L’épidémie de coronavirus frappe les entreprises de plein fouet, et les managers sont en première ligne. Mesures d’urgence, questions des salariés, projets reportés… Comment garder collectivement la tête froide ? Guide pratique.
«Que se passe-t-il si on passe en stade 3 ?» «Est-ce qu’on va passer en télétravail ?» «J’ai dix commandes annulées, qu’est-que je dis à mon fournisseur ?» Voilà le type de questions auxquelles les managers doivent répondre depuis quelques semaines. Ils sont en première ligne face au coronavirus, qui ne cesse de se répandre. Ce mercredi 11 mars, le bilan officiel continue de s’alourdir, les fermetures d’écoles et autres mesures de précaution se multiplient. Les entreprises sont, elles aussi, atteintes. De plus en plus de salariés sont fortement encouragés à télétravailler, mis en arrêt de travail ou au semi-chômage technique. Ainsi, dimanche dernier, 900 entreprises avaient déjà déposé une demande d’activité partielle auprès du ministère du Travail, pour 15.000 salariés. Par ce mécanisme, le ministère prend en charge une partie du salaire des employés pour aider l’entreprise à supporter les effets du ralentissement de l’activité économique.
Dans ce contexte exceptionnel, les managers sont les premiers interlocuteurs des salariés. Comment guider les collaborateurs, expliquer et faire appliquer les mesures adoptées par l’entreprise et, surtout, de s’assurer que personne ne panique -à commencer par eux-mêmes ? «C’est une tâche difficile, admet Clotilde Doré, executive coach chez Beyond Associés. Mais c’est ce qu’on attend d’un manager. Dans un cas comme celui, il doit piocher dans ses ressources personnelles, son expérience, chercher du soutien moral auprès de ses pairs ou de ses proches. Il peut aussi y avoir des cellules de soutien et de coaching mises en place par l’entreprise, comme c’est parfois le cas lors d’une crise grave.» Mais l’épidémie dure et ne s’arrêtera pas avant quelques mois. Comment gérer la crise au quotidien, sans savoir quand elle s’arrêtera ? Pour Clotilde Doré, c’est par la transparence qu’on peut répondre au mieux au chaos ambiant.
Communiquer… sans paniquer
Et cela commence… par écouter. «Beaucoup de gens ont peur, et ils ont le droit de l’exprimer», rappelle notre coach, qui encourage les managers à prendre le pouls de leurs équipes. Comment chacun réagit-il au risque de contamination ? Qu’est-ce qui inquiète le plus les salariés ? À quelles questions urgentes attendent-ils une réponse ? «Cette étape est indispensable, inutile de faire l’autruche, soutient-elle. Mieux vaut ouvrir la discussion, favoriser la communication dans les deux sens.» Car la pandémie, inédite, soulève des interrogations nouvelles. Toutes les habitudes, tous les réflexes de travail sont potentiellement remis en question par la crise sanitaire.
Le remède : parler du virus et de ce qu’il implique pour l’entreprise. «Il est important que les managers fassent preuve de franchise et disent clairement, et avant tout, que l’on fait face à une crise et que l’activité est ralentie.» Plus les salariés verront leur entreprise prendre la question au sérieux, moins ils auront de raisons de paniquer. Attention, en ouvrant la discussion, à deux tentations : celle de minimiser la gravité de la crise – «ça n’est qu’une grosse grippe» – et celle de surprotéger les salariés. Décréter trop vite que la situation est dramatique et renvoyer tout le monde chez soi revient à mettre les collaborateurs en position de victimes et à alimenter la panique, aussi légitime soit-elle. Face à une crise pareille, il serait tentant de distribuer des gants à tout le monde et d’installer des distributeurs de gel hydroalcoolique tous les deux mètres. Mais les salariés ne sont pas en danger immédiat, pas plus que le manager n’est leur sauveur. L’essentiel est de rassurer, en posant des cadres clairs. «Et le premier cadre, ce sont les recommandations : ne plus se serrer la main, se laver les mains régulièrement, annuler tel type de rassemblement ou de rendez-vous… Les salariés ont besoin de savoir ce qu’on attend d’eux.»
Réfléchir à court terme
Y compris sur la conduite des affaires. Avec le ralentissement de l’activité et la baisse du chiffre d’affaires, la question se pose légitimement : comment maintenir le cap ? Réponse après la crise. Inutile de vouloir s’adapter en permanence à une situation aussi mouvante, où la donne change d’heure en heure – sauf si l’ampleur de l’impact sur le carnet de commandes nécessite d’élaborer une nouvelle offre en urgence pour permettre la survie de l’entreprise. En dehors de cette situation critique, «ce n’est pas le moment de définir une nouvelle stratégie. On risque surtout de devoir changer de tactique toutes les semaines, ce qui serait déprimant pour les équipes», tranche Clotilde Doré. Le réalisme est la clé : on ne sait pas ce qu’il va se passer, on ne sait donc pas ce qu’il faut faire, on s’adapte au jour le jour.
«Néanmoins, pour se rassurer en cas de crise, on a besoin de pouvoir se projeter à court terme, souligne Clotilde Doré. Il est important que les managers puissent répondre à « comment on s’organise demain si… ? »» Si toute une équipe est confinée à domicile ? Si les écoles ferment, obligeant certains à rester chez eux pour garder les enfants ? S’il faut soudain passer au télétravail ? S’il faut fermer une boutique, suspendre un chantier ou arrêter de faire décoller des avions ? Tout doit être anticipé, aucune question ne doit rester en suspens. Le rôle du manager est d’éviter que les salariés soient mis devant le fait accompli, sans certitude sur la conduite à tenir.
Rester flexible
Ce qui implique des règles collectives, mais aussi une grande flexibilité pour s’adapter au cas individuels, aux impératifs liés aux clients ou aux partenaires extérieurs. «Si un salarié a le sentiment que les mesures liées au virus ne peuvent pas s’appliquer à lui, il doit savoir à qui s’adresser, précise Clotilde Doré. Il est indispensable de prévoir un processus d’exception.» Donc de désigner un manager ou un membre de la direction à même de trancher, au cas par cas, entre les mesures de protection contre le virus et les contraintes professionnelles des équipes. Les situations professionnelles et familiales de chacune divergent, la réaction de l’entreprise doit donc s’adapter.
«Un climat de peur comme celui-ci demande aussi de savoir créer des moments d’écoute informels, où chacun peut poser les questions qu’il ou elle n’ose pas poser en public, encourage notre coach. Les managers doivent se montrer plus présents que d’habitude pour des échanges en tête-à-tête, sans excès.» Non, le coronavirus ne justifie pas des demandes complètement farfelues. Oui, il s’agit malgré tout d’une crise, qui peut demander des sacrifices et un effort particulier, de la part des employés comme de l’employeur. Le point d’équilibre dépend de la situation de chaque entreprise et de chaque salarié. C’est le moment de se faire confiance, et de se fier à son bon sens.
Miser sur la solidarité
C’est aussi le moment de faire vivre les valeurs de l’entreprise, celles qui sont bien souvent virtuelles en temps normal. Qu’il s’agisse de respect, d’entraide ou de sens du collectif, elles sont de précieuses alliées pour affronter une situation exceptionnelle. «C’est dans l’adversité que ces valeurs prennent leur sens et qu’on les fait vivre, affirme Clotilde Doré. L’entreprise est un lieu de partage comme les autres, on a besoin les uns des autres pour se rassurer et se motiver.» Remplacer au pied-levé un collègue, prendre sa relève sur un dossier urgent… Les occasions ne manquent pas de créer une vraie solidarité au sein des équipes, mises en difficulté par l’épidémie. L’empathie et la capacité d’écoute de chacun peuvent resserrer les liens. «Parlons, aidons-nous, partageons nos doutes, encourage Clotilde Doré. Même si demain on est confinés, c’est le moment ou jamais de faire vivre ces valeurs, au sein de chaque équipe.»
Source: Lire L’Article Complet