a quelques mois. Après avoir rafraichi plusieurs fois la page du site, elle a enfin obtenu le grâal.

La passion de Noémie, alias Tsubaki, pour l’e-sport n’est pas récente. Elle remonte à l’année 2015. «J’ai aperçu l’affiche d’un événement gaming qui allait se dérouler à Toulouse. Ça m’a interpellée, j’y suis allée et là le déclic…, se souvient-elle. La foule était impressionnante, il y avait énormément de bruit. Voilà comment tout a commencé.» Banderoles, écharpes, clapping… : ce dimanche, à Paris, l’ambiance si particulière des compétitions d’e-sport était au rendez-vous. À mi-chemin entre un match de quidditch – le sport fictif issu de la saga Harry Potter – et un combat de boxe. Sans nul doute, l’e-sport n’a rien à envier aux sports dits «traditionnels».

En vidéo, quelle place pour les femmes dans l’industrie du jeux vidéo ?

« Je n’imaginais pas travailler dans les jeux vidéo »

Selon le baromètre de France Esports, l’Hexagone compte même 2,9 millions d’e-sportifs «loisir» dont 29% de femmes et 71% d’hommes. Pourtant, dans les compétitions, la donne n’est pas la même. La part de femmes tombe à 10%. Cela n’a pas empêché certaines de s’aventurer dans l’industrie. C’est le cas de Julie Jeanniot. À 26 ans, cette dernière a fait de sa passion pour l’e-sport son métier. Elle est aujourd’hui chef de produit League of Legends dans les bureaux français de l’éditeur Riot Games. «J’ai toujours eu la passion du jeu vidéo mais LoL c’est vraiment autre chose. Ce jeu-là a marqué ma vie. J’ai rencontré tellement de gens, certains sont devenus des amis», nous confie-t-elle. Pour Julie, la force de LoL réside surtout dans la culture qui s’y rattache. «C’est plus qu’un jeu, c’est de la musique, de la cinématique, des costplays (ces tenues fantasy inspirées par les personnages du jeu, NDLR), des événements.»

Si elle manipulait déjà, depuis toute petite, assidûment clavier et souris d’ordinateur, Julie Jeanniot ne se voyait pas faire carrière dans le jeu vidéo. «J’ai commencé très jeune car mon père lui-même y jouait. Mais je n’imaginais pas du tout pouvoir travailler un jour dans ce secteur. D’autant que pour les femmes, ce n’est pas naturel de se diriger vers cette industrie en raison de nombreux clichés, vrais ou faux, qui persistent», souligne la professionnelle. Comme elle, Julie Combes fait partie de la génération qui a grandi avec les PlayStation, Nintendo et jeux PC. Plus connue dans le milieu derrière le pseudonyme MoonPhases, la Française de 24 ans est reconnue pour sa fine expertise de LoL. Le fruit d’un travail de longue haleine.

«Je me suis beaucoup entraînée, d’abord parce que c’était un auto-challenge et puis à force, j’ai eu des opportunités», nous raconte Julie Combes par téléphone. «Un jour, une équipe d’amis m’a sollicitée pour que j’analyse leur jeu. C’est quelque chose que je savais bien faire. Pendant quelques temps, en parallèle de mes études dans le digital, je les ai donc conseillés.» De fil en aiguille, Julie Combes devient coach sur LoL. Son nom est inscrit sur la plateforme Snowball GG (site de coaching pour jeux vidéos). Après avoir donné des cours individuels à droite et à gauche, la jeune femme devient «coach stratégique» pour Solary, une équipe française professionnelle. «Contrairement à certains a priori, LoL est un jeu qui requiert beaucoup de rigueur, d’anticipation et de réflexion», fait remarquer l’experte. Puis de poursuivre : «C’est pour cette raison qu’il est indispensable de développer une stratégie basée sur le cognitif. C’est cet aspect qui m’intéresse aujourd’hui le plus.»

Vecteur de développement personnel ?

Contre toute attente, l’e-sport permet de développer des compétences nécessaires à la vie de tous les jours. De son côté, Noémie observe un gain de confiance en elle non négligeable. «C’est grâce à l’e-sport que j’ai commencé à faire de la prise de parole en public», explique-t-elle. La Toulousaine, comptable par ailleurs, anime une voire plusieurs fois par mois des conférences sur le jeu. «Savoir communiquer compte dans mon métier. C’est certain, LoL m’a fait gagner en prestance et aujourd’hui je suis plus à l’aise face à mes clients.»

Quant à son amie Angélique, 27 ans, les jeux lui ont finalement permis de s’assumer. «J’ai beaucoup plus confiance en moi. C’est un peu cliché mais au collège, j’en ai bavé, j’étais une fille timide. Alors, je me suis réfugiée derrière mon écran. Au moins, personne n’était là pour me juger. Et au contraire de ce qu’on peut parfois entendre, je suis devenue sociable grâce aux jeux vidéos», affirme la jeune femme. À force de s’entraîner, le potentiel d’Angélique (aka Eyll) s’est d’ailleurs fait remarquer. L’an dernier, la joueuse a intégré l’incubateur e-sport de Women in Games, l’association qui milite pour plus de parité dans les jeux vidéos. Au menu de ce programme soutenu par Riot Games ? Du coaching technique à raison de dix heures par semaine et pendant quatre mois, des rencontres et des participations à des événements.

Les femmes encore sous-représentées

Mais, au fait, pourquoi un tel incubateur ? «Parce qu’il y a encore un manque de mixité – comme de diversité – dans le monde des jeux vidéo et de l’e-sport. En réalité pendant des années, on n’a pas essayé d’attirer les femmes dans ce milieu. Résultat : celles-ci ont eu du mal à se projeter, n’ayant personne pour s’identifier», observe Servane Fischer, membre de Women in Games. Cette ancienne joueuse pro de Counter Strike continue : «Quand on soulève le problème, on nous avance le fait que les femmes n’ont pas un niveau de jeu assez bon. On part sur 15-20 ans de quasi absence des femmes, donc forcément il reste des lacunes. Women in Games est donc là pour rétablir ce décalage.» Aux déséquilibres entre femmes et hommes, s’ajoute la question du sexisme. Servan Fischer, qui travaille chez Ubisoft, se veut rassurante. «Une part de machisme est réelle mais cela tend à disparaitre», se réjouit-elle.

Si les femmes restent largement sous-représentées parmi les professionnels ou semi-professionnels, la récente victoire de la Chinoise «VKLiooon» lors des Hearthstone Global Finals risque certainement d’en inspirer plus d’une. C’est, en effet, la première fois qu’une femme gagne une compétition d’e-sport de cette ampleur. On est sur la bonne voie.

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